Des masques pour sauver la planète

Guy Gilsoul Journaliste

Une exposition, à Binche, révèle les liens profonds entre biodiversités naturelle et culturelle. L’enjeu est capital.

A l’heure du thé à la menthe des bédouins, d’une soirée autour d’une paella, d’un assortiment de sushis, d’un succulent waterzooi ou d’un plat d’anguilles à l’escabèche, nous avons tous ressenti qu’au-delà du plaisir du palais s’en nichait un autre lié à la curiosité. Car la cuisine  » locale  » nous mène en des lieux particuliers des récoltes elles-mêmes et donc de la biodiversité naturelle liée aux sols et aux climats. Mais cette curiosité nous entraîne aussi à reconnaître des façons différentes de partager le repas qu’on découvre avec son lot de rituels. Et du coup, nous voilà presque anthropologues, heureux de croiser des coutumes différentes liées aux habitats, aux rythmes des saisons et au caractère du  » pays « … Bref, à une biodiversité culturelle qui, l’air de rien, nous révèle que tout, décidément, dans la nature et la culture est en relation constante.

Aujourd’hui, la mondialisation ne fait pas que menacer la diversité naturelle. Elle tue en même temps la diversité culturelle. Or celle-ci pourrait bien être la meilleure réponse à la pauvreté. Sans même évoquer les ressources de l’agriculture locale, on sait qu’au Zimbabwe, par exemple, les plantes non cultivées mais seulement ramassées dans la nature assurent 37 % du revenu global des familles pauvres. En Inde, ce chiffre peut atteindre 57 % en période de sécheresse. Or ces travaux induisent la création et l’usage d’outils qui eux-mêmes sont souvent associés à une symbolique profonde. Et celle-ci se voit prolongée dans des rituels souvent liés à la fertilité de la nature mais aussi à celle des femmes. En partant du masque (dans un sens large incluant le costume, les danses les accessoires et les paroles) comme point d’ancrage à cette réflexion, le musée de Binche nous offre davantage qu’un cadeau pour les yeux. Comme le musée Prigorini (qui, à Rome, présente au même moment une exposition similaire), il s’associe avec le Fida (Fonds international pour le développement de l’agriculture) et les ONG Acra et Ucodep pour révéler l’importance des enjeux.

Tout se mêle

Pour ce faire, un premier circuit, anthropologique, développe cette thématique à partir du rôle joué par les masques du monde entier. Un second montre trois expériences de terrain menées au Maroc, au Sénégal et en Equateur. On pouvait craindre l’aspect didactique. Rien de tel. D’abord, grâce au choix des pièces exposées originaires de tous les coins de la planète et souvent impressionnantes. Ensuite, par la scénographie. Les panneaux explicatifs, indispensables, ont l’art de la discrétion. Enfin, parce que posés çà et là au c£ur des ensembles de masques et costumes, des écrans plongent le visiteur dans la réalité des rituels liés aux saisons, aux initiations, aux funérailles ou encore à la magie. Car tout se mêle. La connaissance intime et profonde (traditionnelle) des ressources naturelles d’un lieu nourrit la mythologie. Du coup, elle distille ce savoir dans la symbolique qui traverse autant les institutions sociales (la nature comme modèle de sagesse) que les outils eux-mêmes. A leur tour, ceux-ci imposent des gestes et donc des rythmes que l’on retrouve transfigurés dans les danses qui rassemblent tout le village unifié autour de l’événement. Mais qu’en est-il chez nous ? De la paille contenue dans les bosses des Gilles, de leurs sabots, de leurs clochettes ? Et si notre culture se rappelait aussi l’importance de nos agriculteurs ?

(Agri)-Culture(s). Quand l’agriculture démasque la culture. Musée du Carnaval et du Masque, 10, rue Saint-Moustier, à Binche. Jusqu’au 9 mars. www.museedumasque.be

GUY GILSOUL

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