ÉPIZOOTIE

L’alerte à la fièvre aphteuse est passée. La Belgique et ses voisins respirent un peu. Mais la France multiplie les abattages systématiques de bétail, par précaution…

Trois porcelets avec un gros aphte sur le groin… Difficile d’imaginer que le branle-bas de combat sanitaire, qui vient de secouer la Belgique et ses voisins européens, trouve son origine sur le nez rose de trois petits cochons de Flandre occidentale. Le soir du 2 mars, de « fortes suspicions » de fièvre aphteuse – les premières du continent – planent, pourtant, sur la ferme de Danny Borra, éleveur à Beerst, près de Dixmude. En vérité, l’exploitation est déjà « douteuse ». Elle est placée sous contrôle depuis dix jours: début février, son propriétaire a imprudemment importé des porcs de Grande-Bretagne, alors frappée par le fléau. Ce vendredi-là, donc, Jaak Gabriëls, ministre VLD de l’Agriculture, est averti vers 20 h 30. Il lui faut peu de temps pour dépêcher sur place des vétérinaires spécialisés. Ils confirment des signes de maladie, bien qu’à un stade « très précoce ». Ils prélèvent cinq échantillons sanguins, dont l’analyse débutera à 1 heure du matin. La fièvre du vendredi soir a débuté…

Tous à l’étable

Décidées dans la nuit par une cellule de crise gouvernementale, les premières mesures du plan-catastrophe prévoient la création d’une « zone tampon » de 20 kilomètres autour de la ferme, l’abattage des 323 porcs qu’elle engraisse et la surveillance de toutes les exploitations qui ont acheté des animaux à Borra. Mais il faut bien prévenir Paris – la frontière française n’est qu’à 30 kilomètres à peine. Ce sera fait au coeur de la nuit. Et la réponse sera fulgurante: la France interdit toute importation de bétail en provenance de Belgique. Ensuite, à vive allure, nos voisins mettent la gomme pour barrer la route au virus. Des précautions maximales sont décrétées: elles entraînent l’interdiction d’exporter les animaux d’espèces sensibles (bovins, ovins, caprins, porcins), elles entravent leur circulation dans tout le pays et accélèrent l’abattage des bêtes mises en contact avec des moutons britanniques, ordonné depuis le 27 février. On veut aller vite, pour « ne pas perdre de temps comme les Anglais ». Le carnage démarre: au fil des jours, environ 50 000 moutons y passeront, tués par électrocution, enfouis dans le sol ou brûlés. Des journées terribles à vivre pour les éleveurs français: pour certains, en quelques heures seulement, part en fumée le résultat de plusieurs années de sélection génétique. En fait, l’Hexagone tremble, car la maladie terrorise ses agriculteurs: dans sept départements, des cas positifs – des animaux qui ont développé des anticorps au contact du virus – ont été détectés…

En Belgique, la suite du récit est ce début de panique auquel les précédentes crises alimentaires (vache folle, dioxine…) nous ont désormais habitués. Par mesure de précaution – ils hébergent des espèces protégées biongulées -, des zoos (Anvers, Planckendael) ferment leurs portes, dès dimanche. Des parcs, des fermes pédagogiques leur emboîtent le pas. La commune de Leeuw-Saint-Pierre s’enhardit même à priver chiens et chats de la liberté d’errer sur les chemins, jetant le trouble dans l’esprit de nombreux promeneurs: Médor est-il contagieux? Et cette fièvre est-elle en fin de compte transmissible à l’homme ( lire l’encadré). Comme le ministre Gabriëls a interdit le transport de tous les animaux domestiques vivants (ainsi que des animaux de compagnie des exploitants agricoles), les pigeons n’ont pas volé, les chevaux sont restés au box et les concours hippiques ont été annulés. Les cochers de Bruges, qui font la joie des touristes, sont également mis en congé forcé. En attendant le résultat des analyses sérologiques des porcs incriminés, la Belgique vit donc un drôle de week-end. Et les pays frontaliers, que le spectre de l’épidémie effraie, aussi.

La menace s’efface

Mardi, c’est, malgré tout, un grand soulagement, même si les premiers tests avaient déjà laissé entendre que le résultat serait… négatif. Non, les porcs suspects de Beerst ne souffrent pas de fièvre aphteuse. Oui, la Belgique reste, jusqu’ici, indemne du virus. Mais pour combien de temps encore? La question est sur toutes les lèvres. Elle justifie d’ailleurs l’interdiction belge d’abattage (jusqu’au 19 mars) des chèvres et des moutons, le maintien de mesures drastiques dans la zone tampon (réduite toutefois à 10 kilomètres autour de la ferme Borra) et la mise en place d’une nouvelle procédure pour toutes les autres exploitations du pays détenant des biongulés (ces fermes doivent interdire l’accès aux personnes et aux véhicules qui n’en font pas partie, et être dotées d’un pédiluve, bac destiné à la désinfection des chaussures). Sur le continent, « nous n’avons pas les signes d’une grande épidémie », constate, rassuré, David Byrne, le commissaire européen à la Santé. Mais, en Grande-Bretagne, le cauchemar continue: 74 foyers d’infection ont été détectés. L’incinération, pénible, de plusieurs dizaines de milliers de bêtes se poursuit au grand air. Le pays frôle la pénurie de viande. Et les vétérinaires s’attendent à débusquer prochainement de nouveaux cas, puisque la période d’incubation peut atteindre quinze jours chez les ovins.

Ainsi, la situation exige que l’Europe ne relâche pas immédiatement la pression. Le comité vétérinaire permanent s’est concerté, pour prolonger l’embargo contre la viande britannique jusqu’au 27 mars. Et, aussi, à propos de la vaccination du bétail. Celle-ci, abandonnée en janvier 1992 par l’Union européenne (pour des raisons surtout commerciales), est à nouveau évoquée. Mais pas unanimement souhaitée. A première vue, elle compliquerait la surveillance de l’épizootie: une fois vaccinés, les animaux deviennent porteurs d’anticorps qui ne les distinguent pas facilement de ceux contaminés par le virus. A ce titre, la situation apparaîtrait plus confuse encore: des pays tiers pourraient refuser la viande européenne et les exportations en souffriraient…

Pourtant, la fièvre aphteuse n’est pas une peste inconnue. Il y a quelques décennies à peine, son traitement n’imposait ni mesures draconiennes, ni hécatombes de bétails brûlés avant même qu’on ait la certitude de leur maladie. Incrédules face à l’ampleur de la riposte actuelle, des agriculteurs à la retraite rappellent que, jadis, on traitait les bêtes atteintes avec du foin tendre et de l’eau tiède, en attendant « que ça passe ». En Asie et en Afrique, où l’épizootie est à l’état endémique, où personne ne dispose des moyens pour éradiquer le virus, les animaux malades qui ne meurent pas sont soignés. Ils font, ensuite, l’objet d’une consommation locale. Aujourd’hui, en Europe, décidément, « ça » ne passe plus. L’agriculture intensive a accentué la vulnérabilité des processus de production (des bêtes entassées s’infectent plus rapidement). Les camions qui, chaque jour, sillonnent les routes en transportant des milliers de bêtes, disséminent le virus à tous vents. Cette épizootie se déroule dans un contexte précis de guerre économique. Et le règlement d’une maladie dépend évidemment du prix qu’une société est prête à payer…

Valérie Colin

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