Ecolo n’est pas (encore) un grand parti

Les Ecolos ont gagné les élections, mais sans parvenir à faire jeu égal avec le MR et le PS. Partie remise ?

Le 7 juin, dénicher un endroit où garer son vélo dans les rues voisines de La Tentation, la salle où Ecolo avait établi son QG bruxellois d’un soir, relevait de l’exploit. A 300 mètres à la ronde, des dizaines, voire des centaines de bécanes étaient accrochées aux poteaux d’éclairage ou aux barrières, dans un joyeux désordre. La bicyclette : voilà peut-être ce qui identifie le sympathisant écolo nouvelle formule, sans complexe vis-à-vis du pouvoir, mais tenace dans son opposition à la bagnole…  » Ce soir, on a tous rajeuni de dix ans « , s’exclamait Benoît Hellings, le visage radieux, les cheveux ébouriffés, après l’annonce des premiers résultats. Façon de dire qu’après avoir mangé son pain noir, Ecolo retrouve le niveau qui était le sien en 1999. Suppléant d’Isabelle Durant, promise à d’autres cieux, Benoît Hellings devrait bientôt siéger au Sénat. A 31 ans, il symbolise cette nouvelle génération d’élus écologistes qui s’apprête à entrer en action. C’est le premier effet de la vague verte : parmi les 38 députés wallons, bruxellois, germanophones et européens que compte à présent Ecolo, 27 n’ont aucune expérience parlementaire.

Les verts, grands vainqueurs des élections. Pour s’en convaincre, il suffisait d’écouter les félicitations que leur adressaient Joëlle Milquet, Didier Reynders et Elio Di Rupo, le soir du 7 juin. Pourtant, il manque toujours un chouia à Ecolo pour s’imposer comme un  » grand  » parti. Par rapport à 1999, le statu quo prévaut : 18 % en Wallonie et 20 % à Bruxelles. Exactement le même résultat qu’il y a dix ans. De plus, l’écart qui sépare Ecolo des deux partis dominants demeure important : 14 sièges en Wallonie, contre 29 pour le PS ; 16 sièges à Bruxelles, contre 24 pour le MR (voir les tableaux en p. 14).

Le piège était trop bien tendu

Sans doute les écologistes ont-ils perdu des plumes dans l’ultime ligne droite. Pris en étau entre les attaques des libéraux, qui ont agité l’épouvantail de la  » rage taxatoire « , et le coup de poker d’Elio Di Rupo, qui a abattu sa dernière carte en brandissant la menace d’un  » bain de sang social « , Jean-Michel Javaux n’a pas trouvé la parade. Comment l’aurait-il pu ? Le piège était trop bien tendu.  » La tournure prise par la dernière semaine de campagne électorale a entraîné quelques transferts de voix, à la fois vers le MR et vers le PS, note Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB. Il s’agit d’un impact minime, mais cela représente peut-être les 2 % d’électeurs qui ont manqué à Ecolo pour franchir le cap symbolique des 20 % en Wallonie.  »  » J’ai senti très clairement la différence dans la dernière semaine de campagne, confirme Isabelle Meerhaeghe, une des nouvelles députées wallonnes Ecolo. Le dimanche avant les élections, sur le marché de Charleroi, plusieurs personnes nous ont ressorti les écotaxes. Cela n’était jamais arrivé depuis le début de la campagne. La manipulation orchestrée par les autres partis a fonctionné auprès d’une partie de l’électorat. « 

La vague verte est-elle passagère ? Ou s’agit-il d’une vraie lame de fond ? Aux élections européennes, les listes écologistes ont progressé en Grèce, en France, en Allemagne, au Luxembourg, en Suède, et encore au Portugal. A l’inverse, les partis socialistes ou sociaux-démocrates s’écrasent partout. Certains analystes y voient l’amorce d’un renversement structurel : à l’avenir, les socialistes pourraient perdre leur statut de force dominante à gauche. En France, par exemple, la liste Europe Ecologie emmenée par Daniel Cohn-Bendit et José Bové a recueilli plus de 16 % des voix, et talonne désormais le Parti socialiste. Dès le 8 juin, le quotidien Le Monde s’interrogeait :  » L’écologie est-elle en train de s’imposer comme la grande utopie du xxie siècle ? « 

Bizarrement, Ecolo ne semble pourtant pas lorgner la place de premier parti. Jean-Michel Javaux a mené une campagne rassurante, très centriste, en restant évasif sur de nombreux sujets (l’immigration, la fiscalité…).  » Javaux se camoufle « , jugeait récemment Louis Tobback, éminence grise des socialistes flamands, dans Le Vif/L’Express. On peut y voir une preuve de maturité : en 1999, les verts avaient promis à leurs électeurs qu’une fois au gouvernement ils obtiendraient la disparition des centres fermés. On connaît la suite… La nouvelle stratégie d’Ecolo consiste-t-elle à endosser le rôle de parti-pivot, à équidistance des libéraux et des socialistes, un peu à la façon du PSC jadis ? C’est possible. Les Ecolos refusent en tout cas de se profiler comme les héritiers, même lointains, du mouvement ouvrier. Ils n’affichent pas non plus l’ambition d’évincer le PS et de conquérir le leadership à gauche.  » Le traumatisme de 2003 est encore trop présent chez Ecolo pour que le parti se lance dans une stratégie aussi offensive, estime Jean-Benoît Pilet. S’ils arrivent à se stabiliser entre 15 et 20 % lors des prochaines élections fédérales, tout en étant au pouvoir en Wallonie et à Bruxelles, d’autres voies s’ouvriraient alors à eux. Dans ce cas, les élections communales de 2012 seraient décisives. A Namur, à Forest, voire à Liège, ils pourraient viser ouvertement le maïorat.  » Une fois le déclic opéré au niveau communal, les Ecolos oseront peut-être mener une campagne plus combative aux régionales de 2014. Sauf que, d’ici là, d’innombrables facteurs risquent de venir perturber l’équation…

Jusqu’à présent, l’histoire d’Ecolo a été marquée par des flux et reflux successifs : victoires en 1989 et 1991, défaite en 1995, victoire en 1999, défaites en 2003 et 2004, victoires en 2007 et 2009. Le parti va-t-il, enfin, parvenir à stabiliser son électorat ? La conscience écologique de la population a sans doute progressé. Selon certaines estimations, le  » noyau dur  » d’Ecolo, c’est-à-dire les électeurs acquis aux thèses vertes, tournait autour de 8 % au début des années 2000. Il représenterait aujourd’hui entre 10 et 12 % de l’électorat. Comment persuader les autres de rester fidèles à Ecolo ?  » Tout l’enjeu, c’est de convaincre les classes populaires, et notamment les personnes d’origine étrangère, sans rentrer dans le jeu du simplisme ou du communautarisme. Et ça, ce n’est vraiment pas partie gagnée, admet Sarah Turine, députée bruxelloise. J’ai quand même l’impression que, parmi ce public-là, ceux qui ont voté pour nous l’ont fait par rejet des autres partis plus que par adhésion au projet Ecolo.  » Une crainte que confirme à sa manière Zakia Khattabi, elle aussi députée bruxelloise :  » J’espère me tromper, mais peut-être qu’à l’avenir notre discours restera trop complexe et qu’Ecolo n’arrivera pas à rallier ce public populaire. L’essentiel, c’est que notre projet permette l’émancipation de ces populations-là.  » Pour les écologistes, le plus dur commence maintenant : donner corps aux espoirs placés en eux par un électeur sur cinq.

FRANÇOIS BRABANT

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