Ecrire, c’est courir

Si l’homme pratique volontiers l’humour, l’écrivain excelle à scruter d’un regard fraternel la détresse et les tribulations des êtres désarmés.

Alternant romans et nouvelles qui lui ont valu, entre autres prix, le Rossel pour Une vie d’oiseau (1988), Michel Lambert est un écrivain dont les livres reflètent une approche de la vie et des êtres particulièrement fraternelle et subtile. Ce dont témoignent avec évidence des romans comme La rue qui monte ou encore Fin de tournage, paru cette année. Il est aussi, avec Carlo Masoni, le fondateur du prix Renaissance de la nouvelle, dont le rayonnement s’étend au-delà de nos frontières. Dans la vie, ce guetteur de nos très petites fêlures (référence à son premier recueil de nouvelles) mêle avec art l’angoisse d’un perfectionnisme de bon aloi et un sens de l’humour qui ne boude pas la facétie. Ne lui prête-t-on pas, d’ailleurs, la création d’un personnage aux multiples facettes, dont les apparitions plus ou moins fugitives émailleraient les livres d’écrivains amis et complices, tant belges que français? Peut-être ce qui suit éclairera-t-il quelque peu ce point de petite histoire.

« Marié 27 fois avec la même femme »

Michel Lambert est né en 1947 à Aïcha -beau nom de femme ou de fée pour « marrainer » un berceau-, dans le Kivu, et la légende familiale veut que son père ait appris sa naissance par tam-tam à 50 kilomètres de là. « Rentré » en Belgique à 17 mois (il n’a donc gardé aucun souvenir de sa vie africaine), il vit d’abord à Anvers, puis à Liège et, actuellement, dans le Brabant wallon, « marié 27 fois avec la même femme », Françoise, et père de deux filles. Surprise: cet écrivain de la précarité est licencié en administration des affaires. « Cela peut sembler étonnant en effet, alors que je n’ai le goût ni de l’argent (encore qu’il soit bien nécessaire) ni, surtout, du pouvoir. Il m’apparaît pourtant qu’il y a des similitudes entre la démarche économique et la démarche artistique. Tout comme l’homme d’affaires doit s’informer, gérer et décider, l’écrivain se documente, gère des émotions et doit choisir celle qui rendra le mieux son propos. Dans les deux cas, l’impératif d’efficacité est là. Mais cela dit, ma vraie université a été, je crois, la course à pied. Je l’ai pratiquée longtemps jusqu’à ce que des tendinites à répétition m’obligent à me rabattre sur la marche, qui reste pour moi une pratique quotidienne. A l’époque de la course, je m’entraînais à raison de 15 kilomètres par jour et participais le dimanche à des cross-countries. Par la suite, j’ai toujours considéré qu’écrire et courir, c’était un peu la même chose. Le tout est de tenir bon, de franchir la ligne d’arrivée. Peu importe la position: à chacun selon ses moyens. On a écrit à propos du personnage de Fin de tournage qu’il faisait preuve de « l’endurance des grands blessés ». Il me semble que c’est vrai de la plupart de mes personnages, et ce n’est peut-être pas sans rapport avec la situation du coureur à pied qui, par les souffrances qu’il endure tout au long du parcours, accède à une certaine forme de dignité. Côté sport encore, et pour l’anecdote, j’ai fait de l’escrime, où j’étais nul, et du vol à voile, qui me flanquait la frousse…

Un gaucher auditif

Mais, côté profession – il faut bien vivre -, Michel Lambert a opté pour le journalisme. Un choix dont il retient des éléments positifs. « Le journalisme m’a appris essentiellement deux choses. Par l’interview, à être simple et naturel dans les dialogues. Par la démarche, à me documenter, à chercher les éléments concrets qui font vrai dans une fiction et la crédibilisent. A propos de fiction, j’ai à me libérer d’un aveu lourd à porter: un jour, on me demande d’écrire un article sur un sujet que je ne connaissais pas du tout. Je râle, je glane des informations à gauche et à droite, j’invente peut-être un peu et, pour exprimer ma contrariété et faire endosser mon ignorance à un autre, je signe d’un pseudonyme assez extravagant. Ce fut le premier méfait de ce personnage dont, ensuite, j’ai été bien en peine de contrôler les agissements… »

Passons sur cette contrition très imparfaite pour constater qu’en dehors de l’écriture, les passions de Michel Lambert sont éclectiques. Il dit ne rien entendre à la musique et être ce que l’on appelle « un gaucher auditif », ce qui ne l’empêche pas de dormir. « Par contre, je m’intéresse beaucoup à la peinture, à la gravure et au dessin. Je suis avant tout un visuel et je crois que cela se traduit bien dans mes livres, dont certains ont parfois souligné le côté cinématographique. »

Ce « gaucher auditif » retrouve toute l’acuité de son ouïe pour satisfaire une passion plus étrange et quasi perverse: le téléphone. « Je crois qu’il a été créé pour moi et que c’est bien la plus grande invention depuis l’écriture. C’est aussi ma ruine: j’en use et parfois en abuse, par exemple pour faire des blagues qui ne m’ont pas valu que des amis. Mais un canular, c’est déjà de la fiction, donc une démarche d’écrivain! »

Mais Michel Lambert pratique d’autres démarches d’écrivain que le canular. Il anime des ateliers d’écriture dans un centre culturel comme il l’a fait autrefois à la prison de Nivelles et le fait encore au centre de santé mentale Antonin Arthaud, dirigé par un de ses amis, l’écrivain et psychiatre François Emmanuel. « Cette expérience a profondément marqué mon regard sur le monde, sur les autres, et m’a définitivement confirmé dans mon choix de parler avant tout de ceux que la vie a humiliés. De toute façon, c’est, depuis mon premier livre, une pente naturelle. »

Quant à la paternité, partagée avec Carlo Masoni, du prix Renaissance de la nouvelle, attribué chaque année par un jury franco-belge à Ottignies-Louvain-la-Neuve, elle lui est particulièrement chère. « Je crois que je suis aussi fier de ce prix que d’un livre publié. Il va bientôt fêter sa onzième édition et, au fil des ans, il suscite de plus en plus de convoitise chez les auteurs et éditeurs. C’est aussi et surtout le lieu de rassemblement d’amis qui partagent tous la même passion. Et qui aiment aimer, ce qui n’est pas le cas de tous les critiques ni de tous les écrivains. »

Ghislain Cotton

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