Ayelen Parolin (à g.) et Louise Vanneste : deux chorégraphes en pleine ascension. © DEBBY TERMONIA POUR LE VIF/L'EXPRESS

Deux femmes puissantes

Elles font partie de la quinzaine de chorégraphes à l’aura internationale qui se partagent l’affiche de la biennale de Charleroi danse, institution où elles sont toutes les deux en résidence à partir de ce mois de septembre. Rencontre avec Louise Vanneste et Ayelen Parolin.

Elles se connaissent depuis l’an 2000, grâce à Parts, l’école forestoise d’Anne Teresa De Keersmaeker (lire aussi page 96), dont on ne soulignera jamais assez le rôle dans le rayonnement de Bruxelles comme foyer de danse contemporaine. La danseuse argentine Ayelen Parolin vient d’arriver en Belgique pour y entrer. Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu.  » Je passe la première audition, j’arrive devant la liste des candidats retenus et il n’y avait pas mon nom, se rappelle-t-elle. J’étais tellement naïve qu’au début, j’ai simplement cru qu’ils l’avaient oublié. J’avais travaillé dur pour réunir l’argent qui me permettrait de suivre le cursus de Parts et je me suis dit que j’allais le dépenser en Europe.  » Avec ses économies, Ayelen Parolin va voir un maximum de spectacles et participe à un maximum de cours, dont l’un  » ouvert  » de Parts où elle croise la route de Louise Vanneste, 20 ans, membre de la génération 3 de l’école (avec notamment Lisbeth Gruwez et Lise Vachon).

Le courant passe. Les deux danseuses créent un duo l’année suivante, avant que Louise ne parte à New York pour y poursuivre sa formation au sein de la Trisha Brown Dance Company. Elle y développe les ferments de son langage chorégraphique, viscéralement multidisciplinaire, qu’elle imposera notamment avec Black Milk (meilleur spectacle de danse aux prix de la Critique en 2013) et Gone in a Heartbeat. Si pour Louise Vanneste le pas entre le rôle d’interprète et celui de chorégraphe est franchi de manière volontaire, pour Ayelen Parolin, c’est presque un acte de désespoir.  » Je voulais être interprète et je ne trouvais pas de travail. Je passais des auditions et ça ne marchait jamais. Un jour, quelqu’un m’a conseillé de créer mon propre solo. Je l’ai fait et je l’ai pensé comme une présentation de moi-même : « Je suis comme ça parce que je viens de là et parce que je suis passée par tout ça »…. C’était vraiment un travail d’introspection.  » Le titre ? 25.06.76, soit sa date de naissance. C’est terriblement intime, drôle et plein d’ironie. Nous sommes en 2004. Ayelen Parolin vient de se faire un nom dans le milieu de la danse belge.

Histoire des arts

Dans le programme de la biennale de Charleroi danse (1) (la première édition concoctée par la nouvelle directrice Annie Bozzini), Louise Vanneste et Ayelen Parolin côtoient quelques représentants de la crème internationale contemporaine comme la flamboyante et clownesque Marlene Monteiro Freitas, la bailaora espagnole Rocio Molina et la Chinoise Wen Hui. Mais aussi Nijinski, le génie des Ballets russes du début du xxe siècle, à travers la réactivation de deux de ses pièces par la Française Dominique Brun. Ou encore Lucinda Child, grâce au Ballet de l’Opéra de Lyon, qui a inscrit la chorégraphie charnière Dance (1979) à son répertoire. Car la danse d’aujourd’hui s’inscrit dans l’héritage de la danse d’hier.  » Il y a dans l’histoire de la danse des pièces marquantes, qui ne vieillissent pas, relève Ayelen Parolin, citant comme références personnelles Lucinda Childs, mais aussi Café Müller de Pina Bausch (1978), May B de Maguy Marin (1981) et Rosas danst Rosas d’Anne Teresa De Keersmaeker (1983).  » Elles gardent une puissance aujourd’hui. Certaines sculptures, certains tableaux n’appartiennent pas à une époque, mais la dépassent. Il y a des moments au cours d’une création où c’est inspirant de penser à certaines pièces.  »

Pour Louise Vanneste, c’est bien sûr Trisha Brown, pionnière de la postmodern dance, qui constitue la référence ultime. D’où le choix de son séjour new-yorkais.  » Mais je puise finalement très peu dans la danse, confie-t-elle, plutôt dans l’histoire de la musique, de la peinture, de la littérature, qui sont des domaines qui m’intéressent depuis longtemps. Ce n’est pas pour rien que le son et le travail de l’espace sont chez moi si fortement pris en considération.  » Pour Thérians (2), son duo avec Youness Khoukhou présenté en ouverture de la biennale, elle s’est inspirée aussi bien de l’Orlando de Virginia Woolf, des parades nuptiales des oiseaux que du film de Jim Jarmusch Ghost Dog (projeté le 29 septembre au Quai 10, à Charleroi, dans le cadre de la biennale), en particulier des scènes où Forest Whitaker s’entraîne au sabre au milieu des pigeons, sur l’irrésistible bande-son de RZA.  » Je réunis des choses très différentes qui vont interagir, se contredire, s’imbriquer… Ce qui m’intéresse, c’est l’assemblage. C’est le travail sur le plateau qui crée l’unité et pour moi la danse, le son, la lumière et l’espace sont totalement liés, tout se compose en même temps.  »

 » De mon côté, chaque pièce est surtout une continuation de la précédente, une réaction. Avant de commencer, j’ai un temps de préparation où je cherche tout ce qui pourrait nourrir l’imaginaire. Mais quand j’entre en création, j’essaie de ne plus être confrontée à des images, j’évite de voir du monde, de téléphoner, j’ai besoin d’être dans ma bulle « , reconnaît Ayelen Parolin, encore auréolée du succès public et critique de son Nativos présenté cet été à Avignon par le théâtre des Doms et nommé cette année comme meilleur spectacle de danse aux Prix de la critique. Cette extraordinaire collaboration entre sa compagnie et la Korean National Contemporary Dance Company de Séoul reprend le vocabulaire d’Hérétiques (2014) et sert elle-même de fondement à Autoctonos, créé à Bruxelles au dernier Kunstenfestivaldesarts et présenté au festival carolo dans une version retravaillée (3), avec d’autres interprètes.

Louise Vanneste et Ayelen Parolin : deux chorégraphes en pleine ascension, à la fois ambitieuses et modestes, à (re)découvrir d’urgence lors de cette alléchante biennale.

(1) Biennale de Charleroi danse : du 27 septembre au 14 octobre, à Charleroi et à Bruxelles. www.charleroi-danse.be

(2) Thérians : les 27 et 28 septembre aux Ecuries à Charleroi, les 13 et 14 novembre au théâtre de Liège, du 21 au 25 novembre aux Brigittines à Bruxelles. Louise Vanneste présente également Home, les 12 et 13 octobre, et l’installation A travers les aulnes #1, du 5 au 27 octobre aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles.

(3) Autoctonos II : le 7 octobre aux Ecuries à Charleroi et les 24 et 25 novembre à la Raffinerie, à Bruxelles.

Par Estelle Spoto

 » Il y a dans l’histoire de la danse des pièces marquantes, qui ne vieillissent pas  »

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