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Demain, les singes au pouvoir ?

Le paléoanthropologue Pascal Picq a beaucoup aimé La Planète des singes : suprématie, dernier volet de la célèbre franchise. Et prévient que ce n’est pas que de la science-fiction.

Qu’y a-t-il de vrai sur cette Planète des singes (1) ?

Rien. Mais il y a ce qui pourrait arriver. Dans le livre de Pierre Boulle, dont est tirée la saga, des scientifiques délivrent un discours que je cite de mémoire :  » Nous avions domestiqué les grands singes qui nous rendaient les services les plus utiles et délicats, et nous avions des machines qui produisaient des biens nécessaires. Mais, au fil du temps, nous avons été pris d’une paresse intellectuelle et physique et, pendant ce temps, ils nous observaient.  » Ce ne sont donc pas les singes qui ont pris le pouvoir, mais nous qui avons cessé d’être humains.

Le succès de cette saga au fil des ans s’explique-t-il par une réalité possible ?

Bien sûr. D’autant que pour mieux faire accepter le postulat, les scénaristes ont ajouté un effet mutationnel. N’oubliez pas qu’on a injecté à César, le leader de cette nouvelle trilogie, une molécule dopante. Le livre de Pierre Boulle sort en 1963. Il y reprend, notamment, un texte de 1917, Rapport à une académie, de Franz Kafka, cité dans le film de Franklin J. Schaffner, de 1968, avec Charlton Heston, et basé sur le canon de Morgan, un principe de rigueur scientifique énoncé en 1894 par Lloyd Morgan, un grand psychologue de la fin du xixe siècle. Ce canon dit que lorsqu’on veut interpréter le comportement d’un animal, on doit s’imposer d’aller chercher l’explication au plus bas niveau biologique et non au plus haut niveau cognitif. En clair, plutôt que de se dire que les chimpanzés partagent le même comportement que nous – ce qui serait de l’ordre de la réflexion et de capacités cognitives supérieures -, il faut se limiter aux bases génétiques, donc à l’instinct. C’est un débat qui fait encore rage avec les philosophes.

Vous-même, dans votre dernier ouvrage (2), vous racontez un  » coup d’Etat  » mené par des singes. Vous les estimez donc doués de pensée ?

Ah, ça ! On appelle cela la théorie de l’esprit et on en discute encore. Dans mon livre, j’observe juste qu’ils ont la capacité d’évaluer ce que pensent les autres, d’appréhender un état d’esprit, de monter des coalitions, de prévoir, de conserver ou de prendre le pouvoir, jusqu’à éliminer un ou plusieurs adversaires de manière intentionnelle. C’est de l’intelligence politique. Leur cerveau a beau être trois fois plus petit que le nôtre, ils sont capables de stratégie. Ce qui est une forme d’intelligence. A ma connaissance, on n’a jamais calculé leur QI, car les tests sont basés, entre autres, sur le langage. Mais il est clair que chez les chimpanzés, comme chez nous, il y en a de très intelligents et élégants, et d’autres très cons et méchants.

Pourquoi seuls les grands singes sont-ils représentés dans la saga ?

Parce que les petits sont totalement absents du roman de Boulle. Notez que si le titre original est La Planète des singes, en anglais, c’est Planet of the Apes. Or, apes désigne les grands singes, quand les petits sont appelés monkeys. D’ailleurs, quand les gorilles s’insultent entre eux, ils se traitent de macaques. Mais il est vrai que si Boulle avait eu l’idée d’ajouter, par exemple, des babouins, les humains auraient été encore moins à la fête : les babouins sont très rapides, très forts et pourvus de canines assassines.

Pourrait-on imaginer une autre fin que la domination d’une espèce par une autre ?

C’est ce que j’espère chaque fois que je vois ces films. Sauf que toutes les expériences relationnelles avec les grands singes se terminent mal. Pas forcément à cause d’eux… Quand César déclare qu’il est chez lui à la fin de La Planète des singes : Origines (NDLR : premier volet de la trilogie), cela signifie que la planète appartient aux deux espèces. Pas plus à l’une qu’à l’autre. Il n’y a pas d’autre solution que la cohabitation. Or, la question soulevée par La Planète des singes va se poser avec les machines.

Quand on voit Terminator, où les machines ont pris le pouvoir, on se dit que ce n’est pas gagné !

J’en parle avec des roboticiens, très cartésiens, persuadés de garder la maîtrise. Mais à partir du moment où il y a des objets connectés, autoapprenants, personne ne sait ce qui va se passer. La suprématie de l’homme s’est fondée sur cette capacité de réfléchir, de penser le monde, de l’explorer. Dans La Chute de l’empire humain, de Charles-Edouard Bouée (Grasset), une étude sur la fin du travail et l’arrivée de l’intelligence artificielle sortie il y a quelques mois, on peut lire :  » Un des risques avec l’intelligence artificielle, c’est que nous soyons saisis de paresse intellectuelle.  » La convergence avec le propos de La Planète des singes est étonnante. Si on s’endort sur nos lauriers, l’humanité va se trouver en grande difficulté – et dans moins longtemps qu’on ne pense. Vingt ans à peine. Et là, ce ne sera pas du cinéma.

(1) La Planète des singes : suprématie, de Matt Reeves. En salles.

(2) Qui va prendre le pouvoir ? Les Grands Singes, les hommes politiques ou les robots (Odile Jacob).

entretien : christophe carrière

 » Chez les chimpanzés, comme chez nous, il y en a de très intelligents et élégants, et d’autres très cons et méchants  »

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