Kazumasa Takesue, constitutionnaliste, professeur à l'université de Fukuoka. © dr

 » En se soustrayant à la justice, M. Ghosn reconnaît sa culpabilité « 

Pour le constitutionnaliste Kazumasa Takesue, professeur à l’université de Fukuoka, le patron de Nissan et de Renault a obtenu une liberté conditionnelle exceptionnelle grâce à l’aide d’avocats expérimentés. Difficile dans ces conditions d’invoquer la discrimination…

Carlos Ghosn évoque un traitement  » cruel  » de la justice japonaise, notamment dans les conditions mises à sa résidence surveillée. Sa critique vous paraît-elle fondée ?

En tant que juriste, je dois dire que cette fuite n’est en aucun cas justifiée. De mon point de vue, M. Ghosn reconnaît lui-même sa culpabilité en essayant de se soustraire à la justice japonaise. S’il est vraiment innocent, cette fuite n’est absolument pas nécessaire. Le Japon est un Etat de droit et la justice est bien sûr indépendante. Cela n’empêche pas que depuis longtemps au Japon, beaucoup de juristes émettent des critiques autour de la notion d' » otage de la justice « . Il est vrai que le parquet, normalement, ne remet des suspects en liberté qu’après un maximum de vingt-trois jours de procédure avant l’action publique (il faut réformer ce problème grave). Mais cela ne signifie pas que la justice japonaise n’est pas impartiale. Dans le communiqué de presse diffusé après sa fuite, M. Ghosn a dénoncé la discrimination. J’admets effectivement l’existence de discrimination mais à l’égard de suspects  » ordinaires « . Car lui a été exceptionnellement remis en liberté provisoire grâce aux efforts de ses avocats expérimentés et réputés. Pourquoi cela a-t-il été possible ? Parce que M. Ghosn est un homme riche et mondialement connu. Les conditions de sa liberté provisoire étaient-elles strictes ? Nullement ! Il n’a pas été équipé d’un bracelet électronique, ni constamment surveillé. Au contraire, il a joui de certaines libertés. Et il a ainsi pu aisément prendre contact avec des personnes pour fuir le Japon.

Il est regrettable que cette histoire révèle qu’un charisme au sein du monde des affaires se réduise à de la cupidité.

Des observateurs occidentaux n’excluent pas la motivation du règlement de comptes interne à Nissan dans les accusations émises à l’encontre de Carlos Ghosn. Est-ce une hypothèse également évoquée au Japon ?

Cette affaire résulte d’un règlement de comptes interne à Nissan. On l’évoque aussi au Japon. Un des employés de Nissan a fourni des preuves matérielles au parquet en échange de son innocence.

La justice de votre pays, en vertu du modèle de séparation des pouvoirs en vigueur au Japon, est-elle indépendante des pouvoirs politiques et économiques ?

Je vous assure que la justice au Japon est indépendante politiquement et économiquement.

Le fonctionnement de la justice japonaise est-il fondé sur une certaine relation de confiance avec le prévenu ? Celle-ci explique-t-elle la relative liberté d’action dont Carlos Ghosn a pu profiter pour fuir le Japon ?

Le juge en charge de cette affaire a eu confiance dans les mesures préparées par les avocats de M. Ghosn malgré l’objection des procureurs. On peut admettre la réalité d’une certaine relation de confiance avec les avocats expérimentés du prévenu. Ceux-ci ont perdu gravement la face à cause de leur client. En conclusion, je répète qu’un homme tel que M. Ghosn n’aurait pas dû fuir la justice. Car il est réputé mondialement comme un PDG de talent. Il est vraiment regrettable que cette histoire révèle qu’un charisme au sein du monde des affaires se réduise à de la cupidité, comme l’ont incarné également, chez vous, les anciens dirigeants de Publifin.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire