En quête de respectabilité

Avec le temps, le Paris-Dakar a acquis une aura proche de celle des rallyes du championnat du monde. A tort ou à raison ?

Jusqu’à la fin des années 1970, le rallye de Monte-Carlo lançait habituellement la saison sportive automobile. Depuis, le Paris-Dakar l’a relayé à la première place du calendrier. Le « Monte », symbole du rallye traditionnel, et le « Dakar », le plus célèbre des rallyes-raids ? Deux épreuves qui, chacune à sa manière, unissent l’enfer et le paradis en un curieux paradoxe. D’un côté, une compétition sur paysage de montagne, livrée dans des conditions exigeantes: petites routes bordées de ravins vertigineux, adhérence souvent précaire, météo fluctuante, prolongation de la course jusqu’au coeur de la nuit. De l’autre, dans un décor exotique, les concurrents se trouvent confrontés à l’implacable rigueur de la canicule et aux multiples pièges d’une nature sans concession.

Cette spécificité dans le monde des rallyes n’explique pourtant pas à elle seule l’essor foudroyant du Paris-Dakar qui, à ses débuts, a tiré parti de trois facteurs clés: le vide médiatique du début du mois de janvier, le créneau jusqu’alors sous-exploité des rallyes-raids et le dynamisme et le savoir-faire de son créateur Thierry Sabine. L’épreuve s’est toutefois longtemps heurtée à une certaine réticence de la part des puristes du sport auto. Pour eux, le « Dakar » ne réunissait pas un plateau pouvant se prévaloir de niveaux technologique et de pilotage supérieurs, comme en présentent les grands rallyes classiques.

Cette perception teintée de scepticisme a sensiblement évolué depuis lors. D’abord, les rallyes du championnat du monde, qui se poursuit du 1er au 3 février par le rallye de Suède, ont fait l’objet d’une volonté de standardisation et de raccourcissement affichée par les promoteurs de la compétition mondiale. Disputés jadis sur près d’une semaine, ces épreuves se déroulent désormais sur trois jours. L’objectif est d’adapter ces courses aux exigences de la télévision, afin d’attirer les sponsors. Ensuite, le « Dakar » semble avoir acquis en lui-même une réelle crédibilité. Il s’est construit, au fur et à mesure, une histoire qui contribue à renforcer son aura autant qu’à décourager les critiques.

« Ce n’est pas bon signe, estime Michel Dupuis, professeur d’anthropologie philosophique à l’UCL. A mon avis, ce sujet devrait continuer à faire débat. D’autant que, d’une certaine manière, il rejoint un peu la problématique très actuelle de la mondialisation, avec toutes les questions qu’elle pose en matière de curiosité pour l’autre, de bénéfice, de profit. » Le Pr Dupuis se méfie du purisme éthique. S’il fallait s’abstenir de tout ce qui n’est pas parfaitement bien, on en arriverait, en effet, à supprimer les matchs de football en raison du hooliganisme et les courses cyclistes à cause du dopage. Reste qu’on ne peut pas justifier le Paris-Dakar par les biens qui sont distribués aux populations locales ou par les radars qui sont érigés ici et là.

Pour le philosophe, il s’agit de savoir si l’enjeu commercial est le but ou le moyen et, dans la foulée, de se demander si ce voyage d’Occidentaux plutôt fortunés s’apparente davantage à une visite de courtoisie ou à une invasion. « Nous avons tendance à nous déplacer comme l’escargot qui voyage avec sa maison sur le dos. Or, si on entre à la légère dans le pays natal de l’autre, c’est de la curiosité, voire de l’invasion, de l’occupation. » En fait, le vrai voyage ne se conçoit que sous la forme d’une visite. Ce qui implique, en face, un accueil. On a toutefois l’impression que les Africains accueillent moins la caravane du Paris-Dakar qu’ils ne cherchent à l’exploiter. « Bien sûr, estime le Pr Dupuis, certains objecteront que pour une fois que les pauvres peuvent exploiter les riches, c’est tant mieux. Mais ce n’est quand même pas l’idéal d’un rapport humain. S’il était vraiment question d’hospitalité, ce serait l’Occidental qui recevrait le cadeau de bienvenue. » Il n’est pas épuisé l’éternel débat entourant le Paris-Dakar.

Christophe Engels

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