Elections: la carte jeunes

Décontractés et décomplexés, les jeunes Suédois sont massivement engagés en politique. Au Parlement, un député sur quatre a moins de 40 ans. Et, à l’approche des élections générales, la vitalité de la campagne saute aux yeux.

DE notre ENVOYÉ SPÉCIAL

Devenir député à 30 ans, voire à 20 ? En Suède, cela n’a rien d’exceptionnel. A toutes les élections, on voit émerger une génération de parlementaires dont certains sortent à peine de l’université. Les chiffres sont là. Au Riksdag, la chambre des députés, sur 349 élus, 62 sont nés après 1970 : ils ne sont pas encore  » quadras « .

 » Dans les pays nordiques, la vie politique commence plus tôt qu’ailleurs, explique Tommy Möller, commentateur réputé et professeur de sciences politiques à l’université de Stockholm. Les ex-Premiers ministres suédois Olof Palme (social-démocrate) et Carl Bildt (conservateur) ou encore l’actuel titulaire du poste, Fredrik Reinfeldt (conservateur), 45 ans, sont devenus députés vers la trentaine et chefs de gouvernement autour de 40. Si un candidat à cette fonction avait 65 ans, cela déclencherait un débat national sur son âge avancé. « 

En arrivant dans ce pays de 9 millions d’habitants, on est immédiatement saisi par le vent de fraîcheur qui souffle sur la campagne pour les élections législatives (voir l’encadré) du 19 septembre. Sur les affiches, certains candidats ressemblent à des protagonistes de la Star Ac’, à l’image de Daniel Mathisen, 25 ans, candidat social-démocrate au look branché – jean moulant, tennis blanches, blouson cintré – qui fait campagne à l’aide d’un camping-car, de cinq véhicules et d’une armée de 250 partisans issus des rangs de la jeunesse de son parti. Sur les plateaux de télé aussi, la vitalité des jeunes candidats fait mouche. Décomplexés, mordants et rompus aux joutes verbales, ils traitent d’égal à égal avec les politiciens plus chevronnés, sans que personne trouve à y redire. Car, ici, la condescendance n’est pas de mise.  » Je n’ai jamais noté une telle attitude, observe ainsi Arba Kokalari, 23 ans, candidate de Moderaterna (les Modérés, conservateurs, au pouvoir) à Stockholm et conseillère du ministre des Affaires étrangères, Carl Bildt. Cela tient à notre culture de l’égalité homme-femme. Un principe qui s’applique aussi aux rapports intergénérationnels.  »

Les Suédois peuvent se flatter d’avoir une classe politique qui leur ressemble. Ainsi, Anders Borg, la locomotive électorale du camp gouvernemental. Agé de 42 ans, ce ministre des Finances est facilement reconnaissable avec son catogan et sa boucle d’oreille, qui produisent leur effet lors des conseils européens ! Une allure très rock’n’roll, qui n’empêche pas la rigueur budgétaire : les finances publiques de la Suède figurent parmi les plus saines d’Europe. Quant à la croissance, elle pourrait atteindre 4,5 % en 2010.

La coalition d’opposition rouge-verte affiche, elle aussi, sa décontraction et un style vestimentaire casual, à l’instar de l’écologiste Maria Wetterstrand. Redoutable débatteuse connue pour la rigueur de ses argumentations, cette biologiste a installé le parti vert au centre du paysage politique suédois en hissant sa formation à la troisième place, après les conservateurs et les sociaux-démocrates. Son âge ? 36 ans. Elle, dirige le parti depuis 2002.  » Je ne me sens pas particulièrement jeune « , confie ce  » vétéran « , qui envisage de passer la main. Et pourquoi pas à un autre surdoué de la politique, Gustav Fridolin ?

