Des bords de Meuse très convoités

Les promoteurs immobiliers convoitent les bords du fleuve depuis plusieurs années mais pas question d’y construire n’importe quoi : quelques Namurois veillent au grain ! Leur priorité : éviter une  » littoralisation  » de ces berges et leurs nombreuses richesses.

Agrémentés de villas typiques, de sites naturels, de falaises, les bords de Meuse représentent un patrimoine naturel et architectural tout à fait exceptionnel à Namur et dans ses environs. Les lieux ont surtout un intérêt touristique, mais ils attirent également un autre public : les investisseurs immobiliers. Pour ces derniers, l’argument de la vue sur le fleuve est évidemment un must commercial. Ils sont donc nombreux à vouloir ériger leurs bâtiments sur les berges du fleuve.

Les Namurois ont commencé à voir poindre les investisseurs à la fin des années 1990, après que le CWATUP (Code wallon de l’aménagement du territoire) a assimilé en 1997 zones d’habitat et de parc résidentiel, supprimant ainsi toute indication de densité. S’engouffrant dans la brèche, plusieurs investisseurs ont alors voulu ériger en bord de Meuse d’imposants immeubles de logement, au grand dam de quelques riverains et associations. Les projets initiaux et ambitieux de la maison Legrand ou du King Fook Garden furent parmi les premiers à générer des levées de boucliers.

Ancien président de l’ASBL Namur2080, Franz Bodart ne s’oppose pas aux nouvelles constructions. Il lutte en revanche pour éviter une  » littoralisation  » des bords de Meuse namurois.  » Nous ne voulons pas que les rives du fleuve deviennent comme la côte belge, bordées de hauts buildings sans espaces verts, explique-t-il. Les bords de Meuse doivent préserver leur charme, leurs richesses architecturale et naturelle.  »

Préserver le caractère aéré

En 2006, avec plusieurs associations et sous l’égide d’Inter-Environnement Wallonie, l’ASBL Namur2080 a donc organisé une conférence de presse pour sensibiliser le public à cette problématique. Coup de pouce pour Franz Bodart et ses amis : Ecolo, à l’époque en campagne électorale, a pris le problème à bras le corps et lui a donné une portée politique. Arrivés au pouvoir aux côtés du MR et du CDH, les Verts ont alors contribué à l’établissement d’un règlement communal d’urbanisme (RCU) pour les biens mosans, qui a été approuvé en 2011.

Le texte est le premier du genre à protéger les bords de Meuse et son bâti.  » Il correspond à 90 % à notre credo « , se félicite Franz Bodart. Pour Sophie Opsomer, actuelle vice-présidente de Namur2080,  » il y a eu une prise de conscience, une sensibilisation du public mais aussi des pouvoirs politiques. Cela a permis l’élaboration de ce RCU qui a l’avantage de baliser les constructions et de protéger le patrimoine « . Le règlement communal d’urbanisme empêche en effet la destruction de bâtisses remarquables (une centaine), biens non classés mais qui ont été répertoriés par la Ville. Il veut également préserver le caractère naturel et aéré des bords de Meuse. La densité des logements est limitée et une place cruciale doit être apportée aux espaces verts, que ce soit dans les projets de construction, de rénovation ou de transformation. Le texte insiste également sur la relation du bâti avec le relief du terrain et sur la préservation du gabarit des constructions existantes.

Conformément à cette volonté, certains projets inadaptés ont été abandonnés ou révisés. C’est entre autres le cas du Centre sportif de Beez, finalement implanté sous le viaduc autoroutier alors qu’il devait au départ empiéter sur le site classé de la Darse et des Roches de Marche-les-Dames. Les erreurs du passés n’ont cependant pas été effacées et il subsiste des sites mal intégrés dans le paysage, comme la station d’épuration de Wépion.

Un équilibre fragile

S’il peut se réjouir de l’élaboration de ce règlement communal d’urbanisme, le texte n’a pas signé la fin du combat pour Namur2080 et ses semblables.  » L’intérêt pour les bords de Meuse reste présent, tout comme la forte pression financière, remarque Sophie Opsomer. De plus, il existe toujours des moyens de contourner les règles établies dans le RCU…  » Plus soucieux de rentabilité que de la préservation du patrimoine fluvial namurois, certains promoteurs usent en effet de nombreuses ruses pour parvenir à leurs fins.  » Ils obtiennent ce qu’ils veulent à l’usure ou encore en profitant d’une faille, d’un changement politique, déplore Franz Bodart. De plus, à force de voir leurs projets retardés faute de permis, les lieux qu’ils veulent exploiter deviennent parfois des chancres. Dans ce genre de situation, il est arrivé que les riverains proches des projets s’impatientent et commencent à en vouloir à ceux qui retardent le début des travaux, alors que ceux-ci ne font que lutter pour préserver le patrimoine…  »

La plupart des projets construits en bord de Meuse passent donc généralement par plusieurs modifications ou révisions à la baisse avant d’aboutir. Le dernier exemple en date est celui du Port du Bon Dieu, qui n’est pas situé dans une zone comprise dans le RCU, mais qui borde quand même le fleuve et se trouve sur une voie d’accès à la ville.  » Au départ, le projet prévoyait des tours de trente à quarante mètres de haut, rappelle Franz Bodart. Heureusement, cela a été refusé et aujourd’hui le Port du Bon Dieu propose une architecture plus intégrée, une meilleure mixité, un halage accessible… Le projet est bien mieux pensé et surtout il n’est pas monofonctionnel.  »

Tous ceux qui luttent pour préserver les bords de Meuse savent que rien n’est acquis définitivement. Une nouvelle majorité au niveau communal pourrait suffire pour changer radicalement la politique adoptée vis-à-vis de la préservation des berges. Autre difficulté : la Meuse représente un couloir qui s’étend sur plusieurs communes et une seule rupture à un endroit donné peut entraîner des perturbations sur tout le reste. Or, les rives du fleuve sont gérées au niveau communal et non pas régional, ce qui empêche évidemment un plan d’action plus large… Les problèmes rencontrés restent cependant assez semblables : l’intérêt de quelques-uns entre en conflit avec celui du collectif.  » Beaucoup de choses se passent en coulisse et nous sommes là pour donner l’information au public, confie Franz Bodart. Car une fois le processus d’urbanisation entamé, il est quasi impossible de faire machine arrière. La préservation des bords de Meuse passe donc avant tout par une vigilance des politiques et des citoyens.  »

Par Marie-Eve Rebts

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