Entre délires et vraies questions

Monde de la politique, puissance de l’argent et pouvoir des médias : que fait au juste Philippe dans cet aréopage ? A force d’exciter ceux qui voient des complots partout, le Bilderberg esquive les vraies questions dérangeantes.

Faut-il avoir peur du Bilderberg ? A question manifestement idiote, réponses agacées, indi- gnées, offusquées. Toujours laconiques.

Philippe Maystadt (CDH), ex-ministre des Finances, ancien président de la BEI, invité à deux reprises à une conférence annuelle du Bilderberg :  » Je m’étonne du mystère que l’on entretient autour de ces sortes de séminaires. On y écoute des exposés de qualité. Y assister ne peut qu’être bénéfique à la formation de l’héritier du trône. « 

Herman De Croo, député Open VLD :  » Ce n’est pas une association de malfaiteurs, que je sache. Un petit pays comme la Belgique qui compte l’héritier du trône parmi les invités d’un tel cénacle : c’est une performance à laquelle on devrait plutôt applaudir ! « 

Annemie Neyts, députée européenne Open VLD, que l’on dit proche du prince Philippe :  » Je suis sidérée : s’il n’est plus possible pour des gens de se retrouver en un endroit et de se parler sans que l’on soit écouté, où allons-nous ? Il faut savoir ce que l’on veut : si le futur roi des Belges doit se préparer à sa tâche, il faut aussi lui en donner les moyens ! « 

Le mot de la fin revient à Etienne Davignon, l’homme par qui le prince Philippe est arrivé au Bilderberg :  » La conférence annuelle du Bilderberg ne rassemble pas une bande de fous dangereux.  » Non : tout au plus à une assemblée de gens bien sous tous rapports, au-dessus de tout soupçon.

N’en déplaise à ses détracteurs et à leurs délires paranoïaques. Bilderberg est un excellent client pour amateurs de grands complots et conspirationnistes de tout poil. Le type même de cénacle qui est pointé tout en haut de leur liste noire, aux côtés des suppôts d’une fumeuse internationale judéo-maçonnique.

Que rêver de mieux que cette triade concentrée en un seul lieu ? Le monde de la politique, la puissance de l’argent et le pouvoir des médias, unis comme les doigts d’une même main qui façonnerait et dirigerait de façon occulte le monde. Le crime est trop beau, signé par ces  » grands prêtres de la globalisation  » animés des pires intentions.

Sauf que tout cela ne tient guère la route :  » Le groupe Bilderberg a pignon sur rue, c’est un cénacle comme il en existe des tas d’autres dans le monde. Ce groupe, en faisant £uvre de pionnier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a été vite perçu, et à juste titre, comme la manifestation d’une volonté des puissants de travailler main dans la main. Mais il n’y aucune raison de spéculer davantage à son propos que pour d’autres réunions de ce type « , assure Jérôme Jamin, politologue à l’université de Liège et spécialiste des théories du complot. Mieux vaudrait donc en rester là. C’est d’ailleurs ce que suggèrent d’un ton bonhomme les adeptes du Bilderberg. Pas vraiment mécontents de l’écran de fumée dressé par tous ces illuminés.

Décrédibiliser les esprits sainement curieux devient alors un jeu d’enfant. Tout comme balayer d’un revers de la main de vraies interrogations. Ainsi celles que soulèvent les deux journalistes français, au fil de leur enquête :  » La cohabitation à huis clos de ces participants entre les quatre murs d’un palace peut-elle être totalement neutre ? Certains semblent frôler le conflit d’intérêts. Le caractère respectable des motivations originelles n’enlève rien à l’aspect peu démocratique de cette stratégie d’influence. « 

Certains affichent d’ailleurs quelques scrupules :  » J’ai toujours voulu garder mon indépendance « , leur a confié Jacques Delors, ex-président de la Commission européenne, en assurant n’avoir jamais mis les pieds au Bilderberg et à la Trilatérale.

 » Je ne serais pas surpris que cette diabolisation des théories du complot ait pour effet que les parlementaires n’osent poser des questions à ce sujet. Simplement par peur du ridicule « , remarque Jérôme Jamin.  » Le même phénomène s’est observé à propos des attentats du 11-Septembre à New York : la myriade de fous furieux qui ont échafaudé toutes sortes de complots n’empêchait pas des gens sérieux de juger insuffisantes les réponses officielles des autorités gouvernementales. « 

Invitée à réagir, Isabelle Durant, eurodéputée Ecolo, est une rare voix à oser mettre les pieds dans le plat :  » La présence du prince Philippe au groupe Bilderberg me met mal à l’aise. Le prince n’est jamais une autorité neutre lorsqu’il se rend à ce genre de réunions. Il n’y a évidemment rien d’illégal à cela. Mais il s’intègre dans un réseau informel qui prend une option politique donnée : ce n’est pas des plus subtils. Des déplacements à caractère privé, qui ne concernent pas le gouvernement ? Je trouve cela limite. Désagréable. Pas très sain. « 

Philippe de Belgique aura passé davantage de temps à arpenter les salons feutrés du groupe Bilderberg qu’à occuper le fauteuil de sénateur de droit qui l’attend toujours à la Haute Assemblée. Un futur roi, ça s’informe au royaume de ceux qui comptent vraiment.

P.HX

Le Bilderberg, cible des délires conspiration-nistes : l’écran de fumée qui masque de vraies questions

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