» En Belgique, les chrétiens manquent de forces pour éveiller les consciences « 

Sa simplicité, son sens de l’écoute, ses gestes de solidarité avec les immigrés clandestins et les métallos liégeois l’ont rendu très populaire. L’évêque de Liège ressemblerait même, selon certains, au pape François ! Mais après douze ans d’épiscopat, Mgr Aloys Jousten, atteint par la limite d’âge de 75 ans, doit renoncer à sa charge. Sa  » démission  » a été acceptée par Rome dès la mi-décembre et la désignation de son successeur, repoussée de quelques mois pour cause d’élection d’un nouveau souverain pontife, est imminente. Le prélat nous reçoit chez lui, dans l’ancienne abbaye des Prémontrés, devenue palais épiscopal sur décision de Napoléon. Il évoque sa succession, ses relations avec le monde politique, son père enrôlé dans la Wehrmacht… et les grand défis qui attendent l’Eglise.

Le Vif/L’Express : A 75 ans, vous gardez la santé. Vous auriez aimé rester évêque de Liège ?

Mgr Aloys Jousten : Si le pape m’avait demandé de jouer les prolongations un an ou deux, cela ne m’aurait pas dérangé. Mais j’ai atteint la limite d’âge prévue par le droit canon et Benoît XVI a accepté, en décembre, que je sois déchargé de ma charge épiscopale. Tout compte fait, 75 ans est un bel âge pour faire le point.

Qu’allez-vous faire après avoir passé le relais à votre successeur ?

D’abord, voyager. Je voudrais découvrir l’Inde, pays émergent qui m’impressionne sur les plans culturel et religieux et qui compte beaucoup de chrétiens. Je voudrais aussi retourner au Brésil et au Guatemala, où vivent deux prêtres de mon diocèse. L’Afrique est également un continent attachant. J’ai de la compassion à l’égard des Congolais, qui souffrent de l’absence d’Etat.

Lors de la cérémonie du 19 avril, organisée en la cathédrale Saint-Paul de Liège pour votre sortie de charge, vous avez évoqué  » tout ce qui a été mis en route et commence à porter ses fruits « . Conseillerez-vous votre successeur ?

Je pense que le prédécesseur de l’évêque en fonction doit se taire dans toutes les langues ! Je ne serai pas la belle-mère encombrante de mon successeur. Mais si le futur évêque de Liège veut me consulter, je serai disponible. Comme le pape émérite Benoît XVI quand François le sollicite.

Alphonse Borras, vicaire général du diocèse, vous compare volontiers au pape François : simplicité, écoute, foi. Un bel hommage !

Je ne connais pas le nouveau pape. Si je pouvais être aussi spontané et cordial que lui, ce serait formidable ! Je suis agréablement surpris par ses premiers gestes de chef de l’Eglise et plus encore par l’écho positif qu’ils ont eu, y compris chez les non-catholiques. Cela révèle une attente à l’égard de l’Eglise.

Vous admirez aussi beaucoup Benoît XVI. Lors de sa démission, vous l’avez qualifié d’homme  » formidable « . Ses prises de position n’ont pourtant pas toujours été appréciées par les croyants !

Je l’ai rencontré deux ou trois fois. Lui aussi est un homme simple. Il a pu apparaître crispé, il exprime sa foi en intellectuel et il n’a pas la spontanéité d’un Latino-Américain, mais il a l’intelligence du coeur, comme François. Je suis convaincu qu’il a été un beau cadeau pour l’Eglise.

Et vous, quel cadeau voudriez-vous recevoir pour votre départ à la retraite ?

Je voudrais surtout que le travail pastoral, dont l’évêque a la responsabilité, puisse continuer. Or nous manquons d’argent. Alors, le plus beau geste qu’on pourrait me faire serait une obole des diocésains ! Chacun donnerait, par exemple, cinq euros. Nous disposons, certes, d’un capital alimenté depuis des décennies par des legs, mais nos comptes sont dans le rouge. Je dois payer le traitement de l’économe, celui de la responsable des fabriques d’église, celui de la responsable du service de communication… Autrefois, nous n’avions pas besoin d’engager des laïcs : toutes ces fonctions étaient assumées par des clercs, ce qui allégeait le budget. Avec plus de moyens, nous pourrions relancer l’action pastorale familiale, l’accompagnement des couples…

Quelle est votre plus grande qualité ?

