Derrière les vitrines, les friches

Liège est le premier pôle commercial de Wallonie et génère chaque année 550 millions de chiffre d’affaires. Mais la Ville reste gangrénée par des boutiques inoccupées. A cause du développement des centres commerciaux en périphérie ?

C’était sa locomotive. L’enseigne censée drainer les chalands vers ce piétonnier désespérément en panne de fréquentation. Mais il y a quelques mois, New Look a plié bagages et laissé deux étages vides à l’Espace Sain Michel. Des loyers trop chers, susurrent les commerçants locaux. La faute à la concurrence de la Médiacité, estiment d’autres. Un problème de rentabilité du magasin de vêtements, recadre la direction du complexe.

Complexe qui ressemble aujourd’hui à un village éventré, où les cellules vides se multiplient et subsistent. Un espace vient d’être loué par Luminus. Il était inoccupé depuis l’inauguration des lieux, en… 1999. Les gestionnaires reconnaissent que le démarrage est plus lent que prévu. Mais a- t-il jamais vraiment débuté ? Sain Michel n’est qu’un exemple parmi d’autres de ces pans de ville qui se meurent commercialement. Les rues de la Régence, de l’Université, le début de la rue de la Cathédrale, la galerie Opéra…

Liège, le premier pôle commercial de Wallonie.  » Et de loin, souligne Guénaël Devillet, directeur du Segefa (Service d’étude en géographie économique de l’université de Liège). Tant au niveau de la quantité de points de vente que du chiffre d’affaires généré  » : 1 750 commerces relevés en 2012 dans le centre-ville (Charleroi et Namur en comptent à peine la moitié) ; 247 000 clients, 550 millions de chiffre d’affaires annuel.

Trois galeries à vol d’oiseau

Mais aussi 14,7 % de cellules vides, soit 258 commerces, toujours selon les chiffres du Segefa. Un pourcentage certes dans la moyenne régionale. Mais au-delà des 10 %, cela apparaît inquiétant.  » Un signal d’alarme « , considère Pierre Francis, directeur exécutif de l’Association de management de centre-ville. Et les principaux responsables seraient les centres commerciaux et autres retail parks qui fleurissement en périphérie.  » De véritables fléaux en Wallonie « , juge-t-il.

À peine 5 kilomètres à vol d’oiseau de l’hyper-centre, on retrouve pas moins de 3 galeries (Cora Rocourt, Belle-Ile et Médiacité). Maastricht, à la frontière néerlandaise, attire aussi son lot de Belges. Un véritable cortège de plaques d’immatriculation rouge et blanc les week-ends et les jeudis lors des nocturnes. Sans compter la concurrence des complexes éparpillés dans l’arrondissement : Hognoul, Basse-Campagne à Herstal, Fléron, Flémalle, Barchon, Haccourt… Et ceux qui sont toujours dans le pipe, parfois malgré les contestations (Ans, Soumagne, le Cristal Park de Seraing…)

Dix mille points de vente ont été répertoriés dans la province. Saturation.  » Il ne faut plus de nouveaux projets commerciaux en périphérie. Surtout pour ceux qui proposent de l’équipement léger : il n’y a plus vraiment de place « , note Guénaël Devillet.  » Aujourd’hui, les gens qui ont 50 euros à dépenser ne le font qu’une fois. Les cellules vides n’existeraient pas – ou moins – si on avait limité le nombre de complexes « , dénonce l’UCM (Union des classes moyennes) liégeoise.

Reste que depuis la directive européenne Bolkenstein, chaque commune est maîtresse sur son territoire pour autoriser ce genre de projets. Et que le schéma régional de développement commercial, dont devaient accoucher les ministres wallons Henry (Aménagement du territoire, Ecolo) et Marcourt (Economie, PS), n’est toujours pas prévu pour demain la veille.

Toujours plus grand

Autre problème : les enseignes sont aujourd’hui à la recherche d’espaces toujours plus grands, ce que les vitrines désertées mais exiguës ne pourraient leur offrir.  » Neuf demandes sur 10 qui nous parviennent cherchent des surfaces plus vastes, confirme Maggy Yerna, échevine (PS) du Commerce. Nous sommes en train d’élaborer un site Web qui répertorie tous les espaces vides en fonction des superficies pour orienter au mieux les investisseurs. Nous sensibilisons aussi les propriétaires de magasins qui ne seront plus jamais commercialisables à leur trouver une autre affectation.  »

Georges Gerstmans, président de l’ASBL Commerce liégeois, plaide pour que les autorités limitent la venue de magasins  » à peu de valeur ajoutée « , qui ont tendance à se multiplier dans les quartiers délaissés.  » Cinq marchands de pittas dans la même rue, ça n’apporte rien !  » Selon lui, une autre solution serait d’aider les propriétaires à aménager les étages des points de vente, souvent inoccupés.  » Plus il y aura d’habitants, plus il y aura de clients !  »

Maggy Yerna n’est pas contre. Elle a d’ailleurs lancé Creashop, un projet rue Souverain-Pont. La Ville y a acquis des immeubles, transformé les étages en logements et aménagé les rez-de-chaussée pour des boutiques d’artisanat.  » Mais on ne peut pas racheter toute la ville ! On va inciter les propriétaires privés à suivre.  » Et pour contrer Maastricht, l’échevine garde l’espoir d’organiser sa propre nocturne, idée contre laquelle les commerçants se sont opposés jusqu’à présent.  » Puis ces derniers temps, on constate quand même que les grandes enseignes s’installent à nouveau. MAC, Scotch & Soda, The Sting… Si tous ces noms ne croyaient pas au futur de Liège, ils ne viendraient pas !  »

MÉLANIE GEELKENS

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