Diable d’homme !
A-t-il dérapé ? Le pas de trop ? Celui qui ne pardonne pas ? S’est-il fourvoyé ? A-t-il été mal conseillé ? S’est-il mêlé de ce qui ne le regarde pas vraiment ? Depuis le 17 mars dernier, la polémique enfle, déborde, balayant tout sur son passage. Y compris la raison. Les turbulences ont même gagné notre Parlement, la Chambre votant avec une rapidité éclair (qu’on ne lui connaissait pas quand il s’agit de protéger les sans-papiers, par exemple), une résolution condamnant vertement ses propos. Le Sénat, lui, se tâte encore. Mais, pour beaucoup, l’affaire est pliée, le pape montré du doigt, il a fauté.
Par provoc ? Non, bien sûr. Mais, au fil du temps, Benoît XVI, loin de séduire les médias, n’a-t-il pas déployé un talent extraordinaire pour se retrouver systématiquement au c£ur de la tourmente ? Trop nuancé, trop alambiqué, au distinguo trop ténu même parfois pour répondre aux attentes simplistes et au souci irrésistible du slogan facile de l’époque. Un intellectuel dépassé par les règles du jeu de la communication du xxie siècle, éloigné de la réalité quotidienne de ses ouailles et qui se met dangereusement en difficulté quand il improvise sans filet.
Le moral en berne. En cette veille de Pâques, bien des catholiques se sont réveillés avec un cafard monstre. Le pape avait donc condamné le préservatif dans la lutte contre le sida ? Déception, colère, dépit, rejet… D’autant plus que les propos tombaient on ne peut plus mal. Le Vatican ne venait-il pas de réintégrer les évêques lefebvristes, dont le négationniste Mgr Williamson, sans oublier la condamnation d’une mère brésilienne qui avait autorisé l’avortement de sa petite fille violée par son beau-père ? Une toile de fond détestable pour aborder une maladie aussi délicate et douloureuse que le sida. Pour Benoît XVI pourtant, il ne s’agissait ni d’interdire ni de condamner les capotes. Il n’empêche, le tam-tam médiatique assourdissant en avait ébranlé plus d’un. Occultant totalement l’intégralité du propos papal qui se voulait aussi un appel à une sexualité responsable, dans le respect de chacun.
A charge et à décharge. Nous avons choisi d’ouvrir délibérément ce dossier difficile. Non pas pour clouer sur la place publique le pape » assassin en puissance « , comme l’ont qualifié certains parlementaires belges dont on ose espérer que les mots ont dépassé leur pensée. Ni pour rejoindre la cohorte ébranlée des » Touche pas à mon pape « . Mais bien pour mettre à plat, avec sérénité, l’ensemble des points de vue, y compris ceux trop souvent oubliés des Africains auxquels le message de Benoît XVI était destiné en priorité. Sans stigmatiser, sans raidissement mental. Juste pour comprendre. Et permettre à chacun de se forger son opinion. S’informer pour juger, en faisant appel à la raison plutôt qu’à l’émotion. Ouvrir un débat éthique qui permette de séparer laïcité politique et laïcité philosophique, comme c’est désormais le cas dans notre pays.
Oui, le pape a pris des risques déplacés en se mêlant de santé publique. Comme le rappelle avec pertinence dans Le Vif/L’Express Nathan Clumeck (lire page 59), le chef spirituel de l’Eglise catholique doit se placer exclusivement dans le débat éthique et non pas dans le débat scientifique. Mais le spécialiste d’insister, aussi, sur le fait que le préservatif n’est pas LA solution en matière de lutte contre le sida, comme l’a noté précédemment l’Organisation mondiale de la santé. Oui, le pape a raison aussi… la prévention doit bien être multifactorielle. Mais pas, comme il le prétend, en se fondant uniquement sur l’abstinence et la fidélité. En prêchant en faveur d’une nouvelle manière de se comporter les uns avec les autres dans le cadre de la seule lutte contre le sida, nul doute que Benoît XVI s’est embourbé sur un terrain particulièrement glissant. Mais, malgré la tempête soulevée, n’a-t-il pas permis à chacun de se repositionner, de faire entendre ses arguments pour enrayer la pandémie ? La vérité se mérite. Elle est multiple. Et ne passe-t-elle pas, aussi, par une addition de points d’interrogation ?
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