Destexhe et la N-VA, ensemble à Rotterdam. Et après ?

Theo Francken et Alain Destexhe en visite conjointe dans un centre fermé aux Pays-Bas : le signe d’une collaboration entre la N-VA et le MR ? Peut-être, répond le nationaliste flamand. Pas du tout, jure le libéral francophone. Reportage.

C’est une prison. Même si elle n’en porte pas le nom et même si les détenus n’ont commis aucun délit, si ce n’est celui de séjourner illégalement aux Pays-Bas. Pour le reste, tout renvoie à l’univers carcéral : les hauts murs d’enceinte, les verrous qui claquent à heures fixes, les caméras partout, les gardiens toujours aux aguets, les badges magnétiques qui conditionnent l’entrée au bâtiment. Et une indicible odeur de désespoir qui imprègne chaque mètre carré.

C’est une prison, mais une prison modèle. Avec sa bibliothèque, ses salles de sport, ses toilettes bien propres, ses couloirs immaculés, et même sa mini-mosquée. Une modernité qui a suscité l’intérêt de Theo Francken, député N-VA spécialisé dans les questions d’asile et d’immigration. Sur ces sujets, la hargne de ce jeune trentenaire a souvent provoqué l’agacement des ministres du gouvernement Di Rupo, et l’indignation des parlementaires socialistes et écologistes. Mais le fait est qu’il a acquis une expertise incontestable en la matière, qu’il met au service du projet nationaliste et sécuritaire de la N-VA. Depuis le début de son mandat, Francken a visité l’ensemble des structures belges pour demandeurs d’asile. Au cours de ses échanges avec des responsables de l’Office des étrangers, un nom est régulièrement revenu à ses oreilles : Rotterdam. Ce centre fermé serait, à en croire certains acteurs, l’un des plus avancés d’Europe. Histoire d’en juger par lui-même, Theo Francken s’est rendu sur place, accompagné par son collègue francophone Alain Destexhe, député régional MR.  » Alain s’intéresse depuis longtemps au sujet de l’immigration, justifie l’élu N-VA. Il est évident que la N-VA et le MR doivent collaborer sur les questions d’immigration. Pendant la période d’affaires courantes, j’ai beaucoup travaillé avec les élus MR, notamment Jacqueline Galant et Denis Ducarme.  »

Un centre  » nickel  »

Rendez-vous est donc donné un jeudi au petit matin, sur le parking de la Chambre. Deux heures plus tard, arrivée à destination. Le centre fermé se trouve juste à côté de l’aéroport de Rotterdam, quasi en bout de piste. Manière, sans doute, de faciliter les expulsions.  » Il y a des palissades… Ce ne sont pas des barbelés, mais ça y ressemble « , observe Alain Destexhe. Tout en minimisant la portée politique de sa présence aux côtés d’un élu N-VA.  » C’est une visite technique, pas le début d’une histoire d’amour. D’ailleurs, je n’aurais pas accepté si ça avait concerné un thème social, économique ou institutionnel. Je suis solidaire de la décision du bureau du MR de ne plus cautionner quoi que ce soit dans le programme de la N-VA. En novembre, j’étais invité au congrès bruxellois de la N-VA, et j’ai annulé.  »

Le directeur du centre, Rob Janssen, accueille la petite délégation. Theo Francken se présente :  » J’appartiens au plus grand parti de Belgique, mais je siège dans l’opposition.  » Alain Destexhe complète :  » Je suis dans le même parti que le ministre des Affaires étrangères.  » Le directeur, qui peine à masquer son désintérêt pour les subtilités du dédale électoral belge, écoute d’une oreille polie. En quelques phrases, il présente les grands axes de la politique migratoire aux Pays-Bas. Le centre de Rotterdam, précise-t-il, compte 640 lits. Il est réservé aux étrangers  » hors procédure « , ceux qui ont reçu l’ordre de quitter le territoire et qui attendent leur expulsion. Au total, les centres fermés néerlandais peuvent détenir jusqu’à 1 500 personnes. C’est plus du triple du nombre de places disponibles en Belgique.

