Entre attentisme et immobilisme

Rien ne va plus sur le marché immobilier carolorégien. Heureusement, les petites 2-façades lui sauvent la mise, de même que les grandes maisons de rapport.

En 2011, la crise n’avait pas réussi à attraper Charleroi dans ses filets. Un an après, la pêche se révèle plus fructueuse, au grand dam des observateurs du marché.  » 2012 se caractérise, chez nous, par une baisse de 20 % du nombre de ventes « , déplore Michel Michalakis, de l’agence Era Immo Tirou. Et le courtier de préciser que les échos de ses confrères vont dans le même sens. Quid de 2013 ? Les premiers mois de l’année offrent un bilan  » tout aussi mitigé « . Cependant, si les transactions se font moins nombreuses, les prix, eux, ne fluctuent pas. Ou très peu.

La raison ? Le succès de l’un des produits-phares du marché carolorégien : la maison d’employé. C’est-à-dire la 2-façades traditionnelle, annoncée entre 100 000 et 175 000 euros, comptant deux à trois chambres, une cave et un jardin, en bon état général. Un type de biens dont la ville regorge, et qui, fort de ses petits prix, s’échange à un rythme beaucoup plus soutenu que la moyenne nationale.  » C’est ce qui sauve Charleroi et la sauvera toujours « , pointe le notaire Philippe Van Cauwenbergh, dont l’étude est basée à Châtelet. A l’inverse d’autres marchés, en comparaison desquels la ville nage à contre-courant.  » Les deux, trois dernières années n’ont pas été bonnes pour l’immobilier wallon, poursuit-il. Pour preuve, si l’on tient compte de l’inflation, la maigre progression des prix se transforme en légère diminution.  » Tandis que les tarifs carolos affichent une stabilité déconcertante.

Des petits budgets qui rétrécissent

La courbe des prix tient le cap mais celle des transactions pique du nez : il ne faut pas chercher midi à quatorze heures pour se rendre compte que la variable qui pose problème est le comportement des candidats-acquéreurs. Dont les oreilles résonnent de faillites à répétition, de fermetures d’usines, de délocalisations et de licenciements massifs.  » Charleroi est un bassin industriel, souligne Albert Rasquain, de l’agence Trevi La Propriété. Le climat économique est particulièrement difficile sur ce segment et l’instabilité morose qui s’en dégage se répercute sur l’immobilier.  » La peur de l’avenir est palpable et les grandes décisions sont reportées à des temps meilleurs.  » Les Carolorégiens sont attentistes, remarque Michel Michalakis. Ils s’engagent beaucoup moins facilement qu’il y a trois, quatre ans.  » Et quand ils franchissent le pas, c’est en connaissance de cause, après avoir minutieusement étudié le marché et, surtout, ficelé leur budget.

 » Beaucoup espèrent pouvoir consacrer à une acquisition un budget comparable à ce qu’ils dépensent pour une location, relève Albert Rasquain. Un calcul encore pertinent il y a quelques années, mais impossible à réaliser à présent.  » Pour cause de solvabilité, d’une part. Les banques ont restreint les conditions d’octroi des prêts comme l’importance du montant accordé – quelque 80 % aujourd’hui, contre jusqu’à 125 % hier. Mais aussi, d’autre part, en raison de l’accumulation d’une série de coûts connexes.  » L’assujettissement des notaires à la TVA, en vigueur depuis le 1er janvier 2012 en est un, énumère Me Van Cauwenbergh. Tout comme le contrôle de l’installation électrique ou le certificat de performance énergétique des bâtiments (PEB).  » Tous deux étant, in fine, facturés au candidat-acquéreur. Des frais collatéraux qui s’ajoutent à des mensualités de remboursement gonflées et font la différence, surtout quand le budget de base est déjà extrêmement limité.

