Deux lettres qui changent tout

A la lumière des courriers de détresse adressés par Geneviève Lhermitte à son médecin, les experts psychiatres corrigent leur rapport : au moment des infanticides, cette mère exemplaire était en grave déséquilibre mental. Sera-ce assez pour lui éviter la prison ?

En début de semaine, avec une tendresse émouvante, un cortège de femmes âgées (une voisine, une commerçante, une retraitée, une religieuse et beaucoup d’autres, appelées à témoigner) avaient dressé de l’accusée le portrait d’une mère véritablement extraordinaire – intelligente, attentionnée, fidèle, délicate, dévouée,  » une maman comme on en rêve « . Récurrents, sincères, mais bassement raillés par le président de la cour d’assises Luc Maes, leurs propos démontraient déjà que Geneviève Lhermitte avait bel et bien cherché (souvent en cachette) les moyens d’échapper à la solitude de son enfermement quotidien. Son éventuel  » salut  » viendra peut-être de ses deux misérables bouts de papier qu’elle a envoyés, peu avant le drame, à son psychiatre, et qui ont été exhumés in extremis à la barre. Ces documents fournissent la preuve que la mère infanticide s’enfonçait, seule, dans un gouffre dépressif sans fond.

Ces lettres, que le Dr Diderik Veldekens a produites presque par hasard en audience, le 11 décembre, sont des bombes, en vérité. Elles révèlent l’intensité du désespoir de l’accusée, de même que ses tentatives réitérées pour qu’on l’arrête, dans son projet sanglant qui prend forme. Le premier de ces courriers, daté du 13 février 2007, trahit les signes avant-coureurs :  » J’ai peur de moi-même, j’ai peur de l’avenir, écrit l’accusée. Je suis dans une impasse. [Dans] un magasin, j’ai été voir s’il y avait un couteau bien tranchantà  » Le second, quatorze jours plus tard, ne laisse plus place au doute :  » J’ai des idées noires, qui vont m’entraîner moi et je vais prendre mes enfants avecà  » La révélation publique de cette  » dynamite  » n’a pu qu’obliger le juge à requérir un nouveau rapport aux trois experts Philippe Meire, Xavier Bongaerts et Raymond Gueibe, ceux-là mêmes qui avaient pourtant conclu, dans un précédent compte rendu versé au dossier, que Geneviève Lhermitte était bien, au moment des mises à mort de ses trésors, le 28 février 2007,  » dans un état anxio-dépressif qui avait favorisé son passage à l’acte et altéré profondément – mais non aboli -, son discernement « . Autrement dit, la maman modèle devait bien être considérée, jusque-là, comme responsable du quintuple égorgement de la chair de sa chairà

 » Mais nous étions dans l’ignorance complète de ces lettres « , ont souligné d’entrée de jeu les trois docteurs. Et celles-ci changent complètement la donne. Pourquoi ? Les psychiatres l’ont longuement détaillé au tribunal.  » La lettre du 13 donne tous les signes d’une dépression de sévérité intense de type mélancolique.  » Tout s’y trouve, en effet : les douleurs morales et physiques extrêmes (notamment dans la poitrine et le ventre), la dévalorisation de soi, l’insomnie, la difficulté à prendre une décision et, bien sûr, l’ébauche d’un scénario suicidaire.  » On y sent la menace du passage à l’acte. C’était une indication d’hospitalisation d’urgenceà « 

Un sentiment d’étrangeté au monde

La deuxième lettre est encore plus claire et permet de reconstituer la détresse des ultimes instants. Elle est rédigée à cinq heures du matin, d’une écriture chaotique, sans ponctuation, par une Geneviève Lhermitte qui sent monter en puissance sa démentielle angoisse. L’appel à l’aide se fait désespéré. La patiente dépose son courrier à la clinique du Dr Veldekens et cherche à savoir, dans l’après-midi, si son psychiatre en a bien pris connaissance. Puis elle patiente. Rétrospectivement, on imagine l’horreur de cette attente, et la terrible morsure de la déception de n’avoir jamais reçu de nouvelles du médecin. Le lendemain, tout est prêt pour la catastrophe. Geneviève Lhermitte est alors entièrement engagée dans ce processus  » en entonnoir « . Prisonnière de cette spirale qui l’a poussée dans l’abîme, après s’être sans doute rongée toute la nuit pour trouver une échappatoire, elle a développé un  » état dissociatif de dépersonnalisation transitoire « . Pendant quelques heures, avant de  » retomber sur terre « , la conscience de sa conscience (la conscience réflexive, dit-on aussi) est entièrement abolie. Seule persiste la pensée opératoire : la malade peut agir, mécaniquement, mais dans un sentiment d’étrangeté au monde.  » Il est très difficile de rendre compte de ces états au grand public, précise le Dr Meire. Normalement, il y a dans notre cerveau plein de modules qui travaillent en même temps (ils nous permettent, par exemple, de conduire, de parler, de réfléchir simultanément). Au-dessus de ces consciences partielles, une unité globale domineà Mais, à ce moment-là, elle est malheureusement perdue, chez Mme Lher-mitte. Cette dernière peut agir, fonctionner très bien en pilote automatique, mais elle n’a plus, alors, de conscience réflexive.  » Chez l’accusée, un épisode mélancolique intense vient frapper, de surcroît, une personnalité au départ fragile et dépressive, de type abandonnique. On évoque ici une  » double dépression « . Or la logique d’une personne déprimée échappe à notre logique.  » Vu de l’extérieur, chacun se dit qu’il existe sans doute des dizaines de solutions valables ; mais pour quelqu’un dans cet état, la mort est plus agréable que la vie.  » Comme Geneviève Lhermitte entretenait des liens tout à fait fusionnels avec ses enfants, il était clair qu’elle ne pouvait quitter son enfer familial qu’avec euxà Sur foi de quoi, les experts ont revu leur jugement antérieur.

Tous trois sont désormais convaincus que l’accusée était, au moment des faits,  » dans un état grave de déséquilibre mental la rendant incapable du contrôle de ses actions « . Un internement plutôt qu’une sanction pénale ? Leur avis n’est, bien sûr, qu’un élément d’appréciation du jury…

Valérie Colin

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