Deux gars, une fille

Valérie Lemercier joue son spectacle et assure la promotion d’Agathe Cléry, le film d’Etienne Chatiliez. Elie Semoun promène en tournée son one-man-show Merki. Dany Boon tourne Micmac à tire-larigot, de Jean-Pierre Jeunet. Pour Le Vif/L’Express, les trois champions de l’humour dévoilent les coulisses de leur enfance, de leur travail, et ce qui les inspire. Fous rires garantis, émotion en prime. l

Vous appartenez à la même génération. Adolescents, quelles étaient vos idoles ?

Valérie Lemercier : Quand j’avais 15 ans, j’étais folle de Michel Simon, mais on m’emmenait plutôt voir les spectacles de Rufus ou de Raymond Devos…

Dany Boon : J’adorais Devos. Ses textes étaient au programme de quatrième à l’école. J’ai découvert l’absurde grâce à lui, et que l’on pouvait rire en lisant !

Elie Semoun : Moi, je n’étais fan de personne, sauf de mes voisins, notamment de M. Garcia, qui était portugais et dont le fils avait l’accent reubeu [arabe]. Le décalage me faisait rigoler.

Depuis quand vous connaissez-vous ?

E. S. : Dany et moi, on a démarré ensemble lors des scènes ouvertes du Café de la Gare. On était au moins une centaine, l’écrémage a été terrible.

D. B. : Tu te souviens du gars édenté ? Il débarquait comme moi de province mais sans les dents. Sur scène, il engueulait le public à la Coluche et ça ne marchait pas du tout. Un jour, il m’a observé des coulisses. Les gens riaient, mais lui ne me trouvait pas drôle. Je lui ai dit :  » C’est normal, je ne suis rigolo que de face. Pas de profil.  »

V. L. : Avec Dany, nous avons présenté un numéro aux Césars, il y a deux ans. Je n’ai croisé Elie que récemment sur un tournage [Les Petits Princes, de Djamel Bensalah].

Chacun de vous a un ton unique. Qu’est-ce qui vous rassemble, selon vous ?

E. S. : Je me sens un peu de la famille de Valérie, car elle n’emploie pas le  » je « , mais se glisse dans la peau de personnages.

D. B. : Eh bien ! je vais vous laisser… C’est vrai que moi je m’adresse davantage aux spectateurs. Valérie, tu as un sens immédiat de la situation. J’ai adoré ton spectacle.

V. L. : Il est moins noir, moins trash peut-être, que le précédent. J’ai abandonné des sketchs :  » La violée « ,  » La droguée  » ou  » L’alcoolo « . Quant à ma  » Voisine  » écolo, elle parle aux spectateurs mais elle ne me ressemble pas. Personnellement, je ne saurais pas quoi dire.

E. S. : Les personnages sont une protection. A la fin du spectacle, quand je les quitte, je n’ose pas être moi-même. Il m’a fallu apprendre à saluer.

Quel est le point de départ d’un sketch ?

V. L. : Tous mes personnages existent. Par exemple, je n’ai croisé que dix minutes  » la femme bourrée de Roland-Garros « . Et chaque fois que je la joue, j’essaie de retrouver l’effet précis qu’elle m’a fait à ce moment-là.

C’est-à-dire ?

V. L. : Cette femme saoule était un sketch en soi. Elle s’est jetée sur moi dans un café en me disant :  » Qu’est-ce qu’on va faire de toi, t’es magnifique.  » Et puis elle m’a montré à son mari :  » Regarde la vieille France.  »

D. B. : Nous sommes des éponges. Une fois, avant un spectacle, j’emmenais ma voiture au garage. Le chef d’atelier était tellement éméché qu’il a raté le pont de réparation et la voiture est tombée les roues en l’air. Il a bafouillé :  » C’est pas moi !  » Le soir même, j’en faisais un sketch.

E. S. : La fin d’un reportage sur Jeanne Calment, où on l’engueulait pour qu’elle mange sa soupe, m’a inspiré Papy Pettou… C’était juste quelques minutes.