Ma présence sur le terrain, dit-on. Je réponds à toutes les invitations qu’on m’adresse.  » Tu es partout !  » me fait-on remarquer. J’aime aller à la rencontre des autres et manifester mon intérêt pour ce qu’ils font.

Votre plus gros défaut ?

Mon impatience. Je voudrais que les gens comprennent vite. Je suis tendu face à certaines lenteurs. Même si, par respect pour les autres, je m’efforce de me montrer serein.

Quelle est la pire bêtise écrite sur vous ?

Un journal local a titré :  » La messe des funérailles supprimée !  » Il est vrai que, face à la chute de la pratique dominicale, à la diminution du nombre de prêtres et au faible lien que beaucoup de croyants entretiennent avec leur paroisse, nous avons décidé que les funérailles seraient désormais célébrées sans eucharistie, sauf demande expresse de la famille. Cela n’a pas été bien compris. Nous avons eu de nombreux débats sur ce sujet, mais cela reste un thème sensible.

Vous avez condamné les violences homophobes, vous vous êtes prononcé contre l’expulsion d’immigrés clandestins, vous avez envoyé vos encouragements aux travailleurs licenciés d’ArcelorMittal. D’où vous vient cette fibre sociale ?

J’ai hérité de mon père le sens de la justice. A chacun son dû, disait-il. Il ne faut jamais porter de jugements hâtifs sur autrui. Je suis issu d’un milieu de fermiers et j’ai grandi en région germanophone, dans ces cantons d’Est rattachés à l’Allemagne en mai 1940. Mes parents ont eu une vie dure. Des membres de ma famille ont perdu leur emploi après la guerre, notamment l’une de mes tantes, institutrice. Mon père, lui, avait été enrôlé dans la Wehrmacht. Après le débarquement allié en Normandie, en 1944, il a été fait prisonnier par les Américains à Cherbourg.

Qu’est-il devenu ?

Avec d’autres soldats allemands, il a été transféré en train à Verviers. Des Belges ont jeté des pierres sur les wagons qui les transportaient ! Ces soldats de la Wehrmacht ne représentaient plus aucun danger, mais ils n’ont pu rentrer chez eux : mon père a passé plusieurs mois dans une prison verviétoise avant d’être libéré. Certains de ses camarades ont été maltraités à l’époque.

Ce passé familial vous a marqué ?

Il reste présent dans mon esprit. Chacun a son histoire, qu’il faut respecter. J’essaie toujours de me mettre à la place des autres pour comprendre leurs réactions. Les Belges, en 1944, étaient très remontés contre les Allemands. La plupart des simples citoyens ne pouvaient faire la part des choses. Cela dit, je suis surpris de constater qu’aujourd’hui, à Liège, des gens ignorent encore qu’il existe une région belge de langue allemande. Ils considèrent les germanophones comme des Allemands ! C’est ce que m’ont confirmé il y a peu des Liégeois originaires des cantons de l’Est.

Vous êtes une personnalité respectée à Liège, ville pourtant dirigée par des figures fort peu cléricales. Quelles relations avez-vous établies avec le monde politique ?

J’ai surtout des contacts avec les autorités provinciales, la magistrature… Comme représentant de l’Eglise, j’ai voulu montrer, par ma présence, que nous attendions une certaine attention des autorités civiles. J’ai aussi tenu à marquer mon soutien à ceux qui ont des responsabilités publiques, car ils n’ont pas la tâche facile : ils sont souvent critiqués par les citoyens.

On vous a vu aussi, il y a quelques années, dans les tribunes du Standard.

Le Standard affrontait Anderlecht à Sclessin. J’avais été invité dans les loges VIP. C’est la première fois que j’assistais à une rencontre de football. Le stade était en ébullition. Une véritable liturgie ! Dieumerci Mbokani, qui jouait alors chez les Rouches, a marqué le but décisif et tous les supporters du Standard ont chanté  » Dieumerci, Dieumerci ! » On a dit alors que c’étaient des mots qui devaient me faire plaisir !

