Dodo la Saumure fout le boxon à Tournai

L’auteur de Moi, Dodo la Saumure est au centre d’un fameux pataquès dans lequel est impliquée la police judiciaire fédérale de Tournai. La preuve par des extraits d’auditions du comité P.

Pourquoi un commissaire de la police judiciaire fédérale de Tournai a-t-il demandé à Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure, de distribuer dans ses nombreux bordels une circulaire intitulée  » Documents sociaux à obtenir avant de travailler dans un établissement en Belgique  » à en-tête de la police fédérale ? Officiellement, cette initiative pour le moins originale avait pour objet de faire connaître leurs droits aux prostituées, conformément à l’esprit de la politique criminelle du parquet de Tournai. De là à donner l’impression de conseiller l’un ou l’autre maquereau, qui plus est, Dodo, sous enquête judiciaire depuis 2000… C’est pourtant le risque qu’ont pris une poignée de policiers de la section  » criminalité organisée/traite des êtres humains  » de la PJF de Tournai.

Le policier responsable de ce faux pas a-t-il confondu son métier de flic avec celui d’assistant social ou bien a-t-il manifesté une trop grande proximité avec les proxénètes qui prolifèrent dans la région frontalière ? C’est ce que tente de savoir le comité de contrôle des services de police (comité P) à la demande du juge d’instruction courtraisien Desseyn, qui s’intéresse aux activités d’Alderweireld de l’autre côté de la frontière linguistique. Cette  » affaire dans l’affaire  » parasite le procès à charge du célèbre proxénète françaisqui se déroule actuellement devant la cour d’appel de Mons. Coïncidence ou pas, son livre Moi, Dodo la Saumure (éditions Denoël) paraît la veille de la dernière audience, le 24 mai prochain. Arrêt attendu pour septembre au plus tard.

En première instance, en 2012, le proxénète français avait été condamné à cinq ans de prison avec sursis pour avoir dirigé une  » organisation criminelle  » spécialisée dans la prostitution et pour avoir abusé de la  » vulnérabilité  » de deux des prostituées qu’il employait. Le tribunal correctionnel de Tournai avait ordonné la confiscation de 2,77 millions d’euros mal acquis. En appel, les avocats de la défense, Mes Pierre Monville et Etienne Wery, ont obtenu que les procès-verbaux du comité P soient versés au dossier répressif pour permettre aux magistrats montois de se faire une idée plus précise du contexte dans lequel travaillait Dominique Alderweireld. Du pain bénit pour le souteneur, qui réclame depuis longtemps une normalisation de la prostitution.  » A part moi, déclare-t-il au Vif/L’Express, aucun souteneur n’est plus poursuivi en Belgique du moment que ses employées sont majeures et consentantes.  » Il assume, bien décidé après quarante-trois ans de métier, d’avoir une clarification.

Le Vif/L’Express a obtenu, en exclusivité, une copie des procès-verbaux d’auditions menées par le comité P à la demande du juge d’instruction Desseyn. En toile de fond de ces extraits se dessinent l’ambiguïté et la difficulté des rapports policiers avec un proxénète aussi matois que Dodo la Saumure, dans la zone grise qu’autorise la tolérance tacite de la prostitution. Le proxénète français raconte comment il est entré en possession du fameux pense-bête intitulé  » Documents sociaux à obtenir avant de travailler dans un établissement en Belgique  » qui vaut aujourd’hui aux enquêteurs tournaisiens d’être sous enquête du comité P.  » Un collaborateur de Monsieur B., commissaire à la PJF de Tournai, m’a demandé de diffuser ces documents dans tous mes bars. Je devais transmettre la méthode de travail aux exploitants de tous mes bars et, à l’avenir, ils devaient travailler de cette façon pour l’inscription des filles.  » Dodo la Saumure, qui se prête volontiers à la distribution du document, avoue cependant qu’il ne le respecte pas.  » Je conclus un contrat avec elles dans le sens qu’elles sont indépendantes et qu’elles travaillent dans le bar avec moi. Nous avons un arrangement moitié-moitié. Elles me paient après leurs activités.  » En revanche, il est toujours prêt à les dénoncer aux policiers si quelque chose ne tourne pas rond :  » S’il n’y a rien de spécial sur le comportement de la fille, j’attends la police qui passe toutes les deux semaines. Je leur transmets alors tous les renseignements. S’il y a quelque chose de spécial, je prends contact avec la police et ils viennent plus vite.  »

