45 tours Viens danser le twistet Kili Watch, 1961.

Des pochettes à la rock’n’roll attitude

Peut-on se prendre pour Elvis, Hamlet, le Christ, un aigle ou Johnny Cash sans avoir jamais l’air ridicule ? Quand on s’appelle Johnny, oui. A l’heure de la revanche du vinyle, retour sur cinquante ans de pochettes qui ont accompagné l’incroyable capacité de Hallyday à se fondre dans les genres musicaux de son époque.

45 tours Viens danser le twistet Kili Watch, 1961.

Comme Elvis, Chuck Berry, Eddy Cochran, Buddy Holly ou Gene Vincent, Johnny, guitare à la main, jambes savamment pliées ou promettant un déhanché rageur, présente systématiquement la même attitude rock’n’roll durant les premières années des yéyés – et la période twist n’y changera pas grand-chose. Son registre, c’est essentiellement des reprises, même les plus idiotes (Kili Watch, Itsi bitsi petit bikini). Quant aux maisons de disques, qui sortent à peine des Lavandières du Portugal et des Enfants du Pirée, elles ne veulent qu’une chose : la tête des chanteurs bien en vue. Pour l’originalité, on repassera. Les Anglais ont déjà dix ans d’avance.

45 tours Viens danser le twistet Kili Watch, 1961.
45 tours Viens danser le twistet Kili Watch, 1961.

45 tours Johnny lui dit adieu, 1965.

Six ans après Elvis Presley, Johnny endosse un autre uniforme commun : celui de conscrit. Le rock, malgré ce qu’il porte comme remise en question de la société, n’est pas encore contre l’ordre établi : des rockeurs soldats, l’image sera bientôt impensable mais à la Noël 1964, on n’est pas en mai 1968 et le béret de travers, la photo permet encore à Johnny d’être bien plus qu’un rockeur : un mec auquel tous les jeunes envoyés au service durant deux ans peuvent s’identifier.

Album Rêve et amour, 1968.

Johnny en chevalier d’enluminures devant un château féodal : on a beaucoup moqué cette pochette. Erreur : même si le contenu n’a rien à voir avec le contenant et si l’album n’est pas son meilleur, il s’inscrit déjà, un an après sa sortie, dans la lignée d’un Sgt Pepper et, plutôt que de l’imiter, préfigure bizarrement la grandiloquente esthétique médiévo- fantastique du prog-rock et spécialement du Lizard de King Crimson, auquel on pourrait croire qu’il a pompé l’image s’il ne datait de 1970, et de quelques Genesis.

45 tours Johnny lui dit adieu, 1965.
45 tours Johnny lui dit adieu, 1965.

Album Rivière… ouvre ton lit, 1968.

Fini le brushing parfait et la coupe banane, là, on entre dans du sérieux : Rivière… ouvre ton lit, souvent considéré comme un des meilleurs Johnny ( » Je suis né dans la rue « ) montre un adulte. Son bandeau préfigure déjà les années 1970 – De Niro dans Voyage au bout de l’enfer, Borg en fond de court. Johnny n’a plus besoin de nom ou de titre sur la pochette, sa gueule suffit. Signée par Tony Frank, celui qui réalisera deux des images les plus emblématiques et cul(tes) du rock français, les fesses de Polnareff et la pochette de Melody Nelson.

Album Rêve et amour, 1968.
Album Rêve et amour, 1968.

45 tours Jésus Christ, 1970.

Difficile de nier que Johnny accompagne l’époque quand Philippe Labro lui fait chanter :  » S’il existe encore aujourd’hui, il doit vivre aux Etats-Unis, il doit fumer de la marie-jeanne avec un regard bleu qui plane / Jésus-Christ est un hippie, autour de son front un bandeau, il est barbu et chevelu «  (comme sur Rivière…). Johnny côté Woodstock donc mais, subliminalement, la provoc de la pochette est encore plus risquée, mi-Che Guevara, mi-Mesrine :  » On me recherche « , comme un truand.

Album Flagrant délit, 1971.

Très Creedence et totalement signé Labro, Flagrant délit est un des meilleurs Johnny, puissant, introspectif, contestataire. Pas encore de Bashung ou de Daho à l’horizon, Gainsbourg arrivant seulement du côté de Melody : c’est donc lui une nouvelle fois qui prendra le risque de la première pochette arty léchée du rock français. L’idole pétrifiée et enterrée, c’est une photo de l’ami Jean-Marie Périer, le photographe officiel des  » copains  » (la  » photo du siècle  » de SLC, c’est lui).

Album Rivière... ouvre ton lit, 1968.
Album Rivière… ouvre ton lit, 1968.

45 tours J’ai un problème, 1973.

Johnny a compris que 1969 était l’année de l’amour, assénant les coups de rein de Que je t’aime à Je t’aime moi non plus. Hé bien, 1973, c’est l’année des couples dans les hit-parades, qui chantent successivement Les Gondoles à Venise avec Sheila et Ringo, Made in Normandie avec Stone et Charden, La Drague avec Guy Bedos et Sophie Daumier, Paroles paroles avec Dalida et Delon, ce qui s’achève au mieux par Les vieux mariés (Sardou), au pire par Les Divorcés (Delpech). Mais une nouvelle fois, le couple jean moite Sylvie et Johnny pileux façon Tony Joe White sur la pochette de Homemade Ice Cream (sorti un mois plus tard) est plus fort que tout.

45 tours Jésus Christ, 1970.
45 tours Jésus Christ, 1970.

