Deux-points et guillemets : le procès-verbal

Le Vif/L’Express raconte l’histoire de ces signes qui ont changé la face de l’écriture.

Rien ne prédestinait  » deux-points  » à former attelage avec  » ouvrez les guillemets « .

Le double point est l’un des signes les plus anciens. Sur un papyrus du Phédon de Platon, daté du iiie siècle avant Jésus-Christ, c’est la seule ponctuation forte employée. On le repère aussi sur les stèles grecques.

Notre deux-points, dérivé du punctus elevatus médiéval (point surmonté d’un accent), marque au départ une pause médiane forte entre deux membres de phrase. Pour Etienne Dolet, dans son traité de 1540, il  » tient le sens en partie suspens « . Ses exemples seraient aujourd’hui ponctués d’un point-virgule (que Dolet ignore), d’un deux-points, voire d’une virgule. S’il est omniprésent dans les premiers imprimés, c’est qu’il resta longtemps l’unique signe de séparation médiane (avant l’acclimatation du point-virgule) ; les Essais de Montaigne en sont truffés. Sa spécialisation dans l’annonce remonte au xviiie siècle. C’est aussi un chaînon logique très dense : lien causal, explicatif ou chronologique.

Quant aux guillemets, les croire inventés ex nihilo au xvie siècle, c’est oublier que les premiers imprimeurs héritent des pratiques séculaires des copistes. On doit à l’Antiquité grecque un arsenal de signes critiques à l’aide desquels les commentateurs (scoliastes) annotaient les textes. Entre ces scoliastes et le Moyen Age, un passeur de poids : Isidore de Séville, qui, dans l’Espagne wisigothique du viie siècle, écrit ses Etymologies, sorte d’encyclopédie avant l’heure. Dans le chapitre sur les signes critiques, il évoque la diplè (chevron, du grec) :  » > Diplè : nos copistes placent ce signe dans les livres des gens d’Eglise pour séparer ou pour signaler les citations tirées des Saintes Ecritures.  » Ce signe, assez rare, figure dans des manuscrits médiévaux, répété sur la marge le long de la citation, pointu ou arrondi.

Les tout premiers guillemets imprimés remontent à 1483, dans Orationes et opuscula, de l’humaniste italien Francesco Filelfo. En France, ils datent de 1529 : des doubles virgules dans les marges de Champ fleury, de Geoffroy Tory (l’édition de 1549 leur préfère les italiques, rivales des guillemets depuis la Renaissance).

Etienne Dolet, en 1540, en parle comme d’un type particulier de parenthèses : ces  » demi-cercles  » sont utilisés  » quant nous glosons quelque sentence d’aulcun autheur Grec, Latin, Francoys ou de toute autre langue « . Ceux qui disent  » entre parenthèses  » pour  » entre guillemets  » ont donc une excuse.

Dès la fin du xvie siècle, le discours direct eut les honneurs des guillemets, jadis voués aux citations d’autorités.

Le mot lui-même date de 1672 : les  » guilmets  » sont  » ces virgules renversées qui se mettent à la marge  » (Observations de Monsieur Ménage sur la langue françoise).  » Renversées « , sans doute pour éviter une confusion avec la virgule, car l’usage français place les guillemets sur la ligne même (et non en hauteur « à l’anglaise »). Tant qu’elle reste le long de la marge, la double virgule peut être renversée ou non. Avec l’invention des guillemets fermants au xviiie siècle, et surtout avec l’entrée du signe dans le corps même du texte, le dispositif  » se généralise. Le point des virgules disparaît. On obtient des demi-cercles en vis-à-vis, qui deviennent plus angulaires au cours du xixe. Pointus, nos guillemets évoquent l’antique diplè.

Aujourd’hui, la graphie devient geste. Mains en l’air, doigts en V. Décrite dès 1927, cette mimique très américaine, en vogue depuis la fin des années 1980, tourne vite au tic à visée ironique : on l’appelle air quotes (guillemets volants – sinon urticants).

> La semaine prochaine, parenthèseset tiret.

Pedro Uribe Echeverria

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