© Erik Anthierens

Des chiffres et des femmes

Quand on parle de prostitution, les positions se cristallisent vite. D’un côté, ceux qui pensent qu’on ne peut empêcher les femmes de vendre leur corps ni les hommes d’y recourir. De l’autre, ceux (et plus souvent celles, surtout si elles sont féministes) qui considèrent le  » plus vieux métier du monde  » comme une violence faite aux femmes. Claude Moniquet appartenait à la première catégorie. Que vient faire dans cette galère celui que l’on connaît davantage pour ses commentaires sur les attentats djihadistes ? C’est parce que sa société Esisc s’occupe de crime organisé que le Conseil des femmes francophones et le Vrouwenraad lui ont confié une enquête (1) sur l’exploitation sexuelle et ses liens avec les réseaux criminels. Le résultat est implacable : selon Europol (2), le trafic d’êtres humains pour l’exploitation sexuelle figure dans le top 3 du crime organisé, juste derrière la drogue et les fraudes.  » Cette enquête a changé mon regard, dit l’enquêteur. L’image de la prostituée indépendante qui donne du bonheur, pratique un métier comme un autre, inévitable et hygiénique, s’efface devant la réalité de l’exploitation très violente de victimes sans voix.  »

Les chiffres ? Complexes. Ils vont de 1 à 10. Comment faire lorsque la traite se mêle au blanchiment ? Lorsqu’au bord des grand-routes du nord de Bruxelles, les clients paient les filles en descendant des bouteilles de mauvais champagne ? En Espagne, le poids économique de la prostitution atteindrait les 18 milliards d’euros (3). Un homme sur trois y a régulièrement recours à l’une ou l’autre des 400 000 prostituées. Même nombre en Allemagne. Dans les deux cas, l’immense majorité des filles sont importées. Elles viennent d’Europe de l’Est (on vit mal en Ukraine et en Moldavie), d’Amérique latine et d’Afrique. En Belgique ? On parle de 4,5 milliards d’euros par an. 95 % des victimes de ce marché très porteur et mondialisé sont des femmes, des filles, des fillettes. De 13 à 64 ans, même si la plupart ont de 15 à 17 ans.

Difficile d’imaginer qu’elles aient rêvé, petites, de devenir prostituée. Bien sûr, le chiffre en accroche – 12 euros la pipe, 20 euros la baise – ne représente que les filles en fin de parcours, les plus de 35 ans, celles qui sont trop abîmées, trop droguées pour refuser l’abattage, les rapports non protégés et le reste. Certains pays, comme la Suède et la France, ont décidé de pénaliser le client. En Belgique, la loi ne bouge pas. Et les associations féministes de pointer les  » communes proxénètes  » qui perçoivent des taxes sur les chambres ou les vitrines (en même temps, il n’y a pas de raison de ne pas taxer la prostitution). Lorsque l’on évoque le futur Eros Center de Seraing – 2 000 m2, 34 chambres, parking clients de 4 000 m2, 102 travailleuses et un investissement estimé à près de 5 millions d’euros) – les langues se déchaînent. L’ensemble, géré par une asbl où les politiques sont majoritaires, est désigné comme  » Putefin « . A Ixelles, sous l’impulsion de l’échevine des finances Viviane Teitelbaum, par ailleurs présidente du Conseil des femmes francophones, les taxes perçues sur les vitrines et enseignes sont reversées à des associations qui viennent en aide aux femmes en détresse.

(1) Traite des êtres humains, exploitation sexuelle et prostitution : le poids du crime organisé, European Strategic Intelligence and Security Center, 4 octobre 2016, revu et complété le 31 mars 2017.

(2) Serious and organized crime Threat Assessment, Europol, Socta 2013, EU.

(3) Exploitation sexuelle, prostitution et crime organisé, fondation Scelles, Paris, éd. Economica, 2012.

par Béa Ercolini

12 euros Le  » premier prix  » pour une fellation, voire une passe, dans le quartier de l’Alhambra à Bruxelles

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