V. L. : Quand Anh Dao, la fille adoptive des Chirac, a lancé à la télévision [elle prend l’accent chinois] :  » Mon-mari-habillé-beau-mais-nu-encore-plus-beau. C’est-20-sur-20.  » Ça m’a donné l’idée d’un sketch. Ce n’est pas évident d’inventer des héros à l’infini. Toi, Elie, ce n’est pas pareil : tu te déguises dans Les Petites Annonces.

D. B. : Et, malgré les perruques, les gens te reconnaissent. [Rires].

Quelle étape préférez-vous : le déclic, l’écriture ou l’interprétation ?

V. L. : Pour moi, c’est l’écriture. Sur scène, je sens davantage un plaisir d’auteur que d’actrice. J’aime chercher. On peut se tromper des jours et des semaines et tout à coup…

E. S. : Tu as raison. Mais, parfois, les réactions du public indiquent la direction.

D. B. : En parlant du K-Way dans un spectacle, la rumeur m’a convaincu que c’était un sujet fort. Les choses doivent être ancrées dans l’inconscient collectif. Un K-Way, tout le monde s’est retrouvé coincé dedans.

V. L. : Il faut prédécouper les sketchs un peu comme les chèques.

D. B : Mais ne pas aller trop loin dans l’explication. Sinon, les gens vous en veulent de les prendre pour des cons. Le pléonasme est dangereux.

Le rire a une fonction thérapeutique, on le sait bien. Et pour vous ?

D. B. : Je l’ai cru… Après avoir fait une analyse, je dirais que non. J’ai eu longtemps le sentiment que la scène était l’essentiel de ma vie, que, durant une heure quarante-cinq, je réparais mon existence. Alors que non.

Sans faire une thérapie de groupe sauvage, vous avez tous les trois traversé une enfance un peu compliquée… Valérie, votre maman était dépressive ?

V. L. : Et la tienne aussi, Dany ! On en discutait ensemble il y a deux jours. Ma grande s£ur m’a raconté que ma mère pleurait tellement et partout, notamment en voiture, qu’elle pensait que toutes les mamans sanglotaient au volant. Peut-être qu’au départ j’ai voulu alléger l’atmosphère… Un temps, j’ai pensé que je devais faire rire juste pour le plaisir des spectateurs. Maintenant, j’en prends aussi. C’est nouveau.

D. B. : Quand l’autodérision naît d’une souffrance et que ce rire répare, il est d’une grande qualité. Il réconcilie avec l’humain. Moi, le point de départ, c’est exactement ça : gamin, je cherchais à faire passer le mal-être de ma mère. On a en commun d’avoir perdu notre insouciance dans l’enfance.

E. S. : Ma mère est morte quand j’avais 11 ans et je n’ai jamais affronté cette réalité. C’est pour elle que je suis sur scène. Je ne regarde jamais les spectateurs quand je joue parce que j’espère toujours qu’un soir elle va pousser la porte de ma loge.

C’est un rire utile dans lequel vous livrez votre part la plus intime ?

E. S. : Je ne parle que de solitude. C’est un état d’esprit triste qui me concerne beaucoup.

V. L. : Ce qui m’intéresse, c’est la face cachée des gens, ce qu’ils ne montrent pas et qui revient comme un boomerang.

D. B. : J’ai longtemps planqué mes oreilles décollées. Dès que je les ai assumées, plus personne ne les a vues.

Réalisateurs, comédiens, chanteurs… Votre qualité ne se résume pas à humoristes. Vous sentiez-vous si à l’étroit dans un emploi unique ?

D. B. : Seul en scène, on finit par se caricaturer. Obligatoirement, on se répète. Le théâtre et le cinéma nous enrichissent.

E. S. : J’ai enregistré un disque parce que j’avais trop joué mon spectacle précédent. C’était une bouffée d’air pur.

V. L. : Peut-être que si je n’avais pas été au service d’Agathe Cléry pendant deux ans, je n’aurais pas fait ce spectacle. J’ai sans doute eu envie de m’exprimer à nouveau par moi-même. Mais, chaque fois, je pense que ce sera mon dernier one-woman-show.

