Faire la loi, par Hélène Bekmezian, Patrick Roger et Aurel. © Glénat

Des planches aux urnes

L’élection présidentielle française passionne les foules ; la bande dessinée en profite et s’en fait désormais l’écho. Une tendance marquée par des fictions autant documentées que désabusées.

Difficile de ne pas en être convaincu à la veille du second tour d’une élection présidentielle qui occupe toutes les conversations et tous les posts sur les réseaux sociaux, même en Belgique : la politique française passionne. Et si les médias d’information classiques sont pleinement dans leur rôle en y donnant un large écho, il en est d’autres, comme la bande dessinée, qui s’invitent désormais sur ce terrain, longtemps réservé au dessin de presse ou à la caricature. On en est loin aujourd’hui : les politique-fictions et autres docu-fictions en BD s’emparent désormais avec délectation de la politique et des politiciens. Encore souvent pour se moquer, parfois pour dénoncer, souvent pour expliquer, via des albums qui fouillent le passé, le présent et le futur de la politique française de manières très différentes souvent, mais qui se rejoignent pour la plupart sur le fond : si la chose politique passionne, elle n’enthousiasme plus. Et s’accompagne souvent d’un certain cynisme désabusé. La preuve par les nombreux exemples qui rompent, en BD, avec les habitudes.

La faute à Sapin

Les habitudes, donc et d’abord, car heureusement, il en reste : si la planche-gag un peu lourde a pratiquement disparu des étals – il n’y a pas si longtemps, on y voyait beaucoup de Sarkozix et plus près de nous, de Bad Bartje – le dessin de presse, lui, reste évidemment à l’avant-garde des troupes. Dargaud l’a bien compris en sortant au bon moment un  » best of  » de Pétillon, effectivement l’un des meilleurs du genre. Et son Certain Climat, reprenant des centaines de dessins, ne laisse planer guère de doutes sur le marigot qu’est devenu ou a toujours été la scène politique française. Les caricaturistes se délectent d’ailleurs de cette campagne présidentielle hors norme, de Charlie au Canard, au point d’avoir besoin désormais de s’exprimer autant en planches et en longue fiction qu’en brefs dessins. Une tendance qui a pour commencer fait le bonheur des blogs avant de trouver écho auprès des éditeurs lors de la précédente campagne présidentielle, grâce entre autres au succès rencontré par Mathieu Sapin et ses deux albums consacrés à la présidence de François Hollande – respectivement Le Château et Campagne présidentielle, que Dargaud, toujours, réédite opportunément aujourd’hui avec des pages inédites.

Depuis, tous ou presque se font fort d’avoir dans leur catalogue leur  » BD politique « , si possible originale et crédible, en s’appuyant presque systématiquement sur des journalistes ou des experts pour construire leur récit, et mettre ainsi de plus en plus de  » vrai  » dans leurs caricatures. Le grand et le trop court en est un bon exemple : récit hilarant mais mauvais sur les relations entretenues entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012, il s’appuie surtout sur les souvenirs de Jean-Luc Barré, plume de Chirac et témoin privilégié, qui permet à l’éditeur Casterman d’introduire ainsi sa fiction :  » Tout pourrait être vrai et chaque réplique rigoureusement authentique « . Ce qui en fait évidemment tout le sel, au moins autant que les dessins de Krassinsky.

Même méthode pour des albums comme Désintégration, La Dynastie Le Pen ou Faire la loi, qui se proposent, eux, de décrypter plus que de rire : si tous déclinent des sujets différents (respectivement les souvenirs aigris d’un conseiller de Matignon, un retour en détails sur la famille qui règne sur l’extrême droite hexagonale, et un portrait au picrate d’Emmanuel Macron via le parcours parlementaire de la loi qui porte son nom), tous arborent des journalistes politiques et de presse essentiellement écrite comme scénaristes ou coscénaristes. Et ce, même lorsqu’on a basculé dans la fiction pure et dure : il y a quatre ans encore, La Présidente faisait son petit effet en imaginant l’arrivée du FN et de Marine Le Pen au pouvoir, avec une esthétique tenant plus du roman-photo que de la bande dessinée. En mars dernier, un troisième tome qualifié de  » science-fiction civique  » tente à nouveau de surfer sur la vague et de prédire, ou dédire, l’avenir – ce que le scénariste et commentateur politique François Durpaire avait réussi en partie dans le premier album, en anticipant le Brexit et la victoire de Trump. Dans ce troisième tome, Marion-Maréchal, encore pire que Marine, a réussi son putsch interne, mais sera repoussée aux élections de 2022 – attention, spoiler – par un nouveau ticket gagnant : une paire Macron- Taubira qui marquera les débuts d’une VIe République !

L’album de la campagne

Face à ce déferlement de fictions politiques pas si fictionnelles que ça, on en retiendra surtout trois, originales dans la manière autant que sur le fond : d’abord Votez le Teckel, un album de pure fiction qui en dit pourtant plus long que d’autres sur les moeurs politiques actuelles, et qui voit un triste pilier de bar un brin giscardien devenir un winner et un sérieux candidat à la présidentielle par la seule grâce de chargés de com. Prézizidentielle de l’excellente Lisa Mandel qui, pour changer, fait parler les enfants, et ça dépote. Et enfin, Le Journal du off, album dessiné par James et qui sortira dix jours après le second tour : il racontera cette campagne folle, jusqu’à son dénouement, en se basant sur les  » off  » collectés durant des semaines par deux journalistes. La fin de l’histoire n’est donc pas encore écrite. Mais presque dessinée.

Par Olivier Van Vaerenbergh

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