Eric Domb  » Débloquons les esprits « 

Le mal wallon est le manque d’ambition, assène le président sortant de l’ Union wallonne des entreprises au moment de céder le flambeau. Interview.

Le Vif/L’Express : La Wallonie est-elle devenue plus entreprenante ?

>Eric Domb : Non. Je suis toujours ébahi par l’inculture économique du Wallon. On commente promptement les décisions de délocalisations, de fermetures d’usines, de problèmes sociaux. Par contre, le public ne se rend pas compte de la complexité des situations devant lesquelles peut se retrouver l’entreprise. Il faut savoir que l’entreprise type wallonne occupe moins de 10 personnes. Celles qui occupent moins de 50 personnes représentent plus de 95 % des entreprises wallonnes. Dans ces PME, on a enregistré une croissance annuelle de l’emploi de l’ordre de 2 % au cours des dix dernières années. La situation est différente dans les grandes entreprises, où l’emploi a diminué de 1 % par an. Soumises aux mêmes contraintes réglementaires que les grandes entreprises, ces PME tentent, vaille que vaille, de poursuivre leurs activités, mais on parle nettement moins de leur situation. Si l’on veut continuer à financer l’ensemble des besoins collectifs, l’enjeu est non seulement de créer, de garder ou d’attirer un plus grand nombre d’entreprises sur notre territoire, mais en outre et surtout de faire grandir et prospérer les entreprises existantes. Ce qu’il manque en Wallonie, c’est une ambition collective. Nous manquons cruellement de confiance en l’avenir.

Les entreprises wallonnes ne souffrent-elles pas d’un manque de rentabilité qui les empêche de prendre des risques ?

>Les entreprises wallonnes ne sont pas suffisamment rentables. C’est indéniable. Ce discours est le seul qui tienne la route. On a trop facilement tendance à jeter l’opprobre sur les entreprises rentables. Il faut absolument débloquer les esprits. L’entrepreneur est paralysé par une éventuelle réussite tant il existe un véritable hiatus entre la perception de la rémunération du capital et la réalité du terrain. On est à une époque du discours sympa et simpliste. Vive la petite entreprise qui ne fait pas de vagues et rase les murs. A bas l’ambition de la taille et de l’expansion. Survivre oui, prospérer et grandir, en silence s’il vous plaît ! Tout au contraire, encourager les entreprises à grandir, c’est les pousser à accepter davantage de risques, à assumer davantage de responsabilités et, par voie de conséquence, à créer davantage d’emplois, davantage de prospérité collective. Je m’insurge contre le culte de la médiocrité !

La crise n’a-t-elle pas renforcé encore cette méfiance et donc réduit le goût du risque ?

>Bien évidemment. Les pouvoirs publics font ce qu’ils peuvent pour appuyer les entreprises. Rien qu’en matière d’exportation, par exemple, l’Agence wallonne à l’exportation multiplie les missions, le gouvernement soutient les entreprises recherchant de nouveaux marchés. Mais combien sont-elles à profiter de ces aides ? Elles ne sont pas nombreuses. Car conquérir de nouveaux marchés, cela demande d’importants efforts. Or une petite entreprise ne peut se permettre de se focaliser sur les marchés étrangers en oubliant son marché local. Ce ne sont donc pas des mesures ponctuelles qui donneront le courage d’affronter le risque et le goût de l’entrepreneuriat. S’il est évident que les travailleurs et les actionnaires vont toujours se battre pour l’argent, il faut arriver à un juste partage du gâteau, en intégrant pleinement tous les enjeux et contraintes à affronter.

On vous sent remonté contre les discours dans l’air du temps…

>Il faut arrêter les discours qui demandent, d’une part, aux entrepreneurs de prendre des risques mais, d’autre part, de rester médiocres. Nous avons besoin d’un plus grand nombre d’entrepreneurs courageux et ambitieux pour espérer retrouver une économie de plein- emploi et de prospérité partagée. Il est tellement simple de dire que la crise est le résultat d’un libéralisme débridé : nous sommes au contraire dans un système de plus en plus réglementé, partagé entre directives européennes, lois fédérales, décrets régionaux et décisions administratives. Jamais l’Etat n’a été aussi présent. L’entrepreneur ne fait pas partie d’une caste privilégiée. Par contre, les penseurs de tout poil…