Les prélats sont volontiers étiquetés conservateurs ou progressistes. On vous a dit plutôt  » centriste « . Finalement, dans quel camp êtes-vous ?

Les conservateurs m’agacent quand ils refusent tout changement au nom de la préservation de l’essentiel. Il y a moyen de servir l’essentiel sans rester accroché aux formes du passé. Cela dit, nous sommes dans le monde, mais pas du monde. Ceux qui réclament une Eglise plus  » moderne  » ne seront jamais satisfaits. Ils estimeront toujours que l’Eglise ne change pas assez.

Le grand défi, pour l’Eglise, c’est l’effondrement des vocations et un clergé en voie de disparition ?

C’est l’enjeu interne : mon diocèse compte 370 prêtres, dont seulement 120 sont encore réellement actifs. Et nous n’avons que trois séminaristes ! Comment, dès lors, assurer le renouvellement du clergé ? Accepter l’ordination d’hommes mariés est une question disciplinaire. C’est donc un chantier plus simple à ouvrir que celui de l’accès des femmes au sacerdoce, qui touche à la doctrine. Mais il faut bien réfléchir avant d’ouvrir la porte au changement. L’ordination d’hommes mariés ne doit pas être la réponse à l’insuffisance de prêtres. Il faut plutôt se demander pourquoi il n’y a plus de prêtres dans les paroisses. Est-ce uniquement l’exigence du célibat qui est la cause de la chute des vocations ? Je ne le pense pas.

Quelle solution, alors ?

Nous comptons une cinquantaine de prêtres étrangers dans le diocèse. La plupart sont africains et il y a trois ou quatre Polonais. D’autres diocèses ont importé encore plus d’étrangers. Mais je ne suis pas du tout favorable à cette solution, qui ressemble un peu trop au recrutement d’ouvriers immigrés sur les chantiers. Au lieu de nous demander comment avoir plus de prêtres, il faut plutôt réveiller nos communautés chrétiennes, les rendre plus vivantes, nourrir ceux qui veulent vivre leur foi à fond. On créera ainsi des petits groupes fervents, qui rayonneront, à l’image des premiers chrétiens, dont on disait :  » Regardez comme ils s’aiment !  »

Quelles sont vos convictions en matière bioéthique ?

Il me semble que la Belgique est déjà bien servie, aussi bien pour la fin de vie que pour son commencement. N’avons-nous pas une législation très libérale dans ces domaines ? Pourtant, le débat n’est pas clos. Certains voudraient aller encore plus loin dans la dépénalisation de l’euthanasie et le droit à l’avortement. Je pense qu’il faut plutôt éduquer les citoyens au respect de la vie.

Que pensez-vous de l’engagement des évêques français dans le débat politique sur le  » mariage pour tous  » ?

Il y a eu, en France, un vrai débat de société, à la fois vigoureux et profond, même si cette loi controversée a finalement été adoptée. En Belgique, nous n’avons pas, nous chrétiens, les forces nécessaires pour éveiller les consciences. En revanche, les milieux socialistes et libéraux, largement non-chrétiens, voire anti-chrétiens, parviennent, quand ils ont le pouvoir ensemble, à affirmer leur idéologie : ils ont fait passer sans remous les lois sur l’euthanasie, le mariage homo, l’adoption d’enfants par des couples gay… Quand l’ancien coprésident d’Ecolo, Jean-Michel Javaux, a révélé sa foi chrétienne, ses propos n’ont pas été bien accueillis dans son propre parti ! En constatant tout cela, je me dis que la Belgique est vraiment un pays particulier.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER ROGEAU – PHOTOS : DEBBY TERMONIA POUR LE VIF/L’EXPRESS

 » L’écho positif des premiers gestes du pape François révèle une attente à l’égard de l’Eglise  »

 » Il faut plutôt réveiller nos communautés chrétiennes, les rendre plus vivantes, nourrir ceux qui veulent vivre leur foi à fond  »

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