Le groupe pénètre dans un étroit couloir, deux mètres de large, cinq mètres de long, une lourde porte à verrouillage magnétique à l’entrée, une autre à la sortie. Le sas sépare les services administratifs de la partie  » fermée  » du centre. Une fois celui-ci franchi, on entre dans un autre monde, où les individus ne sont plus libres de leurs faits et gestes. Aux migrants qui ne l’auraient pas compris, des affichettes expliquent – en swahili, chinois, turc, arabe, anglais, farsi, espagnol et hindi – la raison de leur présence en ce lieu.  » Vous vous trouvez ici parce que vous êtes aux Pays-Bas sans documents valides, et parce que les autorités néerlandaises ont décidé de votre expulsion.  »

D’une salle à l’autre, de la bagagerie à l’espace fouille, en passant par le coin repas, les deux députés déambulent, observent, interrogent.  » C’est nickel, comme centre « , apprécie Alain Destexhe. Chaque cellule compte deux lits et possède frigo, four à micro-ondes, téléphone et télévision. Les détenus y sont enfermés de 17 heures à 8 heures.  » Si on emmenait De Wever et Di Rupo ?, suggère Destexhe. Et on les laisse ici jusqu’aux élections.  » Theo Francken rit de bon coeur, mais s’abstient d’en rajouter.  » Le système néerlandais est beaucoup plus carcéral qu’en Belgique, note-t-il. Les chambres ressemblent à de vraies cellules de prison. Chez nous, les détenus sont tout de même plus libres, et à titre personnel, je trouve ça mieux.  »

Dans une autre aile, huit cellules d’isolement servent à enfermer les fauteurs de troubles, pour une durée qui peut aller jusqu’à quatorze jours (en Belgique, l’isolement ne peut excéder 24 heures). Cela sous la surveillance des vigiles de la société de gardiennage G4S. Les Pays-Bas ont délégué à des firmes privées une partie de la gestion des centres fermés, et pour Francken comme pour Destexhe, la Belgique ferait bien de suivre la même voie.  » Il n’y a pas de raison, dans les centres fermés, mais aussi dans les prisons, de ne pas mettre du personnel privé. Cela éviterait des lourdeurs administratives « , argumente le député libéral.

Un exemple à suivre

A la fin de la visite, Theo Francken livre ses conclusions.  » En Belgique, il n’y a que 500 places en centres fermés. On doit augmenter la capacité. La police arrête chaque jour trois ou quatre illégaux dans le métro, mais elle doit souvent les relâcher car il n’y a jamais de place au 127 bis. Cela démotive les policiers. Je pense donc qu’il faut construire un nouveau centre fermé, en s’inspirant des infrastructures modernes de Rotterdam, mais en appliquant un régime quand même moins dur qu’aux Pays-Bas.  »

Alain Destexhe confie sa satisfaction.  » J’ai appris beaucoup. Je ne sais pas encore comment je vais utiliser ça. Peut-être pour le programme électoral du MR… Je remarque qu’il règne aux Pays-Bas, plus qu’en Belgique, une culture de la fermeté, que j’approuve. Les demandeurs d’asile déboutés peuvent rester jusqu’à un an et demi en centre fermé. Chez nous, c’est six mois maximum, et si le dossier n’est pas réglé dans ce laps de temps, la personne est relâchée dans l’espace public.  »

Les deux comparses d’un jour souhaitent-ils que leurs deux partis gouvernent ensemble ?  » On verra la nouvelle donne politique après le 25 mai « , élude Destexhe.  » C’était une visite de deux parlementaires, pas une opération de campagne électorale, relativise Francken. Cela dit, il est évident que la N-VA et le MR sont très proches. Charles Michel affirme le contraire, mais quand on compare les programmes, on voit beaucoup de similitudes.  »

Par François Brabant, à Rotterdam Photos : Christophe Ketels/Image Globe pour Le Vif/L’Express

 » Si on enfermait Di Rupo et De Wever ici jusqu’aux élections ?  »

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