Un changement de mentalité ne se commande toutefois pas…

>Le gouvernement wallon a sensiblement réduit la fiscalité régionale, créé des pôles de compétitivité, mais toutes ces mesures ne créeront, en soi, pas une entreprise. L’économie wallonne ne représente que 1,2 % de son territoire, contre près de 90 % de terres agricoles et de forêts. C’est beaucoup moins que la plupart des autres régions d’Europe occidentale. Autrement dit, nous avons de l’espace pour accueillir du monde, nous avons beaucoup d’attraits. Il faut les transformer en atouts. Et pourtant l’on n’entend que le mot d’ordre : veillons à une gestion parcimonieuse du territoire wallon. Disons-le sans détour : c’est à une vision parcimonieuse de notre avenir que certains voudraient nous conduire. On en vient aux symboles : voulons-nous vraiment que nos entreprises gagnent du terrain ?

Le gouvernement wallon entend créer 20 000 entreprises. Info ou intox ?

>Soyons clair, ce ne sont pas les pouvoirs publics qui vont les créer. Ils peuvent dessiner un cadre propice, préparer le terrain. Et l’Union wallonne des entreprises peut être leur relais. Cela étant, que signifie créer 20 000 entreprises ? Parle-t-on de 20 000 sociétés d’une personne ou d’entreprises dépassant le stade de l’indépendant ? Plus que ce type de grandes déclarations, il serait utile de se rendre compte que la Wallonie ne redeviendra prospère que si et seulement si elle redevient hospitalière. J’aime l’image de la prairie où se développe une flaque d’eau ; au fil du temps, elle s’élargit et on finit par y trouver des poissons parce que des oiseaux ont laissé tomber de leurs pattes quelques £ufs. La prairie a développé un milieu d’une grande richesse parce que les conditions de développement y étaient favorables. C’est ce que nous devons faire pour la Wallonie. Nous devons assumer la réussite.

N’a-t-on pas tendance à trop regarder ce qui se passe en Flandre plutôt que chez nous ?

>Nous n’avons pas besoin de la Flandre pour savoir ce qui ne va pas chez nous. La Flandre et les problèmes communautaires sont les écrans de fumée qui ne font rien avancer. Nous vivons repliés sur nous-mêmes alors que la Flandre ne nous regarde pas ou peu. Nous devons prendre conscience que nous serons de moins en moins souvent d’accord entre nous. Mais Flamands et Wallons poursuivent un objectif commun : le développement de leurs Régions. Malheureusement, en Wallonie, on vit actuellement dans le terrorisme de la pensée. Ouvrir un débat est aujourd’hui considéré comme un délit. Une ministre de l’Enseignement émet une idée sur le temps de travail, mais elle n’a pas le temps de finir sa phrase que les enseignants font déjà grève. A force de temporiser sur les problèmes gravissimes de notre enseignement et de reporter sa refondation, nous précipitons nos enfants vers l’abîme. On perd un temps précieux parce qu’on ne ressent pas encore l’urgence d’agir.

Ne revient-il pas à l’enseignement de favoriser l’esprit d’entreprendre ?

>Nos pouvoirs publics ont la responsabilité gravissime d’avoir laissé l’enseignement se déliter. C’est une faute grave. Il faut faire en sorte que des personnes réellement enthousiastes soient les éducateurs de nos enfants. J’ai tenté vainement de mettre les présidents des quatre partis démocratiques autour de la table et de créer une Union sacrée sur la réforme de l’enseignement. Malheureusement, un parti n’a pas jugé l’initiative intéressante (NDLR : le MR)… Mais je reste convaincu que le goût de l’excellence doit être cultivé. Préfère-t-on poursuivre dans la médiocrité, avec des enfants qui sont dans la rue plutôt que leur donner le goût de tenter, d’oser, en les encadrant ? Un enfant qui est enthousiaste doit être encouragé. Il est utopique de penser à l’égalitarisme. Doit-on empêcher les meilleurs d’être les meilleurs ?

ENTRETIEN : DIDIER GROGNA

 » Nous n’avons pas besoin

de la Flandre pour savoir

ce qui ne va pas chez nous « 

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