DÉLINQUANCE JUVÉNILE

Y aura-t-il bientôt des prisons pour jeunes ou quelque chose qui y ressemble? Le ministre de la Justice, Marc Verwilghen, travaille à une réforme de la protection de la jeunesse

Lionel Tate (14 ans) est resté tétanisé sur le banc des accusés. Abasourdi par le verdict: la prison à perpétuité. Certes, son crime était grave: le 9 mars dernier, le tribunal de Fort Lauderdale (Floride, Etats-Unis) l’a reconnu coupable du « meurtre sauvage et brutal » de Tiffany, une fillette de 6 ans, amie de la famille. Mais pour lui, ses parents et ses avocats, il s’agissait d’une mort dramatiquement accidentelle. Voici deux ans, les enfants avaient voulu jouer au catch, comme à la télévision. Lionel pesait déjà 80 kilos, Tiffany, une vingtaine. Cette argumentation n’a pas convaincu la justice. Sous réserve d’une mesure de clémence, Lionel sera incarcéré dans une prison pour adultes, sans possibilité de libération conditionnelle. Car la Floride est à la pointe du durcissement du régime pénal des mineurs, de plus en plus assimilé à celui des personnes majeures.

« Partout, dans le monde, la protection de la jeunesse reste un thème délicat », remarque Geert Cappelaere, expert à l’Unicef. En effet, dans quelle mesure Lionel était-il responsable de ses actes? La même question se pose, chez nous, au sujet de ces trois gamins (8, 9 et 13 ans) qui, en avril 2000, causaient le déraillement d’un train sur la voie Charleroi-Namur. La Belgique n’échappe pas au débat. Après dix ans de discussions, parviendra-t-elle à réformer sa loi sur la protection de la jeunesse (1965), comme le prévoit l’accord gouvernemental? Au cours d’un colloque consacré au sujet, le 16 mars dernier, Christian Maes, collaborateur de Marc Verwilghen, ministre de la Justice, a en tout cas dévoilé quelques-unes des grandes lignes d’un avant-projet.

Principale nouveauté: les mineurs délinquants les plus difficiles seraient pris en charge par le gouvernement fédéral et non plus par les Communautés française et flamande, comme aujourd’hui. Concrètement, quand un jeune, âgé de plus de 12 ans, constituera un danger pour la société, il pourra être placé dans un centre fédéral fermé. Il devrait y avoir trois établissements d’une capacité de 15 personnes chacun. Des « prisons pour jeunes », qui viendraient s’ajouter aux institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ), comme celle de Braine-le-Château récemment agrandie? Ou qui s’y substitueraient? Verwilghen réserve ces précisions à ses collègues du Conseil des ministres.

Cela sonne, toutefois, comme un désaveu de la politique menée par les Communautés. Parce qu’elle était trop laxiste? Certes, selon Maes, la mesure d’enfermement dans un centre fédéral devrait être exceptionnelle. Le collaborateur du ministre insiste sur une « approche plus diversifiée », une gamme plus importante de peines de réparation, par exemple, qui nécessiterait une augmentation du nombre de magistrats de la jeunesse. Ces derniers devraient être mieux rémunérés, en raison de leurs qualités humaines et de formations supplémentaires. Mais Verwilghen étudie aussi la possibilité de sanctionner les parents pour les fautes commises par leurs enfants.

« Je crains une multiplication des centres fermés, commente Cappelaere. Or la privation de la liberté est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant qui insiste sur son droit à grandir dans sa famille. »

La loi de 1965, qui avait donné la priorité à la protection de la jeunesse sur celle de la société, aurait-elle vécu? Voudrait-on en revenir à la situation d’avant la première législation de 1912, qui avait sorti l’enfant délinquant de l’orbite de la justice pénale? « A l’époque, le changement avait été justifié par un constat d’échec: la prison pour les jeunes, ça ne marche pas », rappelle Thierry Moreau, maître de conférences invité à l’UCL et coauteur du Droit de la jeunesse (Larcier).

Maes refuse, quant à lui, de trancher entre le modèle protectionnel, à visée éducative, tel qu’élaboré par les lois de 1912 et de 1965, et un modèle plus répressif et sanctionnel, davantage inspiré de la justice pénale des adultes. « On ne gagne rien à opposer les deux logiques, pense-t-il. Aucune ne répond à l’ensemble des questions posées par la délinquance juvénile. »

Les réformes successives ont d’ailleurs toutes utilisé l’argument d’une augmentation des infractions et des délits commis par des mineurs. « Mais qu’en est-il? s’interroge Moreau. Il n’existe pas d’éléments quantitatifs ou qualitatifs qui étayent cette évolution. Les seules études fiables semblent pencher pour une diminution du phénomène. Mais elles s’accordent sur l’augmentation de sa visibilité, parce que les médias en parleraient davantage. »

En raison d’un sentiment croissant d’insécurité, l’opinion mieux informée de faits qu’elle ignorait jadis demanderait une répression accrue. Une « commission nationale pour la réforme de la législation relative à la protection de la jeunesse » avait d’ailleurs été instituée dès 1991. Cinq ans plus tard, elle avait remis le rapport Cornélis, du nom de son président, en proposant le retour au « modèle sanctionnel ». En 1998, un nouveau rapport, dit Walgrave, a introduit une nuance: le « droit sanctionnel restaurateur » prône le recours à la médiation et aux prestations philanthropiques, au profit de la victime ou de la société.

« En réalité, on peut se demander si la loi de 1965, telle qu’on l’applique aujourd’hui, relève encore du modèle protectionnel, poursuit Moreau. Les mesures sanctionnelles et réparatrices sont nombreuses. Sans qu’on ait pour autant enregistré de meilleurs résultats. Or l’avant-projet de loi de Verwilghen semble avaliser de telles pratiques. » L’enseignant de l’UCL conteste donc le bien-fondé d’une réforme. Il plaide plutôt pour une meilleure compréhension de la loi de 1965. « Le modèle protectionnel repose sur la conviction qu’il existe un lien entre la délinquance d’un jeune et son milieu. Or tous les efforts ont porté sur la prise en charge de l’enfant et jamais sur son environnement socio-familial. » Cela expliquerait-il les limites d’une loi particulièrement généreuse?

Dorothée Klein

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