Despentes décape à vif

Avec Apocalypse bébé, l’auteure de Baise-moi déploie le grand jeu : thriller, road-movie, peinture sociale, chronique sexuelle. Un feu d’artifice !

Virginie Despentes est invisible,  » elle tourne l’adaptation de Bye Bye Blondie « , nous confie un responsable de Grasset, sa maison d’édition. Soit. Bye Bye Virginie, donc, et bonjour Despentes et ses nouvelles créatures, qu’on attendait depuis quatre ans. Une attente plus que récompensée ! Car Apocalypse bébé, c’est le – mauvais (seul bémol de cette critique) – titre du septième roman de Mme Despentes, est proprement formidable.

Tout y est : le style, nerveux, ironique, vivant, de l’auteure de Baise-moi (1993) ; l’acuité de son regard sur notre société et ses clivages ; son empathie pour les pauvres hères qui la composent ; ses obsessions sexuelles immuables et jubilatoires ; et un diabolique savoir-faire romanesque, qui fait de ce thriller indéfinissable, mêlant road-movie,  » trash  » et chronique sociétale, l’un des romans les plus réussis de cette rentrée. Et de l’auteure. Bref, n’en déplaise aux pudibonds et aux mauvais coucheurs, à 41 ans, Virginie Despentes la scandaleuse s’impose comme la chef de file d’une génération gaiement libertaire et décomplexée.

Lucie (elle est le  » je  » du roman) est l’une de ces  » looseuses de la féminité  » chères à l’auteure. A près de 40 ans, cette  » gourde mal payée « , plutôt moche et empotée, joue les enquêtrices dans une agence de détectives. Son job ? Surveiller les adolescents pour le compte de familles bourgeoises déboussolées par les errements de leur progéniture. Sa dernière cible est Valentine Galtan, 15 printemps bourgeonnants, la fille  » nymphomane, défoncée et hyperactive  » de François, écrivain de son état. Un jour, Valentine s’évapore. Panique chez les Galtan. La grand-mère promet une belle prime à Lucie, qui se fait épauler par la Hyène, grande spécialiste des disparitions. Incroyable personnage que cette Hyène, féline, violente, manipulatrice, dotée d’un sixième sens. Les yeux sombres dissimulés derrière des Ray-Ban fumées de mec, homosexuelle (ou gouine, c’est selon, sous la plume détonante de Despentes) extravertie, elle terrifie les hommes et siffle les femmes dans la rue.

L’enquête commence, tous les coups sont permis pour retrouver la trace de la fugueuse : intimidation, humiliation, infiltration – l’auteure nous propose au passage une remarquable description de l’emprise tentaculaire et invasive d’Internet. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la jeune Valentine a papillonné : séquences d’attouchements dans les toilettes de son lycée de riches, galipettes en série sur un parking avec de vagues musiciens d’extrême droite, amour charnel avec le cousin d’Aulnay-sous-Bois, rédemption en compagnie de gauchistes squatters, puis fuite à Barcelone afin de faire la connaissance de sa mère, beurette de banlieue reconvertie en élégante Parisienne épouse d’un riche architecte. Mais, avant de filer dans la capitale catalane (bien loin de l’auberge espagnole de la jeunesse occidentale riante), nous nous attardons à Paris au côté, notamment, de François, le romancier aigri, dont  » les drames bourgeois tendance droite chrétienne à l’ancienne  » n’intéressent plus grand monde. En quelques phrases assassines et perspicaces, Despentes décolle le vernis du microcosme germanopratin, cogne là où ça fait mal.

Changement de décor. A Barcelone – la romancière, désormais barcelonaise, nous en parle en connaisseuse – Lucie se découvre homosexuelle après avoir assisté à une partouze d’anthologie, tandis que Valentine la révoltée continue d’errer. Auprès d’une  » bonne  » s£ur, cette fois-ci. A première vue, aucun milieu n’est épargné dans cet Apocalypse bébé : beurs, rupins, catholiques, bien-pensants, machos, hétérosexuels, le Kärcher Despentes décape à vif. Et pourtant ! Toute la finesse de l’£uvre réside dans la multiplicité des regards, personne n’étant dupe de ce jeu de rôle. Derrière la lucidité pointent une grande tendresse, une vraie compréhension. Il arrive même que le vitriol se transforme en baume.

Apocalypse bébé, par Virginie Despentes. Grasset, 400 p.

M. P.

aucun milieu n’est épargné : catholiques, hétérosexuels, beurs, rupins…

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