Album Hamlet, 1976.

Il y aura donc toujours un malentendu entre la France et disons, en vrac, le rock progressif (Ange et après ? ), les albums concepts (Gainsbourg n’a rien vendu de son diptyque alors que tout le monde a ignoré ceux de Joe Dassin ou Hervé Cristiani) et encore plus l’opéra-rock (le premier qui compare Starmania à Tommy sort). En 1976, Johnny cartonissime (Requiem pour un fou, Derrière l’amour, Gabrielle). Mais, à l’automne, son projet de six ans, pour lequel il a convoqué Revaux, Groscolas, Thibaut, Hossein en vue d’un spectacle, et un certain Shakespeare, pourrit au royaume de Danemark : sa version vraiment originale de Hamlet, tout à la fois prog-rock à la Yes – Genesis et opera-rock façon Who, ne contient pas de tubes et le public ne le suit pas, trop occupé à découvrir Boney M. To be or not to be ?

Album Flagrant délit, 1971.
Album Flagrant délit, 1971.

Album C’est la vie, 1977.

Que fait Johnny prostré dans ce coin en octobre 1977 ? Analyse rapide des uns : il a le blues, août, c’est la mort d’Elvis, son horizon musical s’est écroulé et… lui chante Nashville. Prédiction rapide des autres : il se sent acculé et largué, mai, c’est God Save The Queen des Sex Pistols, décembre, cela va être Ça plane pour moi et… lui reprend Emerson, Lake & Palmer. Résumé tubesque : J’ai oublié de vivre.

Album Hollywood, 1979.

Retour aux States pour un album assez classique (Le bon vieux temps du rock’n’roll) mais dont l’attrait principal est la pochette du peintre Patrice Larue, non pas spécialement belle mais à cause de l’intelligence du verso, négatif du recto : Hollywood, la richesse, la célébrité, tout n’est qu’illusions, que décors et faux-semblants. Johnny n’est plus dupe.

Album Rock’n’roll attitude, 1985.

Cinq ans séparent la pochette d’Enpièces détachées de celle de Rock’n’roll attitude, cinq ans mais un monde de différence. Trois pochettes noir et blanc marquées par une évolution sous l’oeil de Jean-Baptiste Mondino (350 pochettes au compteur) pour les deux premières : En pièces détachées (1980), muscles saillants, marcel viril et moto à l’atelier, mute Entre violence et violon (1983), visage marqué, regard détourné et mélancolique, pour arriver à Rock’n’roll attitude (1985) : la photo est à l’aune de ce que lui a écrit Michel Berger. Si Goldman lui offre des mégatubes (Gang), Berger a saisi l’obsession de Johnny pour Tennessee Williams, le  » coeur en fièvre et le corps démoli « . Chef-d’oeuvre.

45 tours J'ai un problème, 1973.
45 tours J’ai un problème, 1973.

Album De l’amour, 2015.

Le cinquantième album studio de Johnny, le dernier, porte un titre prophétique dans la lignée des précédents, Ça ne finira jamais, Jamais seul, Rester vivant, L’Attente, comme une obsession habitant la star qui refuse d’en finir. Au fil du temps, la vision est de plus en plus sombre. Après avoir longtemps été dans le cliché Harley Davidson, santiags et Stetson à la Willie Nelson, Johnny H. se veut plus Johnny Cash mais sans toutefois assumer jusqu’au bout, ni musicalement ni iconographiquement, le caractère crépusculaire des quatre sublimes American Recordings du Man in black. Son public, sans doute, n’aurait pas voulu d’un requiem à la I Won’t Back Down déjà fatal à Tom Petty et Johnny Cash.

45 tours J'ai un problème, 1973.
45 tours J’ai un problème, 1973.

Des pochettes à la rock'n'roll attitude
© Reporters / GYS

L’idole… de mon père

A moins d’un OEdipe incurable, on a toujours du respect pour l’idole de son père. Quand sa propre figure paternelle, symbole de l’image masculine, a elle-même une sorte de figure paternelle, on considère cet homme. On l’écoute. On apprend à l’apprécier.

Enfant, on se dit qu’il transpire beaucoup. Ado, on se dit qu’il a plutôt bon goût pour les femmes. Jeune adulte, on apprend les trois accords de guitare qui nous permettront de susurrer à l’oreille d’une étudiante :  » Un jour viendra, tu me diras je t’aime…  »

A Noël, je voyais briller les yeux de mon père quand il recevait des places de concert, une énième bio de Johnny dont il connaissait toutes les anecdotes puisqu’il avait lu les 83 autres, ou un coffret collector  » 40 ans de carrière « , alors qu’il avait déjà tous les albums qu’il contenait et, pour certains d’entre eux, il les avait deux fois puisqu’il avait déjà reçu le coffret  » 30 ans de carrière « … Eh bien, ce 24 décembre, on lui offrira encore Johnny, les charognards du marketing ne manqueront pas de créativité, j’en suis certain.

C’était l’idole de mon père. Et comme mon papa est triste, je suis triste.

Album Hamlet, 1976.
Album Hamlet, 1976.
Album  C'est la vie, 1977.
Album C’est la vie, 1977.
Album Hollywood, 1979.
Album Hollywood, 1979.
Album Hollywood, 1979.
Album Hollywood, 1979.
Album Rock'n'roll attitude, 1985.
Album Rock’n’roll attitude, 1985.
Album De l'amour, 2015.
Album De l’amour, 2015.

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