Christophe Alévêque, sniper de l'actualité dans la tradition Guy Bedos. © Philippe Matsas/reporters

Drôle de paroissien

Un samedi parisien de gilets jaunes, Christophe Alévêque convoque sur la scène du théâtre du Rond-Point, Carlos Ghosn, les péchés de l’Eglise et Alexandre Benalla. Une revue de presse bientôt en version belge au 140, à Bruxelles.

Samedi 23 février, il va falloir le mériter, l’Alévêque. Le théâtre du Rond-Point est dans la zone interdite des Champs-Elysées. Avec ou sans gilet, le passage est obstrué par des centaines de policiers-RoboCop, le métro est fermé et ni les voitures ni les taxis ne passent. On met vingt-cinq minutes à pied pour rejoindre le lieu chic géré par Jean- Michel Ribes : un blocage parisien qui explique que la salle de 760 places ne soit qu’aux deux tiers pleine. D’un public mature, mais pas trop. Les gilets jaunes, Christophe ?  » Aujourd’hui, la fiction devient une réalité, et souvent dans mes revues de presse, je pousse très loin jusqu’à l’absurde et au n’importe quoi. Et puis, six mois plus tard, cela arrive. Pour l’humoriste que je suis, c’est pain bénit, pour le citoyen que je suis aussi, c’est autre chose « , déclare l’humoriste de 55 ans à la sortie de scène, physiquement rincé par sa performance de nonante minutes. Sur le coup de 18 heures, l’animal a bondi. Costard sombre, vaguement peigné et très remonté. C’est la première bonne surprise pour ceux qui le découvrent en live, Christophe Alévêque est électrique : il arpente, éructe, jette bras et yeux au ciel, et retourne à son pupitre, source constante de jouvence sur lequel le canevas du spectacle est posé.  » En fait, c’est mon corps qui dirige la parole, alors que je ne suis pas souple du tout, je suis même raide comme un balai. Si mon corps n’est pas en place, il y a quelque chose qui ne va pas.  » Il part de notes dont  » cinquante pour cent est écrit, cinquante pour cent improvisé « . Son canevas est simple : prendre une base d’info réelle et la malaxer, un peu comme un mauvais bouton qui finit par s’expurger de son indésirable contenu.

ma revue de presse est une thérapie, un exutoire, une cour de récréation.

Se péter la rondelle

Au rayon des cibles de la soirée, entre autres, les abus sexuels dans l’Eglise. D’où ces phrases de sniper :  » Pour rappel, en pleine épidémie du sida, l’Eglise était contre le port du préservatif et est toujours contre les droits accordés aux homosexuels […], donc voilà des homophobes qui se pètent la rondelle […] La dernière histoire de pédophilie en date, je vous jure que c’est vrai, a eu lieu dans une institution catholique de Vérone où de jeunes sourds et muets ont été abusés. Elle est là la solution (rires).  » Sous-entendu : ces victimes-là ne parleront pas. Autres sujets de choix fournis par l’actu, Carlos Ghosn et Alexandre Benalla auxquels Alévêque accorde une jolie place. Comme il le raconte après avoir massacré, devant le public ravi du Rond-Point, les multiples incohérences de ces désormais fameux Français :  » Tu vas voir un producteur de film, avec les scénarios de ces deux-là, le mec te fout dehors ou appelle la police. Il y a toujours eu des prototypes de ce genre mais l’absurdité grandit.  »

Histoire de dire que la France macroniste est plus grande que la fiction ?  » Ghosn et Benalla sont des caricatures de notre époque. La difficulté pour l’humoriste est que l’actualité étant déjà une caricature, il ne faut pas la recaricaturer mais la resituer dans un contexte de normalité. J’aime bien que les gens se disent : si on vivait dans un monde normal, cela n’arriverait pas. Mais on ne vit pas dans un monde normal. C’est pour cela que les gens rient beaucoup : ma revue de presse est une thérapie, un exutoire, une cour de récréation !  » Pas vraiment amateur du système Macron, l’Alévêque :  » C’est une arnaque idéologique et politique, même s’il n’est pas responsable de tout, puisqu’il arrive dans la foulée de trente ans d’un système ultralibéral, aujourd’hui complètement à bout de souffle. Un monde sans repères où l’avenir est désormais un concept. On est dirigé par des comptables qui voient à six mois : il n’y a pas de vision. La seule à long terme, c’est quand dans trente ans, on va organiser le festival de Cannes à Chamonix pour cause de climat.  »

Bouffon de la République

Une revue de presse dans la tradition Guy Bedos, avec un supplément de gestuelle, de hargne et d’allusions sexuées. Pour ce fils de famille engagée à gauche, la politique est pain bénit continu :  » Après mon éducation qui a dû jouer un rôle, c’est la colère qui me guide. Il m’est arrivé de regarder la télévision, de balancer un truc dessus et de la casser. Et là, je me suis dit qu’il me fallait une thérapie mais la vraie, c’est en scène qu’elle se passe pour moi.  » Sur l’héritage de son humour, lorsqu’on suggère des filiations avec Coluche – quelque chose dans la voix – ou les métriques impitoyables de Desproges, Christophe a un sursaut d’orgueil un rien déconcertant.  » J’aurais préféré être comparé à Al Pacino (sourire).  » Assez loin en tout cas de la nouvelle génération stand-up qui rafraîchit l’humour en France comme en Belgique.  » Je pense que c’est un autre métier. Moi, je suis un bouffon de la République, un pitre. Mon spectacle – je ne me jette pas du tout de fleurs – il n’y a que moi qui puisse le faire. C’est un ovni. Je n’y parle pas de moi. Cela dit, pour la nouvelle génération, ce n’est pas facile parce qu’un couvre-feu moral lui est tombé sur la gueule, notamment via les producteurs qui poussent au consensuel. Moi, je n’en ai plus rien à foutre (sic), je me laisse guider par mes envies. La grande maladie de l’époque, que ce soit pour les journalistes ou les humoristes, c’est l’autocensure, surtout depuis 2015 et les attentats.  »

Pour cet accro à l’info, pas question de broder – comme certains du stand-up – sur des problèmes secondaires,  » de coiffure ou de portable « . Il préfère les  » clowns  » à la de Funès ou Peter Sellers et pense qu’il faut une acceptation collective des dysfonctionnements sociétaux :  » Au final, il faut comprendre que nous sommes responsables de ce qui se passe, ce n’est pas la faute aux autres.  » Au théâtre 140, dont il est un visiteur coutumier, Alévêque va ramener une bonne partie de ses ingrédients français mais promet aussi de consacrer  » un tiers ou une moitié du temps à la Belgique « . Il improvisera comme à l’habitude sur l’actu chaude mais n’oubliera pas ses notes des visites précédentes, notamment celles portant sur les 541 jours sans gouvernement du royaume.  » En France, on n’imagine même pas un instant pareille situation qui pose de grandes questions sur la gouvernance et la politique.  »

Revue de presse : au théâtre 140, à Bruxelles, le 28 mars. www.le140.be.

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