Preuve en est la mauvaise santé des biens qui affichent des prix sous la barre des 100 000 euros. Car, si la maison d’employé se heurte à de plus en plus de refus de crédits, la maison d’ouvrier, elle, est carrément dans le rouge.  » Plus les biens sont bradés, plus la demande se fait rare, observe Michel Michalakis. C’est le paradoxe du marché carolorégien. Alors que, en ces temps de crise, ceux qui se prévalent de prix mini devraient se vendre comme des petits pains, ils ne trouvent pas acquéreur.  » Ou, en tout cas, restent deux fois plus longtemps sur le marché avant de changer de mains, les délais de transactions étant passés de 3 à presque 6 mois.

Dans ce cadre-là, certains critères ont leur importance. Energétiques, par exemple.  » Le certificat PEB est devenu un argument de vente, assure Albert Rasquain. Les candidats-acquéreurs, surtout lorsqu’ils sont jeunes, n’ont pas envie de se retrouver avec un gouffre énergétique sur les bras.  » Pour éviter la désagréable surprise d’une facture salée qui se rappellera à eux tous les mois, la plupart préfèrent mettre un peu plus, quitte à dépasser la moyenne pour se diriger vers 175 000 à 200 000 euros. Quand ils peuvent se le permettre, évidemment.

Au-dessus de 300 000 euros, le marché patine

Heureusement pour le marché carolorégien, il est certains candidats à l’acquisition pour lesquels, crise ou pas crise, l’affaire sera toujours plus intéressante si elle est conclue à Charleroi.  » La migration économique des acquéreurs bruxellois et brabançons wallons que l’on observe depuis quelques années est toujours d’actualité « , acquiesce Michel Michalakis. Plus que jamais, même, puisque nombre d’entre eux passent la frontière contraints et forcés, financièrement incapables d’acheter un bien dans leur province. Des arrivées dont se félicitent les courtiers, qui leur sont redevables de 25 % des transactions.

Un phénomène qui s’illustre moins sur le haut de gamme –  » ceux qui en ont les moyens préfèrent rester en périphérie bruxelloise, c’est évident « , glisse le gérant d’Era Immo Tirou. Consé- quence, il ne faut compter, sur ce segment, qu’avec les seuls Carolos. Et, si les belles communes résidentielles au sud de Charleroi – Montigny-le-Tilleul, Ham-sur-Heure, Nalinnes, Gerpinnes… – sont toujours prisées,  » quand le prix demandé dépasse les 300 000 euros, les ventes calent un peu « , intervient Albert Rasquain, qui précise que les maisons bourgeoises voient leurs tarifs baisser de 10 %. C’est désormais l’acquéreur qui fait le prix, et le propriétaire n’a d’autre choix que de s’incliner ou d’attendre une conjonc- ture plus propice. Au nord – Pont-à-Celles, Les Bons Villers, certains quartiers de Fleurus… -, le marché est un peu plus soutenu,  » surtout à proximité des grands axes « , précise le courtier.

S’il est, en revanche, un domaine dans lequel les résultats sont excellents, c’est celui de la… location. Un marché sur lequel s’attardent de plus en plus de candidats-acquéreurs, faute de pouvoir sauter le pas de la propriété. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les immeubles de rapport, divisés en 3, 4, 5, 6 logements parfois, en ordre sur le plan urbanistique, se vendent très bien. Des transactions particulièrement appréciées des publics bruxellois et brabançon wallon, que l’on retrouve ici, attirés par un rendement supérieur à celui qu’ils obtiendraient chez eux.  » Les revenus locatifs sont démultipliés par un prix d’acquisition moindre, qui varie entre 150 000 et 300 000 euros, selon le nombre de logements et l’état du bien « , estime Albert Rasquain. De quoi donner lieu à un marché parallèle, aux mains de semi-professionnels de la location qui possèdent plusieurs immeubles et se consacrent entièrement à leur gestion. Comme quoi, le malheur des uns fait le bonheur des autres, et c’est en temps de crise que les meilleures opportunités se créent.

FRÉDÉRIQUE MASQUELIER

Les immeubles de rapport, divisés en 3, 4, 5, 6 logements parfois, se vendent très bien

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