Des clubs de placement

Bonheur et volupté. Les partis ont pris goût à la dépendance à l’argent public. Au risque d’y perdre leur âme et leur allant. De devenir des assistés, accuse Bart Maddens.  » Le système de financement les rend paresseux. Pourquoi feraient-ils encore des efforts pour attirer des membres ou des fonds, si l’Etat règle la note ? Les partis ne sont plus des contre-pouvoirs. Ils sont devenus comme des clubs de placement, à cette différence près qu’ils ne gagnent pas l’argent qu’ils investissent.  »

En 2009, le Greco se met en tête de sortir ce petit monde de sa léthargie, en venant mettre son nez dans son financement. L’intrusion est à prendre au sérieux : le Greco, ou Groupe d’Etats contre la corruption, est un organe du Conseil de l’Europe. Et son rapport est sévère. La façon dont le monde politique chouchoute ses partis en prend pour son grade.

Impossible de fermer les yeux : le Greco attend de la Belgique une réponse à ses critiques et à ses recommandations pour le 30 novembre 2010. Mars 2013 : la riposte n’est pas encore prête. Elle n’a pas encore dépassé le stade du texte martyr.  » Il reste à y intégrer les remarques et amendements des partis « , explique Joseph George (CDH), qui préside le groupe de travail parlementaire  » partis politiques « . Boucler d’ici à la fin de la législature sera  » serré mais jouable « .

Plus de deux ans de retard sur l’agenda. Les parlementaires ont opté pour le train de sénateur. A l’abri des regards indiscrets. Auditions à huis clos, cogitations en interne. Les discussions sur le financement des partis n’aiment pas trop la lumière. Le sujet excite rarement les élus du peuple. La validation annuelle des comptes des partis n’électrise jamais les débats parlementaires. Le dernier rapport en date, réalisé en novembre 2012, ne déroge pas à la règle.

Paroles d’experts, sondés par Le Vif/L’Express :  » Les partis n’ont pas trop envie ni aucun intérêt à modifier les règles de financement qu’ils se sont fixées.  »

La réalité ne brille pas par sa clarté

La révolution sera tout, sauf copernicienne.Ellen’irait pas au-delà d’un durcissement des sanctions pour écart de conduite : jusqu’à priver temporairement de mandat un candidat élu, ou priver un parti de l’usage de son sigle. Ou encore s’en prendre également aux partis qui ne bénéficient pas de dotation publique fédérale.

Le Conseil de l’Europe risque d’être déçu. François Bellot, sénateur MR, devance la critique :  » Le système de financement actuel vaut mieux que le retour à la loi de la jungle.  »

Difficile de se faire vraiment mal, même pour les beaux yeux du Greco. Son jugement parfois sommaire et outrancier en a d’ailleurs piqué plus d’un au vif. Il a désagréablement surpris le sénateur CDH Francis Delpérée, par sa  » méconnaissance de la réalité belge « . Il n’a pas convaincu le président de la Chambre, André Flahaut (PS) pour les mêmes raisons :  » La réalité vue d’un bureau n’est pas la réalité de terrain.  »

Cette réalité ne brille pas par sa clarté. Le financement des partis se perd dans un fouillis législatif. Une vraie purée de pois. Elle n’aide pas à la transparence.  » En 2007, 46 % des subsides versés aux partis reposaient sur des décisions non publiques, prises en bureau d’assemblée « , relève Bart Maddens.

Le terrain est quadrillé

Aides publiques, patrimoine immobilier, services d’étude : les 12 partis en lice s’appuient sur un tissu de 289 ASBL, soit 24 ASBL en moyenne par parti, pour assurer la bonne marche des affaires. La chaîne de contrôle a tout intérêt à être à la hauteur de telles usines à gaz. Réviseurs d’entreprise, Cour des comptes, cinq commissions parlementaires de contrôle : les finances des partis sont sous haute surveillance. Le terrain est quadrillé.

Seul le niveau local échappe au radar des vérificateurs.  » Pousser le contrôle jusqu’aux centaines de sections locales serait aussi impraticable qu’impayable « , argumente Fernand Maillard, réviseur d’entreprise d’Ecolo. Cette zone nébuleuse ne plaît pourtant pas aux experts de l’Europe :  » Des responsables centraux de partis ont affirmé tout ignorer des finances au niveau des sections locales, même d’une grande ville.  »

L’indépendance réelle des contrôleurs des partis chiffonne plus encore le Greco. Tout comme  » le manque de distance  » des réviseurs d’entreprise, que les partis choisissent librement.  » La portée de la révision reste assez modeste. Les réviseurs ne travaillent que sur les documents transmis par les partis qui les désignent.  »

Ce soupçon-là a le don d’offusquer la profession.  » S’il choisit son réviseur, le client n’est pas roi pour autant. Nous sommes soumis aux normes déontologiques de la profession, nous ne contrôlons pas un parti politique différemment d’une entreprise. Nous sommes bien conscients du risque de récupération politique de tout faux pas « , rétorque Fernand Maillard. Son collègue vérificateur des finances du CDH, Paul Comhaire, abonde :  » Un réviseur qui manquerait d’indépendance envers le parti politique qu’il contrôle se suiciderait professionnellement, vu la médiatisation de ce genre de dossier.  »

Le dernier mot revient de toute manière au Parlement. Où les partis font la loi. Où contrôlé et contrôleur ne font plus qu’un. Ce n’est pas permis, a rappelé au groupe de travail le constitutionnaliste Marc Verdussen (UCL) :  » On ne peut être à la fois juge et partie. Il y a une méfiance de plus en plus généralisée à l’égard des Etats qui confient aux parlementaires le soin d’exercer un contrôle sur eux-mêmes.  » L’argument fait mouche au MR. Plus encore chez Ecolo :  » Un organe de contrôle fort et indépendant est un dossier prioritaire.  » Mais il ne saute pas aux yeux du PS, partisan du  » maintien du système actuel « .

La leçon du professeur Verdussen n’a pas fondamentalement troublé la bonne conscience des élus du peuple. Ils s’en tiennent à la formule actuelle. Elle a jusqu’ici peu prêté à conséquence.  » Au niveau fédéral, une demi-douzaine de dossiers seulement ont concerné, depuis 1989, les comptes de partis peu puissants « , a relevé le Greco. Le Front national, et sa cascade d’irrégularités flagrantes, a bien cherché les ennuis.

Il faut le vouloir pour qu’un parti soit inquiété et s’attire les foudres de ses alter ego. De quoi rendre vigueur à la thèse des loups qui ne se mangent pas entre eux. Mais la formule a sa variante optimiste. Elle a les faveurs de Jean Faniel, politologue au Crisp.  » Chaque parti est prudent et vigilant, car il se sait surveillé par les autres. L’autocontrôle veut dire qu’il y a contrôle.  » Vu comme ça.

P. HX.

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