» Ecolo a bien trop peur de mettre Marcourt de mauvaise humeur « 

Dépité d’avoir si peu prise sur les événements, l’écologiste Eric Jadot quitte le Parlement fédéral. Ce conseiller communal de Herstal déplore aussi l’impuissance du politique face au groupe sidérurgique Mittal. Et fustige Ecolo. Interview de sortie.

Eric Jadot ne se représentera pas devant l’électeur, en mai prochain. Après avoir passé cinq ans de sa vie sur les bancs du Parlement fédéral, il quittera la politique nationale mais conservera son siège de conseiller communal à Herstal, qui correspond à ce qu’il voulait faire en s’engageant en politique. Son bilan n’est pas celui dont il rêvait. Et la rudesse du monde politique le laisse amer.

Le Vif/L’Express : En tant que Liégeois, vous avez suivi de près le dossier Mittal. Quelles conclusions en tirez-vous, maintenant que son volet social est bouclé ?

Eric Jadot : C’est un dossier emblématique de la capacité, ou non, du politique, à affronter un groupe représentatif du grand capital. On savait qui on avait en face de nous : un tigre industriel qui, en plusieurs endroits du globe, n’a pas tenu ses promesses. Je ne vois pas pourquoi il aurait eu davantage de conscience sociale à Liège qu’ailleurs ni pourquoi il n’aurait pas traité Liège comme ses autres sites, c’est-à-dire comme une variable d’ajustement conjoncturel. Or face à ce groupe, qu’a-t-on vu comme réaction politique ? Jean-Claude Marcourt (ministre wallon et socialiste de l’Economie) dans un exercice de gesticulations à la Arnaud Montebourg. Cela m’a dérangé parce que cela n’a en rien impressionné Mittal et parce qu’il a ainsi créé de faux espoirs chez les travailleurs. Dans certaines interventions publiques, il a par exemple lancé à l’encontre de Mittal :  » Nous utiliserons tous les moyens pour vous faire plier.  » Ce n’est pas cela qui s’est passé.

Vous pensez à la menace d’appro-priation de l’outil sidérurgique par la Région wallonne…

En mai dernier, Marcourt déclarait qu’il ferait passer au plus vite le décret. Sept mois plus tard, ce décret n’est pas voté. S’il avait voulu l’urgence, il l’aurait obtenue.

Quels étaient les enjeux dans l’affrontement avec Mittal ?

Il y en avait trois : assurer l’avenir d’une sidérurgie intégrée à Liège ; assurer la dépollution et l’assainissement de ce site implanté dans une région socialement, économiquement, et écologiquement sinistrée ; et défendre les droits et les familles des travailleurs concernés. Le premier objectif n’est pas atteint. Certains outils sont mis sous cocon, ce qui veut dire que leur réutilisation dépendra de la conjoncture, forcément incertaine. En outre, qui dit mise sous cocon dit non-paiement, par Mittal, de l’assainissement du site. Sur le plan de la dépollution, la cokerie, qui est la structure la plus polluante et la plus nocive pour la santé des habitants, devrait être revendue aux Américains d’Oxbow Carbon. A quelles conditions en termes de protection de la santé publique ? Pour l’instant, nous n’avons aucune garantie là-dessus. La vente devrait être ferme à la fin mars 2014. Enfin, sur le plan social, l’accord obtenu par Marcourt est bon. Il s’est battu pour. Mais force est de reconnaître qu’il est également favorable à Mittal. Le politique ne sort pas vainqueur de cette confrontation : la politique de combat contre le grand capital a échoué. La politique de soins palliatifs, en revanche, est noble. Son coût est excessif, mais sans cela, ce serait un effroyable bain de sang social. Et là, les travailleurs auraient vraiment tout perdu.

Qu’aurait pu faire le gouvernement wallon ?

Il aurait fallu plus de pugnacité sur le décret relatif à l’appropriation de l’outil, plus d’humilité et aussi plus de transparence vis-à-vis des travailleurs, auxquels il ne fallait pas faire croire n’importe quoi.

Voilà pour le passé. Et maintenant ?

Il faut faire voter d’urgence le décret sur l’appropriation, au cas où d’autres cas similaires se produiraient. Cela ne doit pas être du bluff. Il faut, derrière, des responsables politiques qui y croient. L’autre piste pour se défendre face à un groupe comme Mittal, c’est l’Europe. Elle seule peut éviter la mise en concurrence des travailleurs et permettre un vrai projet industriel. L’intervention de Frédéric Daerden (PS) à ce sujet au Parlement européen était courageuse. Il est, pour moi, l’homme le plus prometteur et le plus visionnaire du PS liégeois. Pour en revenir à l’Europe sociale, bien sûr, elle n’est nulle part. Elle est à construire. Mais si on la perd, ce sera pire.