A 28 ans, ce dernier a lui aussi une longue carrière derrière lui. Militant vert depuis ses années de collège, il est devenu député à 19 ans – record à battre – et a notamment dirigé, en 2005, une commission d’enquête parlementaire qui avait mis en difficulté le gouvernement de l’époque. Ce n’est pas tout. Si l’opposition gagne, le 19 septembre, Fridolin pourrait devenir ministre, par exemple du Logement.  » Et n’allez pas croire que les jeunes ne s’occupent que des questions liées à la jeunesse : ils sont présents dans tous les débats « , prévient, avec raison, ce  » vieux briscard  » dont les dossiers de prédilection sont les transports, le logement ou encore la lutte contre le réchauffement climatique.

Les Suédois seraient-ils atteints d’une crise de jeunisme aiguë ? Non. Tout simplement, ils estiment qu’une démocratie représentative doit êtreà représentative.  » Ecouter une variété de points de vue est encore le meilleur moyen de prendre des décisions justes « , explique le député Oskar Öholm, 30 ans (centre droit). En 2008 et 2009, lors du vif débat sur la protection de la vie privée sur Internet, les politiciens de la génération montante étaient en première ligne. Les Suédois leur en sont reconnaissants. Ils leur doivent d’avoir obtenu des garanties de protection sur la vie privée, inscrites dans la Constitution.  » Les plus jeunes ont vu avant tout le monde le danger qu’il y avait à laisser la police fouiller sans contrôle dans les ordinateurs des citoyens « , pointe Maria Ferm, 25 ans, porte-parole des écologistes et candidate à Stockholm.

Reste une question : les députés de 20, 25 ou 30 ans possèdent-ils vraiment la maturité et l’expérience suffisantes pour engager la nation par leur vote ?  » Je n’ai pas moins d’expérience ; j’ai une expérience différente, objecte Annie Johansson, 27 ans, députée du Centerpartiet (centriste) et benjamine du Parlement sortant. La réalité du monde estudiantin m’est encore assez proche ; j’ai des amis qui galèrent au chômage ; et j’ai grandi dans un monde globalisé avec un ordinateur à portée de main vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans tous ces domaines, j’ai certainement les idées plus claires que bien des élus plus âgés. « 

Pour comprendre à quelle source les jeunes Suédois puisent leur certitude d’être indispensables au bon fonctionnement de la démocratie, il faut visiter les établissements scolaires où ils ont grandi. A Järfälla, dans la banlieue de Stockholm, où vivent des immigrés originaires des cinq continents, l’enseignante Lotta Björkman consacre de nombreuses journées à sensibiliser ses élèves à la démocratie.  » Par exemple, raconte-t-elle, je constitue cinq ou six groupes dont chacun doit créer un parti afin de défendre une cause qui lui est chère. Certains fondent le Parti des chats, d’autres, celui des chiens ou des hamsters, d’autres encore, le Parti des Latinos ou des Somaliens.  » Après quoi, les élèves doivent élaborer un programme, développer des arguments et convaincre leurs camarades de voter pour eux. Puis chacun dépose son bulletin secret dans une urne.  » Apprendre aux enfants à s’exprimer en public et à plaider une cause est au c£ur de notre système éducatif « , décrypte Lotta Björkman. Rien d’étonnant à ce que, par la suite, les jeunes candidats soient à l’aise dans les débats télévisés.

En période électorale, les collégiens et lycéens multiplient les exposés sur les programmes des formations politiques. Des jeux de rôle sont organisés sous la forme de débats où les élèves endossent le point de vue d’un parti donné. De son côté, la commune organise chaque année une Semaine de la démocratie. Les élus locaux viennent alors expliquer aux collégiens et lycéens en quoi leur travail consiste et comment les institutions fonctionnent. Enfin, en période électorale, comme actuellement, les campagnes se déroulent en grande partie dans les lycées et les universités. De nombreux débats sont organisés dans les campus par les puissants mouvements de jeunesse affiliés aux différents partis.

 » La présence massive des jeunes à tous les niveaux de la vie politique permet à la social-démocratie de se réformer avec lucidité, créativité et responsabilité « , estime Louis Chauvel, professeur à Sciences po Paris, qui se livre à l’étude comparée des pyramides des âges dans les Parlements du monde.

AXEL GYLDéN AVEC MAGALI LAGRANGE

 » Je n’ai pas moins d’expérience, j’ai une expérience différente « 

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