3 fois dès l'aube, par Aude Samama.

Dessine-moi un roman

Les adaptations de romans en bandes dessinées connaissent un nouvel âge d’or, rempli d’oeuvres désormais contemporaines et d’auteurs passionnés. Explications et rencontres.

Ce n’est plus de l’amour, c’est de la rage : l’adaptation de romans contemporains en bandes dessinées est devenue un genre en soi, capable de remplir à lui seul des pans entiers de bédéthèque. Or, si le principe est devenu courant, et particulièrement fécond, il est aussi récent ; pendant longtemps, la BD, jaugée mineure, n’avait droit qu’aux classiques de la littérature, patinés par le temps et parfois en mal de visibilité.  » Mais nous vivons en BD un véritable âge d’or de la création, explique Sébastien Gnaedig, qui vient d’adapter le roman Profession du père, écrit par Sorj Chalandon en 2015.  » Le pionnier, c’est sans doute Tardi, qui a adapté beaucoup de romans. Or, il y a vingt ou trente ans, quand il frappait aux portes des éditeurs de littérature, on lui riait au nez. Maintenant on lui adresse des romans dédicacés dans l’espoir qu’il les aime et qu’il ait envie de s’en emparer !  »  » La bande dessinée s’est complètement décomplexée, elle est devenue un média comme un autre, enchaîne le scénariste Denis Lapière, qui vient, lui, de s’attaquer à l’a priori inadaptable Alessandro Baricco. Quand j’ai commencé, il y avait encore un gros complexe d’infériorité, mais j’ai vu tout changer ! Plus personne aujourd’hui ne dit à la bande dessinée ce qu’elle peut faire ou ne pas faire.  »

Un avis partagé par le romancier Sorj Chalandon qui, après Le Quatrième Mur et Mon traître, voit un troisième de ses romans adapté.  » C’est un honneur immense qui me semblait inaccessible, avoue-t-il, et qui me touche énormément.  » Pour preuve, il accompagne actuellement son adaptateur Sébastien Gnaedig dans la promo d’un livre qui n’est désormais plus tout à fait le sien.  » Et tant mieux ! Il faut absolument trahir et s’approprier l’oeuvre pour en offrir une bonne déclinaison  » – mais qui donne, comme quelques autres, tout son sens au terme de  » roman graphique « .

Passion et bons outils

Si le monde éditorial a changé (la BD peut maintenant s’attaquer à tous les sujets dans tous les genres, ses éditeurs s’appliquant désormais à faire lire un public qui n’était jusqu’ici pas client du genre), le principe des albums éponymes semble, lui, reposer avant tout sur l’envie et la passion de ses auteurs, avant apparemment toute considération d’image ou de marketing.  » Quand j’ai lu 3 fois dès l’aube(NDLR :écrites par Alessandro Baricco, trois histoires de rencontres nocturnes, publiées en 2015, en français), ce fut un vrai coup de foudre, continue Denis Lapière. Une évidence ! Je me suis senti comme un poisson dans l’eau ; je n’avais jamais écrit un scénario avec une telle facilité.  » Pareil pour Sébastien Gnaedig :  » J’avais depuis longtemps l’idée et l’envie d’adapter un roman, mais j’avais besoin d’un matériau qui me parle. Et dès que j’ai lu Profession du père, je me suis tout de suite dit :  » C’est pour moi.  » Je voyais les images, je voyais comment les faire, je savais que je possédais les outils d’adaptation pour transformer ce roman introspectif dans une bande dessinée sans voix off. Je m’y suis d’ailleurs mis directement, dans mon coin, sans rien demander à personne.  »

La suite tient, autant pour Gnaedig que pour Lapière, soit d’un idéal storytelling après-vente, soit du destin :  » J’avais déjà dessiné un quart du roman quand, dans une réunion hebdomadaire chez Futuropolis, on nous a dit qu’un écrivain de chez Grasset (NDLR : dont Futuropolis fait partie) aimerait bien travailler avec nous : c’était Sorj Chalandon !  » raconte le premier.  » A la base, je voulais faire de 3 fois dès l’aube une adaptation cinématographique, se souvient le second. Puis Aude Samama, avec qui j’avais déjà adapté le Martin Eden de Jack London, m’a dit qu’elle avait lu un livre formidable. C’était justement 3 fois dès l’aube. Hasard total !  » Un hasard qui, combiné à leur connaissance du média, a fait des merveilles. Et notamment par leur usage d’outils spécifiques à la bande dessinée pour traduire la dimension littéraire des textes. Ainsi par exemple des silences, très présents dans ces deux romans graphiques, et capables de rendre en images et en atmosphères les longues descriptions pensées par les auteurs originaux.

Reste une constatation, qui n’étonne pas les principaux intéressés : si les romans devenus BD sont désormais légion, on cherche encore la bonne bande dessinée qui pourrait être adaptée en une oeuvre purement littéraire (on ne parle pas ici des novélisations destinées pour la plupart à un jeune public, genre Titeuf).  » Ça me semble compliqué, estime Sébastien Gnaedig, les romanciers devraient alors se mettre à décrire des images, qui sont en soi définitives, au contraire des mots qui ont un pouvoir d’évocation infini, différent pour chacun de ses lecteurs « . Sorj Chalandon confirme, plus définitif encore :  » Un roman me semble plus incomplet qu’une bande dessinée, il est susceptible par essence d’offrir des interprétations et des déclinaisons. Une bande dessinée est une oeuvre en soi, intacte, et un art plus total que le roman.  »

Profession du père.
Profession du père.

Quatre transfuges réussis

Profession du père, par Sébastien Gnaedig d’après Sorj Chalandon.

Cette fiction autobiographique a frappé au coeur l’éditeur et auteur Sébastien Gnaedig. Qui relate à sa manière – sobre, lisible et sans la moindre voix off – ce récit d’un père mythomane et violent jusqu’à la folie. Un grand livre devenu grand album.

Ed. Futuropolis, 230 p.

Mon traître.
Mon traître.

Mon traître, par Pierre Alary d’après Sorj Chalandon.

Comme Chalandon, Pierre Alary aime l’Irlande, et donc ce récit à mi-chemin entre la fiction et la réalité narrant l’amitié qui a lié l’écrivain à un activiste irlandais, traître à sa cause. Si Gnaedig est resté fidèle aux dialogues, Alary reste, lui, scotché au texte en (ab)usant des récitatifs.

Ed. Rue de Sèvres, 144 p.

3 fois dès l'aube.
3 fois dès l’aube.

3 fois dès l’aube, par Aude Samama et Denis Lapière d’après Alessandro Baricco.

Trois histoires de rencontres qui se concluent à l’aube, et que l’on pensait inadaptables tant l’écriture de Baricco tient dans les mots. Mais Denis Lapière remplace parfaitement le texte par l’image : chaque case d’Aude Samama est un tableau chargé d’émotion et de lumière.

Ed. Futuropolis, 100 p.

La Sorcière.
La Sorcière.

La Sorcière, de Benoît Guillaume d’après Marie NDiaye

Un récit de sorcellerie et de transmission déjà très original sous la plume de Marie NDiaye. Et qui le reste sous le trait radical de Benoît Guillaume, issu de la BD (très) indé. Le dessinateur et adaptateur se révèle grand poète graphique, porté par l’atmosphère plus que par les mots de l’écrivaine.

Ed. Actes Sud BD, 224 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire