Du danger de la prophétie

Sans vouloir surinterpréter les symboles, la mort de Samuel Huntington, le 24 décembre 2008, dépasse largement le cadre de la rubrique nécrologique. Professeur à Harvard pendant cinquante-huit ans, Huntington est devenu, à la suite d’un simple article publié dans la revue Foreign Affairs, en août 1993, prolongé par un livre, l’un des politologues les plus controversés de la fin du xxe siècle, tant pour la véhémence de ses thèses que pour la vive dispute qu’elles ont provoquée. Non seulement sa théorie du  » choc des civilisations  » (clash of civilizations) a conforté les néoconservateurs lors des attentats du 11 septembre 2001, mais elle a largement inspiré les raisonnements et l’action de la Maison-Blanche dans les années qui ont suivi. Bien que Huntington ait ensuite adouci son point de vue, il n’est pas anodin que son décès survienne alors que George W. Bush s’apprête à quitter le pouvoir.

Il reste que, dans le monde entier, la thématique du  » choc des civilisations  » a fait florès au point de passer dans le langage politique courant, au grand désespoir des nombreux tenants de la théorie opposée. Le 27 août 2007, durant son discours aux ambassadeurs français, Nicolas Sarkozy avait déclaré que nous aurions tort de  » sous-estimer  » la possibilité d’une  » confrontation entre l’Islam et l’Occident « . Ce n’est qu’un exemple. Pourtant, l’objectif premier de Huntington était de contrer une autre thèse célèbre, celle de son élève Francis Fukuyama, auteur de La Fin de l’Histoire et le dernier homme. Fukuyama pensait qu’après la chute du communisme, l’évolution de toute l’humanité vers l’économie de marché et la démocratie libérale serait  » inexorable « . Ce à quoi Huntington objectait :  » L’essence de la culture occidentale, c’est le droit, pas le McDo. Le fait que les non-Occidentaux puissent opter pour le second n’implique pas qu’ils acceptent le premier.  » Avait-il complètement tort sur ce point ? Il a eu tort, en tout cas, de défendre une vision conflictuelle, essentiellement fondée sur les grandes peurs de l’Occident. C’est Edward Saïd, éminent intellectuel américain d’origine palestinienne, qui lui aura le mieux répliqué :  » Peut-on diviser la réalité humaine [à] en cultures, histoires, traditions, sociétés, races même, différant évidemment entre elles, et continuer à vivre en assumant humainement les conséquences de cette division ? « 

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