Dunkerque, mai 1940

En lisant ces lignes, Jean Vanwelkenhuyzen avoue être « tombé des nues ». Ancien président du Comité international d’histoire de la deuxième guerre mondiale, auteur de nombreux livres (dont « Miracle » à Dunkerque, aux éd.Racine en 1994), il récuse farouchement l’accusation de partialité. Récusation qu’il appuie d’un texte – inédit – rédigé en 2000, au moment du soixantième anniversaire de la fin du rembarquement de Dunkerque, texte que nous publions ici.

Qui a sauvé le Corps expéditionnaire britannique ?

La question fait penser à une boutade du général Joffre au lendemain du « miracle » de la Marne : « Je ne sais pas qui a gagné la bataille, mais je sais qui l’aurait perdue ! ».

Dans la littérature historique, les candidats se pressent aussi au portillon pour revendiquer le mérite d’avoir permis à la Grande-Bretagne de sauver sa mise en France en 1940. En réalité, comme c’est souvent le cas, beaucoup de facteurs ont conjugué leurs effets, la plupart nécessaires sans être suffisants pour autant.

Au départ, joue le réflexe traditionnel de la stratégie britannique d’assurer les lignes de communications. A partir du moment où la British Expeditionary Force a couru le risque d’être coupée de ses bases en Normandie, la réaction de lord Gort a été de garantir l’accès aux ports du Nord, Dunkerque en particulier, et de ne plus en démordre.

Se greffe là-dessus le pragmatisme insulaire. Dès le 17 mai 1940, devant les signes avant-coureurs d’un effondrement de la France, Churchill fait étudier les problèmes qui se poseraient s’il devenait nécessaire de rapatrier le corps expéditionnaire. Deux jours plus tard, le chef d’état-major de la B.E.F. prévient le War Office que la seule issue pourrait être un repli vers les ports de la Manche. Aussitôt, l’Amirauté est invitée à faire face au cas où le rembarquement s’imposerait. La détermination du Premier ministre britannique lui inspire de poursuivre la lutte, quelle que soit la tournure de la campagne en cours sur le continent.

Dans le même temps, les Panzerdivisionen continuent leur chevauchée fantastique vers la côte. Elles l’atteignent en fin de journée du 20 mai 40. Gort n’a pas attendu l’isolement accompli pour esquisser une défense de son flanc droit. Elle est jalonnée par la Canal Line, qui court de Gravelines à La Bassée, et vers laquelle il dépêche tout ce qu’il a sous la main. Le « coup de boutoir » qu’il assène en débouchant d’Arras, le 21, lui ménage un délai. Le réalignement de la B.E.F. le long de la frontière franco-belge, à partir du 21, assure la gauche de ce qui deviendra son corridor d’évacuation. Le souci de garder libre une façade maritime inspire aussi le commandement belge. Le 23 mai, il fait transporter sur ses camions la 68e D.I. française vers Gravelines. S’ébauche ainsi la défense d’une tête de pont internationale délimitée par le canal de Dérivation, la Lys et le canal de l’Aa, l’armée belge garnissant le front en territoire national, autrement dit la gauche et la majeure partie du centre de la « place d’armes adossée à la mer ».

Une course contre la montre s’engage alors entre l’organisation de ce réduit interallié et l’avance des blindés à croix noires qui menace de le prendre en enfilade et de le couper du large. Les chances d’y réchapper sont des plus minces, pour ne pas dire nulles. La partie est trop inégale. Le 24 mai, la ligne de l’Aa est sur le point de céder de Gravelines à Béthune. A pied d’oeuvre, il n’y a qu’un rideau pour contenir le rouleau compresseur de l’ennemi. Juste à ce moment survient le deus ex machina. Au milieu de la journée, Hitler arrête ses blindés ! Il croyait réglé le sort des armées prises dans la poche des Flandres. Il veut garder le fer de lance de ses forces pour écraser la France.

370 000 hommes sauvés

Le « miracle » n’en aurait pas été un sans les préparatifs entamés à Londres et à Douvres depuis quelques jours, ni à supposer que Gort eût négligé son couloir d’évacuation. Il faut toutefois deux jours pour que Whitehall se fasse à l’idée qu’il serait téméraire de tabler encore sur un redressement de l’armée française. L’ordre de rembarquer tombe le 26 à 18 h 57. L’avancement des préparatifs est tel que l’opération Dynamo débute séance tenante.

Entre-temps, la manoeuvre allemande, arrêtée à droite, s’est déplacée à gauche. Depuis le 24, l’armée belge subit le choc sans aucune aide. Rien ne détourne Gort du sauvetage de la B.E.F., pépinière de l’armée britannique qui nous libérera en 1944. La Royal Navy, secondée par une fourmilière de petits bâtiments, abat une besogne considérable. La Royal Air Force dispute le ciel avec succès à la Luftwaffe.

Pendant quatre jours, l’armée belge tient l’artillerie allemande hors de portée des plages par où les troupes de Sa Gracieuse Majesté s’échappent. Elle attire sur elle une part importante de l’aviation du Reich. Quand, à bout de ressources, elle cesse le feu le 28 à 4 heures du matin, un temps précieux a été gagné au profit des Britanniques. Les Allemands lui en tiennent rigueur. Sa résistance a fait échouer le plan qui consistait à réaliser, en perçant le front belge, ce que l’ordre de Hitler a empêché les chars d’accomplir en montant de Gravelines.

Dans les jours qui suivent, le rembarquement se poursuit, couvert par la résistance conjointe de troupes françaises et britanniques. A partir du 2 juin, les Français sont seuls à tenir encore le périmètre. Le rembarquement se prolonge à leur bénéfice jusqu’à l’aube du 4 juin.

En fin de compte, quelque 370 000 hommes sont sauvés, dont un tiers de Français et deux de Britanniques. Le « miracle » a réussi grâce à beaucoup de concours. En tête figure, bien entendu, l’erreur imprévisible de Hitler. Mais en tirer parti n’a été possible que parce que les Britanniques avaient pris à temps les dispositions nécessaires. Encore n’eussent-elles pas donné le même résultat sans la couverture dans laquelle Belges et Français ont joué un rôle. A défaut de ces aides, nul ne sait ce qui serait advenu de l’occasion née d’un kolossal faux calcul de l’adversaire.

Jean Vanwelkenhuyzen

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