ÉLOGE DE L’AUTODÉRISION

Il faut prendre les dernières publications de Philippe Geluck, Peut-on rire de tout ? (Lattès) et La Bible selon Le Chat (Casterman), pour ce qu’elles sont :  » un grand délire « , de l’aveu même de l’auteur. Mais aussi et surtout – c’est ce qui a motivé le dossier du Vif/L’Express -, un aiguillon pour ouvrir un débat. Débat d’autant plus opportun qu’il interviendrait dans un contexte dépassionné, loin de l’hystérie provoquée, par exemple, par la publication en 2005 des caricatures de Mahomet par un journal danois.

Le livre de Philippe Geluck n’est assurément pas à laisser dans n’importe quelles mains. Certains le trouveront inventif, tendance Gotlib ; d’autres carrément vulgaire et de – très – mauvais goût. On ne pourra cependant pas reprocher au dessinateur du Chat d’avoir été discriminant. Aucune communauté n’est plus stigmatisée qu’une autre. Tout le monde en prend pour son grade. Avec plus ou moins de bonheur. Sur les appartenances confessionnelles, l’auteur ne cède jamais à l’amalgame entre la majorité de croyants respectables et une fraction minoritaire d’extrémistes. Son approche de l’homosexualité apparaîtra sans doute dépourvue des nuances élémentaires. Mais le lecteur saura replacer les propos dans le contexte d’un essai volontairement provocateur d’un  » humoriste dérangeant  » qui ne se veut  » ni philosophe, ni théoricien, ni journaliste « .

Le plus important est le débat que peut initier Peut-on rire de tout ? Après des décennies de chape de plomb fortement imprégnée d’interdits religieux, nos sociétés européennes ont vécu, dans les années 1970 et 1980, une jubilatoire liberté de ton et une salutaire liberté d’expression. Quarante ans plus tard, chacun reconnaît que les blagues  » potache  » d’un Coluche et les formules géniales d’un Desproges ne recueilleraient pas aujourd’hui le même accueil, enthousiaste ou indifférent. Pourquoi ? Le retour des crispations identitaires et confessionnelles justifie-t-il, à lui seul, ce raidissement ? La banalisation du recours à une certaine violence brime-t-elle la libre expression ? Comment expliquer que l’essor de la mondialisation se soit accompagné d’une montée des intolérances ? Voilà les questions que suscite implicitement la démarche de l’humoriste.

 » S’il est vrai que ce rire-là (le rire sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût) peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout « , assénait Pierre Desproges qui prétendait encore qu’  » on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui « . Oui, on peut rire de tout. Tout dépend du contexte et de l’intention. Mais définir des règles de l’humour  » permis  » est une fiction. Comme il est illusoire de prétendre qu’il n’a aucune limite. Démarche très personnelle qui relève de la conscience de chacun, humoriste, caricaturiste, éditeur, producteur… Plutôt qu’imaginer ériger, au-delà des législations existantes, des balises supplémentaires aux nouveaux  » fous du roi  » de notre société, c’est une culture de l’introspection, de l’autodérision et du dialogue qu’il serait opportun d’inculquer à tous. Vedettes et fans des réseaux sociaux n’en manquent pas. L’espoir d’un mieux vivre ensemble est donc permis.

de Gérald Papy

 » C’est une culture de l’introspection, de l’autodérision et du dialogue qu’il serait opportun d’inculquer à tous « 

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