Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

En cas d’urgence, brisez la glace

Où il est question de Léopold II, de glace, de statues de cire belges disparues et d’Afrique.

Poc, toc, poc. L’eau goutte. L’eau cancane. L’eau a la bougeotte : devant la statue de glace du roi Léopold II, en train de fondre, en plein milieu du Geyser, Paula la serveuse, rêve (1). Il faut dire que, sous l’effet de l’alternance du chaud-froid lié à l’ouverture-fermeture de la porte d’entrée du café, la royale statue se mue d’homme en femme et vice versa. C’est très déconcertant : des rondeurs apparaissaient, là où il n’y en avait pas, pour aussitôt se dissoudre dans un ruissellement neutre se départageant en d’innombrables petits cours d’eau qui inondent le café.

–  » C’est Charlotte !  » glapit Daisy, la petite fille fantôme du Geyser.

–  » Mais non, qu’elle répond Paula, tu vois bien que c’est Léopold II ! La princesse Charlotte n’a jamais été reine.  »

–  » Ptêt bien. N’empêche qu’elle rêvait d’être un homme !  »

–  » La livraison de cires, c’est bien ici ?  » les interrompt alors un livreur. Péremptoire, sans attendre de réponse, le gars se met à hisser des statues diverses et variées hors de leurs cartons, comme on dépote des hortensias. Bientôt, le café se transforme en décor lugubre baignant dans un climat de maison hantée, un théâtre abandonné.

–  » Mais qu’est-ce qu’on va faire de tout ça ?  » s’étrangle Paula, dont le regard passe à toute allure d’un Albert II potelé en short à une Sandra Kim fluo hilare (2).

–  » La patronne va a-do-rer « , rétorque la spectrale gaminette, sûre d’elle.

–  » J’ai des doutes « , conclut, comme à son habitude, Le Fleuri, l’éternel sceptique du café, en contemplant les innombrables silhouettes jaunâtres, inquiétantes, figées dans un clair-obscur évoquant Le Caravage. Plantée sous le plafonnier, comme une grosse laitue estivale, la statue d’Albert II en short fait face à la surface gelée et translucide d’un sévère Léopold II, brillant comme de l’acier poli.

–  » Ah, super, tout le monde est là !  » La voix émane de la mystérieuse organisatrice des mystérieuses livraisons de statues, Laura Nsengiyumva, qui vient de claquer la porte du café derrière elle ; c’est une artiste qui traîne, dans son sillage, une odeur de chair fétide, de colonialisme usé et de talent tout frais. Elle a, dans la voix, une sorte de volition insolente et décidée :  » Comme le roi Philippe n’ira pas inaugurer l’AfricaMuseum, on y envoie lequel, de roi, du coup (3) ? Celui en short qui évoque un gros Cupidon en vacances à Palavas, ou celui qui dégoutte sous les reproches de l’histoire ?  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20h15…

(1) L’artiste belge d’origine rwandaise, Laura Nsengiyumva, ambitionne de répliquer, en glace, la statue équestre de Léopold II, sise dans le quartier royal du Trône, à Bruxelles. L’activiste anticolonialisme veut faire fondre la statue du roi, ex-propriétaire du Congo belge.

(2) En 1996, l’Historium, le musée de cire de Bruxelles, à l’initiative de la marquise de Beauffort, a fermé. Que sont devenues les statues ? Mystère.

(3) Le roi des Belges, Philippe, n’a pas assisté à l’inauguration du Musée royal de l’Afrique centrale, devenu AfricaMuseum.

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