E. S. : Tu ne te laisses toujours pas filmer sur scène ?

V. L. : Ça me rend malade. J’en suis désolée, surtout quand je regarde des émissions d’humour où chaque artiste a son sketch sauf moi. Je n’aime pas l’idée qu’on saucissonne mes spectacles. Je crois que certaines choses choquantes passent parce que je joue depuis une heure vingt. Entendre le sketch du  » veuf belge  » [A l’enterrement de son épouse, un homme dissèque leur vie sexuelle à son fils] à 9 heures du matin sur Rire et Chansons, ce serait compliqué. Vraiment. Je l’ai placé à la fin parce qu’on ne peut plus rien entendre après.

Au cinéma, vous avez interprété des rôles dramatiques. Etiez-vous contents qu’on vous les propose ?

E. S. : Ce n’étaient pas des contre-emplois, mais des emplois.

V. L. : On me demande :  » Mais quand allez-vous jouer un rôle sérieux ?  » Je pense que faire rire n’a pas de prix et que c’est aussi une émotion.

D. B. : Il faut respecter son don.

V. L. : Le plus dur, dans Agathe Cléry, c’étaient les scènes de larmes. Pour y arriver, j’avais juste à penser que c’était atroce d’être obligée de pleurer dans un film.

E. S. : C’est très impudique. En général, je mets la main devant mon visage pour me cacher.

D. B. : Moi, je chiale très facilement au cinéma. Par contre, manger… Ou se peloter. Mais rire et pleurer, ça me va.

V. L. : Alors imagine un film où tu dois manger et tripoter… Dans Vendredi soir, j’avais une scène d’amour et j’ai prévenu la réalisatrice, Claire Denis :  » Pas de poil, pas de gémissement.  » Il faut faire ce que l’on sait faire. La bourgeoise, je la pratique depuis vingt ans. J’ai vécu dans ce milieu, c’est mon enfance.

E. S. : Les dames en veste matelassée te félicitent-elles ?

V. L. : Oui, et elles croient voir leurs cousins. Personne ne se reconnaît, c’est le principe. Quand j’ai imité ma mère, elle m’a confié :  » J’aime beaucoup cette femme qui pleure.  »

D. B. : Dans les Ch’tis, il y a énormément de ma mère. Plus on va à l’intime, plus on devient universel.

Justement, comment vivez-vous l’après- Bienvenue chez les Ch’tis ?

D. B. : J’ai toutes les libertés pour mon prochain film, du coup, je me méfie de moi-même, de l’autosatisfaction. Désormais, quand j’écris, j’ai le réflexe de l’international, puisque j’ai travaillé sur les adaptations en italien, anglais, allemand… Tous ces voyages m’inspirent pour mon prochain one-man-show.

Par exemple ?

D. B. : Le soir de l’élection de Barack Obama, j’étais invité par des agents américains dans une villa de Beverly Hills. Il n’y avait que des Blancs très émus. Quand les chiffres sont tombés, la maîtresse de maison a serré dans ses bras son serveur noir et lui a dit :  » Congratulations ! Are you happy ?  » [Félicitations ! Etes-vous content ?] Et lui :  » Yes, thank you « , du genre  » Merci mais faut que je débarrasse « .

Et vous, Valérie, que représente Agathe Cléry dans votre carrière ?

V. L. : Beaucoup, car c’est la première fois que je porte un film sur mes épaules. Et que je joue une femme amoureuse.

Elie, votre prochain défi, c’est Cyprien, un film où vous partagez l’affiche avec Catherine Deneuve ?

E. S. : Je n’ai pas une grande place dans le cinéma et c’est une première pour moi aussi puisque j’ai coécrit le scénario. Cyprien est le bigleux des Petites Annonces, celui qui aime les blondes à forte poitrine. Arthur et Gad [Elmaleh] m’ont convaincu que le personnage tiendrait la route dans un long-métrage. Il a un côté Forrest Gump. Le film parle des apparences et Catherine Deneuve interprète la patronne d’un magazine de mode.

Pour conclure, quelqu’un a-t-il une question à poser ?

V. L. : Oui, moi ! Pourquoi Dany ne mange-t-il que les croûtes du gâteau au chocolat qui est sur la table ? Et pourquoi Elie n’a-t-il pas fait réparer le trou de son petit pull ?

Gilles MÉdioni – reportage photo : richard dumas pour l’express

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