On est très loin de la démarche sociale initiée par le commissaire D.B., de la PJF de Tournai :  » J’ai voulu remettre ce document aux patrons d’établissement et aux prostituées afin qu’elles soient en ordre.  » Il reconnaît cependant que la Direction générale de la police judiciaire (DGJ), à Bruxelles, trouvait que  » ce n’était pas notre rôle de faire ce travail alors que pour moi, il s’agit de droit pénal social. Pourquoi devrais-je contrôler et verbaliser un restaurateur chinois pour traite des êtres humains et pas un patron de bar ? « . Les policiers bruxellois de la DGJ, spécialisés dans la problématique de la traite des êtres humains, ainsi que l’avocat général de référence, avaient exprimé des réserves sur sa méthode mais sans doute pas assez clairement ou fermement car le commissaire B. s’est cru autorisé à poursuivre. Il se justifie :  » Je rappelle que j’ai, à deux reprises, fait emprisonner M. Alderweireld et que, chaque fois, il n’est resté que cinq jours en prison. Je dois donc m’adapter à la situation car je dois bien faire quelque chose. Pour ma part, on peut fermer les établissements et je serai tranquille. Ma situation était d’autant plus inconfortable que je le  » chassais  » et que mes collègues de la SIC (NDLR : Section d’information criminelle, qui gère les indicateurs) avaient des contacts avec lui.  » Les policiers  » tolèrent  » les bordels car, en général, les proxénètes et les prostituées donnent des renseignements sur la criminalité organisée…

Y a-t-il eu, dans le chef du commissaire D.B., davantage qu’un effort d’accompagnement social des prostituées ? Le comité P l’interroge sur ses contacts, révélés par des écoutes téléphoniques, avec la compagne de Dodo la Saumure, Béatrice Legrain, condamnée pour proxénétisme à Tournai. Dans une conversation téléphonique interceptée, elle lui dit  » que le contrôle s’est bien passé  » et rappelle qu’ils avaient  » convenu d’aller manger ensemble « . Réponse du commissaire à l’enquêteur du comité P :  » Elle voulait me parler et je sentais qu’elle allait essayer de me piéger. Je lui ai dit qu’on pourrait en parler éventuellement et elle m’a parlé d’un repas. Cela ne s’est jamais fait.  »

Un autre policier, le commissaire P..M., défend la méthode mise au point à Tournai mais il y joint une motivation plus répressive : » Je pense que nous sommes des précurseurs en la matière car je ne crois pas que des filles aient déjà été pénalisées pour fraude fiscale ou pour travail au noir alors que des ouvriers le sont régulièrement pour travailler au noir le week-end. Le fait de pouvoir ennuyer les filles par ce biais, c’était une façon de toucher Alderweireld et les autres indirectement en le privant des filles qui travaillent pour lui.  »

Interrogé par le comité P, le directeur judiciaire de la police fédérale de Tournai connaissait l’existence du document mais, s’il avait été au courant, il se serait opposé à sa distribution dans les bars. Il incrimine surtout le parquet et le tribunal  » qui, en onze ans, n’ont jamais donné leur position sur la problématique des bars en général et d’Alderweireld en particulier « . La cible est toute trouvée : les magistrats. Un grand classique du tête-à-tête parfois houleux entre la police et la justice. Dodo la Saumure n’en ignore aucun ressort.

MARIE-CÉCILE ROYEN

La cible est toute trouvée : les magistrats

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