Vous avez annoncé que vous ne seriez plus candidat en mai 2014. Parce que, avez-vous déclaré, vous n’avez plus envie de vous lever le matin pour  » aller au Parlement poser des questions à des ministres qui n’en ont rien à faire « . C’est vraiment votre sentiment ?

Disons que les dossiers sur lesquels je travaille évoluent tous négativement : les prisons, les naturalisations, le climat… Sur ces sujets, nous sommes tout le temps battus. Tous les six mois, je repose aux mêmes ministres les mêmes questions qui s’y rapportent et j’obtiens chaque fois des réponses totalement insatisfaisantes.

Une déconvenue ?

J’ai sans doute une vision romantique et un peu désuète du travail parlementaire. Je m’attendais à être entendu, relayé et, dans le meilleur des cas, que ce travail induise un changement. Or sur ces trois points, le bilan est très limité. Il y a plein de parlementaires qui font bien leur travail et je reste convaincu par le fonctionnement de notre démocratie. Mais je ne me voyais pas continuer comme ça.

Vous êtes-vous senti soutenu par Ecolo tout au long de cette législature ?

Non. Se battre au Parlement, où l’on est parfois rembarré durement par des politiques expérimentés, c’est déjà dur. Mais si on doit en plus se battre en interne, c’est épuisant. On aimerait se sentir soutenu dans son parti… A titre personnel, je ne peux pas me contenter d’un rôle de presse-bouton. Je n’aurais jamais pu donner cette interview, par exemple, si j’avais demandé l’aval du parti.

Pourquoi ?

Ecolo a bien trop peur de mettre Marcourt de mauvaise humeur et de le payer cher au sein du gouvernement wallon.

Est-ce pour cette raison que l’on n’a pour ainsi dire pas entendu les chefs de file écologistes wallons sur le dossier Mittal ?

Il me semble qu’un parti au pouvoir a le droit et le devoir de prendre la parole sur un sujet comme celui-là.

Mais Ecolo participe à une coalition tripartite, ce qui le contraint à une certaine loyauté. Considérez-vous que pour avoir une liberté de parole, Ecolo doit, presque par principe, se trouver dans l’opposition ?

Non. Je pense que l’équilibre, pour Ecolo, est exactement entre la participation au pouvoir et la non-participation. Je ne crois pas qu’Ecolo veuille à tout prix rester au pouvoir. Mais Jean-Marc Nollet bien.

Comment la direction d’Ecolo a-t-elle réagi quand elle a appris que vous ne vous présenteriez plus ?

Silence radio. Et un peu de mépris. Je crois qu’elle a peur que je termine mon mandat sous l’étiquette  » indépendant « . Je suis convoqué en janvier par la direction pour un entretien de conciliation.

Pensez-vous effectivement à siéger comme indépendant ?

Si cela ne tient qu’à moi, je garde ma casquette Ecolo, celle de mes amis militants, mais il est vrai que j’ai exprimé un certain ras-le-bol par rapport au parti.

Etes-vous séduit par le projet politique du nouveau parti, Vega, lancé, entre autres, par l’ancien Ecolo Vincent Decroly ?

Je trouve son discours juste sur pas mal de choses mais je n’envisage pas de le rejoindre. D’une manière générale, j’ai plutôt un a priori positif sur tout ce qui se passe actuellement à la gauche du spectre politique. Cela force Ecolo à se repositionner comme une structure de rupture et pas de gestion.

Selon vous, à quand remonte ce basculement chez Ecolo ?

A 2003, avec l’arrivée à la présidence de Jean-Michel Javaux. A partir de là, Ecolo s’est professionnalisé, a appris les grands écarts et a perdu, du coup, une partie de son esprit de combat.

Vous avez annoncé que vous quitteriez le Parlement en emportant vos indemnités de sortie, soit environ 100 000 euros…

Oui. Tout le monde le fait mais personne ne le dit. Je préfère être transparent. Sur ce montant, 55 000 euros vont partir en impôts. Je n’ai à ce jour aucun poste professionnel qui m’attend. Je pense avoir besoin d’une zone tampon pour atterrir après avoir quitté la politique. Ce sera déjà dur comme ça alors, s’il n’y avait pas cette enveloppe… Enfin, ces indemnités figurent dans les termes du contrat de départ. J’arrive à la fin d’un CDD (contrat à durée déterminée) de cinq ans, en quelque sorte.

Entretien : Laurence van Ruymbeke; L.v.R.

 » Je ne crois pas qu’Ecolo veuille à tout prix rester au pouvoir. Mais Jean-Marc Nollet bien  »

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