Dernier voyage

Au printemps, Nuala O’Faolain s’en est allée. Mais la grande dame de la littérature irlandaise nous a laissé une ultime merveille.

C’était l’une des plus belles voix des lettres irlandaises, une voix errante, parfois inconsolable, qui cherchait à grappiller un petit arpent de paradis sur une terre souvent trop cruelle. Le 9 mai dernier, à Dublin, Nuala O’Faolain s’est éteinte comme elle avait vécu, sans faire de bruit. Quelques mois auparavant, elle avait appris qu’un cancer fulgurant allait la terrasser. Elle refusa alors le court sursis que lui offrait la médecine et, au lieu de s’enfermer dans une chambre d’hôpital, elle prit la poudre d’escampette pour redevenir cette Irlandaise volante qu’elle avait toujours été : avec quelques amis, elle fit un ultime voyage vers les lieux où elle avait été heureuse, Paris, la Sicile, les galeries du Prado, à Madrid, l’Opéra de Berlin, pour écouter la musique de Verdi. Puis elle rentra à Dublin et passa sa dernière nuit à chanter avec ses proches, tandis que son pays s’apprêtait à la pleurer parce qu’elle avait su, sans tricher, peindre son vrai visage, ses déchirures, ses tourments, et toute cette tourbe poisseuse dont il est pétri.

Avant de devenir une très grande dame de la littérature, Nuala O’Faolain a bien failli rester une fille de l’ombre, à tout jamais, sous l’étouffoir de cette Irlande où elle naquit en 1940. Une époque enlisée dans d’obscurs tabous, une famille démantibulée, un père indifférent, une mère alcoolique et éternellement enceinte (treize grossesses, neuf enfants), c’est sur cette galère qu’a grandi la romancière.  » J’étais une pas-grand-chose issue d’une longue lignée de pas-grand-chose « , disait-elle. Mais elle s’est battue. Elle a décroché un boulot dans un quotidien dublinois et elle s’est fait remarquer lorsque la radio irlandaise diffusa ses enquêtes sur ces  » gens ordinaires  » auxquels elle sut rendre la parole qui leur avait été confisquée.

Puis Nuala O’Faolain a tourné le dos à son passé. Et s’est envolée vers les Etats-Unis, où, en guise d’exorcisme, elle a écrit le récit autobiographique poignant – On s’est déjà vu quelque part ? – qui lui a permis d’affronter les fantômes de son adolescence, dans un monde affreusement puritain et misogyne. C’est grâce aux éditions Sabine Wespieser que les lecteurs francophone ont a découvert ce livre, ainsi que deux romans : Chimères, un remake irlandais de L’Amant de lady Chatterley, et L’Histoire de Chicago May (prix Femina étranger en 2006), qui met en scène une indomptable libertine que les vents du féminisme poussèrent vers les pires excès.

Avec son ultime roman, Best Love Rosie, Nuala O’Faolain a signé une histoire qui lui ressemble. Après avoir bourlingué aux quatre coins du monde, Rosie, la narratrice, vient de rentrer à Dublin afin de s’occuper de Min, la tante passablement fantasque qui l’a élevée. Cela nous vaut deux superbes portraits, celui d’une éternelle vagabonde et celui d’une recluse talonnée par la vieillesse, par l’alcoolisme, par la déprime. Elles vont cohabiter, rameuter les sombres souvenirs familiaux et, lorsque Rosie décampera de nouveau – direction l’Amérique – Min s’enfuira de sa maison de repos pour la rejoindreà Comme si l’exil était une renaissance. Comme si la vraie vie commençait enfin pour elle, à l’âge où il faut penser à mourir.

Quant à Rosie, l’oiseau errant, elle ne cessera de chercher le nid dont elle a toujours été chassée. Elle le découvrira dans les paysages de son enfance, au bord de la mer d’Irlande, et son retour à Ithaque sera un pèlerinage vers la grâce. Une femme qui s’échappe, une autre qui revient au bercail : deux voyages opposés vers le bonheur, vers la sérénité, vers la rédemption. Avec ce roman magnifique, apaisé et nostalgique, Nuala O’Faolain a enfin trouvé son petit arpent de paradis.

Best Love Rosie, par Nuala O’Faolain. Trad. de l’anglais (Irlande) par Judith Roze. Sabine Wespieser, 535 p.

André Clavel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire