Det Norske Solistkor, une des trois formations qui, trois soirs durant, enchanteront le Klarafestival. © THE NORWEGIAN SOLOISTS

Du choeur à l’ouvrage

Mis à l’honneur au Klarafestival, les groupes vocaux, petits ou grands, font de nombreux adeptes en Belgique. Coup de projecteur sur ces curieux organismes (très) vivants de chanteurs passionnés.

 » Se produire à plusieurs centaines – dans un Requiem de Mozart ou une symphonie de Mahler, par exemple -, avec cette impression de puissance et les poils qui se dressent sur la peau, procure une sensation tout autre que de chanter en assemblée restreinte, là où la voix compte vraiment.  » Membre depuis l’adolescence de diverses formations vocales ( » pour varier les plaisirs « ), Gwena, 50 ans, pianiste-altiste, fait partie de ces dizaines de milliers de musiciens qui, instrumentistes ou chanteurs, forment le très vaste et flou paysage des choristes en Belgique, changeant par la taille, les compétences ou le choix du répertoire de ses constituants. Difficile d’y voir clair en effet, tant les groupes foisonnent. A côté des choeurs de professionnels permanents (rattachés à des maisons d’opéra ou des organismes de diffusion, comme le Vlaams Radio Koor) ou  » freelance  » (tels le Choeur de chambre de Namur ou le Collegium Vocale Gent) ou, encore, des ensembles à géométrie variable de solistes (Vox Luminis), il existe une infinité de chorales amateurs semi-professionnelles, liées à des fédérations (A coeur joie), des académies, des paroisses, des écoles…

Dans les années 1990, Jean-Michel Marchal, directeur du Centre d’art vocal et de musique ancienne (CAV&MA), en avait recensé plus d’un millier, déjà :  » Ce fut tout un travail de les débusquer. Certaines, très indépendantes, n’étaient connues que dans leurs villages…  » Cette profusion témoigne de l’importance d’un secteur, autant que d’une passion. On chante beaucoup en réunion, chez nous (certes moins que chez nos voisins allemands et britanniques),  » mais on manque de visibilité, et du soutien des autorités « , déplore Philippe Fernandez, chef de choeur de l’Ensemble vocal de Bruxelles, un trio de choeurs masculins issus du collège Saint-Pierre.

Registre baroque ou moderne, profane ou sacré, intimiste ou solennel, on trouve de tout, selon ses goûts. Pour pousser la porte d’un choeur, il n’est même pas nécessaire de détenir un diplôme de solfège – savoir lire une partition reste néanmoins  » le minimum requis « . Encore faut-il, si l’on brigue un certain niveau, chanter correctement…  » Justesse d’intonation. Stabilité rythmique. Voix saine, dotée d’une belle couleur. Voilà les qualités idéales. Mais c’est rare de tomber sur ces talents réunis en un seul élément.  » Martino Faggiani est chef des choeurs à La Monnaie depuis bientôt dix ans. En avril prochain, il procédera à de nouveaux recrutements, et cherchera des perles rares parmi des dizaines d’aspirants.

Depuis plus de trois siècles, le Choeur de La Monnaie donne à l’institution bruxelloise son âme et son esprit – chaque génération de choristes l’aidant à construire son identité. Partenaire naturel de l’orchestre, cet  » organisme vivant sur scène  » occupe aujourd’hui un rôle central dans la plupart des productions : que les artistes prêtent leur voix à des foules anonymes ou à des cliques d’individus typés, les régies d’opéra contemporaines exigent des choristes de plus en plus d’aptitudes de jeux, comme de voix.  » Le risque à l’audition, c’est d’être séduit seulement par les aspects de la vocalité du candidat, relève Martino Faggiani. Or, il faut considérer que c’est un métier fatigant, qui réclame beaucoup de discipline et de concentration. Il faut pouvoir « tenir » au quotidien.  » Une tâche aussi compliquée  » que de rester en équilibre sur la patte d’une mouche « , et  » quasi schizophrénique « , qui requiert habileté technique (plier sa voix aux contraintes musicales) et esprit artistique (appréhender des styles aussi éloignés que Bach et Ligeti).  » La voix est un instrument indocile, ajoute Martino Faggiani. Dès qu’on arrête de vocaliser, elle ne répond plus comme on voudrait.  »

La nature est injuste, qui n’a pas non plus distribué équitablement les types de voix chez les humains. Nos populations comptent naturellement davantage de sopranos et de barytons. De nombreux choeurs déplorent donc une pénurie de ténors.  » On auditionne beaucoup dans ce métier, affirme Jean-Michel Marchal. Parce que les voix changent avec les années – les aiguës s’usent plus vite -, mais aussi en fonction des professeurs qu’on a eus, des airs qu’on a interprétés et de la vie qu’on a menée…  » Que le chant constitue, ou pas, leur moyen d’existence exclusif, la plupart des choristes appartiennent d’ailleurs à plusieurs formations.  » Ça me permet de fréquenter différents chefs et familles d’artistes « , explique Pierre, une basse de longue date. Mais c’est utile aussi de se frotter aux autres.  » A force de rester entre soi, on ne sait pas toujours si on est dans le bon « , confirme Philippe Fernandez. Aller voir ailleurs, se mélanger. Pour que ces alliages donnent, in fine, leur timbre particulier aux ensembles, au point qu’une oreille aguerrie puisse en distinguer la couleur.  » Je reconnaîtrais celle du Choeur de Namur entre toutes, assure Jean-Michel Marchal. Elle est plus chaude, latine, métissée, généreuse. C’est très subtil…  »

Bouger, donc. Afin qu’au plaisir de la rencontre s’ajoute un vrai bien-être physique : après trois heures de répétition, c’est la détente garantie.  » Les Passions de Bach, par exemple, confie Gwena, j’irais même jusqu’à payer pour les chanter… « 

Le Nederlands Kamerkoor se produira dans le cadre des Psalms Experience.
Le Nederlands Kamerkoor se produira dans le cadre des Psalms Experience.© FOPPE SCHUT

Un festival qui ne manque pas de souffle

Tout au long du Klarafestival, les choeurs se suivent mais ne se ressemblent pas. Du 20 au 22 mars, en trois soirées tenues à Flagey puis à l’abbaye de la Cambre, trois formations internationales (The Tallis Scholars, Det Norske Solistkor et le Nederlands Kamerkoor) interpréteront 75 arrangements autour de psaumes  » universels, intemporels et indestructibles  » écrits par 75 compositeurs, de Lassus à van der Aa, en passant par Bach, Schubert et Brahms : huit siècles de musique divine, donc, via cette Psalms Experience déjà applaudie à New York et Utrecht. Le 24 mars, accompagnés de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, pas moins de quatre autres grands groupes vocaux (le Groot Omroepkoor, l’Orfeon Donostiarra, le Rotterdam Symphony Chorus et le Nationaal Kinderkoor) enchanteront Bozar aux sons de la Huitième de Mahler : 300 musiciens occuperont la scène, pour cette monumentale symphonie (dite des Mille) où le maestro, impatient de mettre en branle l’univers entier, affirmait ne plus entendre de voix humaines, mais bien  » des planètes et le soleil en gravitation « . Rien que ça.

Klarafestival 2018, du 10 au 28 mars. www.klarafestival.be

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