Des Gogo’s à gogos

Osselets, scoubidous, billes, vignettes autocollantes. Depuis toujours, les cours de récréation ont vu de nombreux jeux. Fers de lance d’un dispositif commercial, les dernières nouveautés incitent plus souvent les parents à ouvrir leur portefeuille qu’elles n’amusent leurs enfants

Alignés contre le mur du préau, Shérif, Drakulette, Commère et Crapaud attendent tranquillement les lancers d’Arnaud pour connaître leur futur propriétaire. Après les quatre tirs réglementaires, exécutés à l’aide de Moqueur, Drakulette et Crapaud se retrouvent face contre terre, Shérif gît sur le flanc tandis que seule Commère échappe à l’hécatombe. Avec ses 4 points – résultat d’un savant calcul dont les variables tiennent dans la position des figurines après leur chute -, Arnaud gagne la manche et empoche l’un des Gogo’s de Charlotte. Pas en reste, la fillette attend que son camarade dispose ses quatre figurines pour lui rendre la pareille.

Hauts de trois centimètres pour les plus grands, carcasses multicolores en plastoc mat, transparent ou fluorescent (les plus recherchés), les Gogo’s, vendus 1 euro le sachet de 3, pourraient bien devenir les prochaines vedettes des cours de récréation. Encore faut-il que la mayonnaise prenne, ne devient pas phénomène de mode qui veut. Dans les cas des Gogo’s, apparus en 1996 en Espagne (leur pays d’origine), tous les éléments du succès commercial semblent réunis. L’époque de commercialisation d’abord. Pour la société française de marketing, Junior City qui, depuis 1996, publie l’ Observatoire des cours de récréation (1), si futile que cela puisse paraître, le climat est un facteur décisif lors du lancement d’un produit. Il est vrai que s’amuser à jeter des Gogo’s dans une flaque d’eau gelée, lorsqu’il fait moins 2 degrés, a de quoi rafraîchir les ardeurs. En hivers, le jeu de cartes a, par exemple, plus de chance d’accrocher les bambins. Le prix de l’objet doit également être calculé au plus juste. L’enfant ou ses parents doivent pouvoir l’acheter facilement. Sans compter qu’une trop grande valeur risque de le bannir des cours d’écoles. L’encombrement a aussi son importance: le jeu doit tenir aisément dans la poche. Autre élément non négligeable, le détournement des règles. Si celles-ci sont trop tarabiscotées, l’enfant doit pouvoir se les réapproprier. Il est également essentiel que le phénomène arrive par les plus grands. S’il est introduit par les plus petits, il ne « contaminera » pas les enfants plus âgés qui le considéreront comme un jeu réservé aux « bébé ». Un mécanisme confirmé par le Pr Catherine Van Nieuwenhoven, responsable du Centre de recherche sur le développement de l’enfant et de l’adolescent de l’UCL, qui rappelle qu’en la matière « les petits imitent les grands et non l’inverse ». Enfin, l’imagerie doit être variée, pour susciter l’envie de collectionner. Les Gogo’s, qui comptent 60 figurines (il en existe déjà plus de 300 aux Etats-Unis) déclinées dans une trentaine de coloris, n’ont rien à envier dans leur diversité aux célèbres Pokémon (contraction de pocket monster). Pour les spécialistes de Junior City, les monstres de poche représentent par ailleurs le seul véritable phénomène de mode dans les cours de récréation. Une réussite que ne contredira pas Bruno Van Speybroeck, responsable des relations publiques pour l’Europe de Wizards of the Coast, société distributrice des cartes Pokémon. Depuis le début de la Pokémania, plus de 300 000 jeux de cartes (sans compter les recharges) ont trouvé acquéreur en Belgique. Un succès qui dure toujours: dans le vaste catalogue de Wizards of the Coast (Harry Potter, Magic, Star Wars…), Pokémon reste l’une des marques les plus vendues.

Sans doute moins populaires en France, les vignettes Panini pourraient figurer dans le top des meilleures ventes. Fondée en 1961 par Giuseppe et Benito Panini, qui ont eu la bonne idée de vendre des images de footballeurs destinèes à être collées dans un album, la société Panini a débuté ses activités dans le Benelux, lors de la Coupe du monde 1970, avec le fascicule Mexico 70. Ensuite viennent les albums « Sprint » avec l’âge d’or d’Eddy Merckx, la série Love Is, Barbie… ainsi que l’album de foot annuel reprenant l’ensemble des joueurs de la saison de football. A l’époque, on s’échangeait donc des Christian Piot ou Franky Vercauteren à la place des actuels Pikachu et autres Rattata. Un business juteux. Pour l’année 1999, le Groupe Panini, qui compte 643 salariés répartis dans 100 pays, a en effet réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 180 millions d’euros. Une réussite et une longévité qui n’empêchent pas Junior City de placer ces collections d’autocollants parmi les jeux récurrents plutôt que parmi les phénomènes de mode. De la même manière, les pin’s (ou épinglettes), flippos (ou hoppies), porte-clés, bracelets brésiliens et… Gogo’s sont à ranger du côté des épiphénomènes, dont la durée de vie dépasse rarement quelques mois.

Le plaisir de posséder

N’empêche. Pour Catherine Van Nieuwenhoven, à l’exception d’un trou dans le portefeuille des parents, ce genre de jeux n’apporte pas grand-chose à l’enfant. « Dans le meilleur cas, on peut simplement parler d’un apprentissage à la négociation quand il s’agit d’établir de nouvelles règles pour pallier la complexité de celles fournies avec le jeu. Mais peut-on encore évoquer le jeu lorsque le seul plaisir de posséder est présent ? Les enfants ne jouent plus, ils collectionnent. »

Reste que tout n’est pas sombre dans les préaux de nos écoles. Malgré les efforts soutenus et répétés des équipes de marketing – déjà en 1932, Nestlé commercialisait des albums pour collectionner les images accompagnant ses bâtons de chocolat -, les enfants demeurent fidèles aux jeux traditionnels. Tant pour Catherine Van Nieuwenhoven que pour les spécialistes de Junior City et les directions des établissements contactées, courses, billes, marelle, élastique et jeux de ballon restent et resteront les seules stars des cours de récréation. Et ce malgré ces gogos de parents qui, sous la pression des enfants, achètent une boîte de céréales pour le seul gadget batifolant au milieu des flocons d’avoine.

Vincent Genot (1) Etude exhaustive portant sur les jeux des enfants du primaire (1 200 petits Français observés quotidiennement).

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