Du bon usage de l’ortie

de Ghislain Cotton

Foin du minimalisme, de l’indigence érigée en vertu littéraire ! Orlando de Rudder se pourlèche depuis belle lurette des festins de la langue sans oublier pour autant d’arroser ses ripailles des vins généreux de la réflexion sur l’humain. Voilà qu’il convie à sa table un drôle de personnage tombé du xvie siècle et qui a, paraît-il, vraiment existé et laissé quelques opuscules de son cru. Bernard Bluet d’Arbères, né en 1566 au pays de Gex, avait été berger dans son village où ses discours extravagants l’avaient fait passer pour fou, avant de devenir l’improbable Comte de Permission ou encore le Chevalier des treize cantons suisses. C’est ce parcours fabuleux que de Rudder retrace à sa façon dans les pas d’un homme à la fois ingénu et finaud, mélange avant la lettre de Candide et de Rastignac, portant en lui toutes les contradictions du monde. Un homme qui implore et glorifie Dieu avec emphase et punit de bains d’orties les sens qu’il vient de réjouir, avec ou sans les dames du meilleur monde éprises de ses déclamations farfelues et volontiers  » foutues  » par ses bons soins. Soutenu dans son ascension sociale par un abbé que sa faconde fascine, il en vient à bénéficier de la protection du roi Henri IV. Avant d’exhiber, en compagnie de ses deux maîtresses travesties en bouffons, ses excentricités et ses écrits fantasques sur le Pont Neuf, achevé l’année même où, pris de mélancolie et revenu de tout, il se suicide par inanition dans un cimetière. Parcours atypique s’il en est et ode à la liberté, à l’aventure et au plaisir, que l’auteur enchante de sa prose torrentielle. Qu’il s’agisse pour son héros de célébrer les saveurs fastueuses de la saucisse de cheval, les  » seins canonniers  » de ses belles conquêtes ou de philosopher, avec ce seul vrai bon sens selon quoi tout se contredit et  » cet état d’esprit qui (lui) semble fort humain  » mêlant  » l’esbroufe et la sincérité, la comédie et la profondeur « . Un galop d’épopée qui réveille au passage une armée de mots anesthésiés par la paresse et l’usure du temps mais qui sait aussi nous épargner l’exotisme horripilant d’une contrefaçon des tournures d’époque. Un roman dont le fond et la forme sont à savourer avec délectation dût-on, pour expier ce moment de plaisir, se jeter dans un bain d’orties.

Le Comte de Permission, par Orlando de Rudder. JC Lattès, 312 p.

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