Délinquance juvénile: le compromis

La protection de la jeunesse n’est pas enterrée. Mais le gouvernement a décidé de la moderniser. De quelle manière? La vigilance reste de mise

Nombre de gouvernements, sur le Vieux Continent, succombent au chant des sirènes sécuritaires en matière de délinquance juvénile. En France, après le succès inquiétant de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle, l’équipe libérale du nouveau Premier ministre Jean-Pierre Raffarin évoque le rétablissement des maisons de correction, version XXIe siècle. Outre-Manche, conséquence logique de la politique répressive menée par le gouvernement travailliste de Tony Blair, une mère de famille s’est vu condamner à une peine de prison pour avoir laissé son kid faire l’école buissonnière. Après l’ouverture mouvementée du centre fermé pour jeunes délinquants d’Everberg (Brabant flamand), on pouvait penser que le gouvernement de Guy Verhofstadt allait suivre la même voie, en enterrant la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse.

L’obstination de Marc Verwilghen

Vieux de presque quatre décennies, ce système paternaliste, qui, pour certains, a amplement prouvé son bien-fondé mais qui, pour d’autres, s’avère trop déresponsabilisant, a déjà fait l’objet de plusieurs tentatives de réforme. En 1996, après quatre années de travaux, la commission Cornelis, nommée par le ministre de la Justice de l’époque, Melchior Wathelet (PSC), prônait le choix d’une approche davantage orientée vers la sanction. Un an plus tard, un autre groupe d’étude, engagé par le successeur de Wathelet, Stefaan De Clerck (CVP), et dirigé par le Pr Lode Walgrave (KULeuven), recommandait, au contraire, une justice restauratrice, notamment via la médiation entre l’auteur du dommage et la victime.

Enfin, l’été dernier, l’actuel ministre de la Justice, Marc Verwilghen (VLD), profitait du calme des vacances pour tenter de faire adopter, aussi rapidement que discrètement, son projet de loi sur la délinquance juvénile. Un projet qui marquait un changement de philosophie radical, en se centrant non plus sur la personne du mineur mais sur le fait délictueux. Ce qui avait pour conséquence de rapprocher la justice pénale pour les jeunes de celle réservée aux adultes. Le projet prévoyait également une nouvelle répartition des compétences et confiait l’enfermement des jeunes délinquants au pouvoir fédéral. Mais le coup de force du ministre VLD a été stoppé net au Conseil des ministres par le PS et Ecolo, qui ont exigé que le texte soit examiné en inter-cabinets avec les Communautés.

Entre-temps, Verwilghen n’a pas désarmé, obtenant, avec l’appui du Premier ministre, l’ouverture du centre fédéral de détention pour mineurs, à Everberg. Ce succès pouvait laisser augurer d’autres victoires sur le plan sécuritaire. Il n’en sera rien, semble-t-il. Le 16 mai, le Conseil des ministres restreint s’est mis d’accord pour réformer la loi de 1965, tout en conservant l’esprit de la protection de la jeunesse. Trois axes ont été définis. Le premier introduit la possibilité pour le juge de la jeunesse d' »appliquer pour les mineurs d’au moins 12 ans des mesures additionnelles en relation avec la nature des faits, la situation personnelle du jeune et les besoins de la société ». Il s’agit, entre autres, de la médiation, de mesures réparatrices, de travaux d’intérêt général et d’amendes.

Le deuxième axe, sans doute celui qui sera le plus discuté, prévoit de simplifier la procédure de dessaisissement, c’est-à-dire la possibilité de renvoi par le juge de la jeunesse de mineurs de 16 ans au moins – les plus problématiques – vers les juridictions pour adultes (tribunaux correctionnels ou cours d’assises). En outre, pendant la procédure de renvoi, les jeunes concernés seraient placés, si les circonstances le justifient, dans des institutions fédérales fermées (de type Everberg) et non plus, comme c’est le cas actuellement, dans une institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ), dépendant des Communautés. S’ils sont condamnés à une peine de prison, ces mêmes jeunes seraient également détenus dans un centre fédéral fermé où les Communautés assureront un accompagnement éducatif. Le troisième axe, enfin, vise à réprimer plus lourdement les adultes qui, sachant que les mineurs sont moins sévèrement punis par la justice, se servent de ceux-ci pour commettre des crimes et des délits.

Autant le projet de Verwilghen était peu apprécié par les acteurs de terrain censés l’appliquer s’il était passé, autant le compromis auquel a abouti le gouvernement semble satisfaire beaucoup de monde. A commencer par la ministre de la Communauté française chargée de l’Aide à la jeunesse, Nicole Maréchal (Ecolo), qui se réjouit de voir maintenu l’esprit de la loi de 1965: « On garde le principe de protection, tout en le faisant évoluer vers une plus grande responsabilisation du jeune. C’est une bonne option. Il faudra néanmoins rester vigilant lorsque l’accord cadre se concrétisera. »

De plus en plus de centres fermés?

Même souci de vigilance du côté de la Ligue des droits de l’homme, qui avait lancé un appel au respect de la Convention des droits de l’enfant. « Le fait qu’on ait laissé tomber le projet Verwilghen est une excellente chose, constate Julien Pieret, conseiller juridique à la Ligue. Mais il faut voir de quelle manière on va modifier la procédure de renvoi vers les juridictions pour adultes. Placer le mineur, qui se trouve en attente de dessaisissement, dans une centre fédéral fermé plutôt que dans une IPPJ s’apparente à une détention préventive. Or les droits de l’enfant stipulent qu’il faut éviter autant que possible l’enfermement des jeunes. On risque de voir se multiplier les centres fermés. C’est une politique dangereuse. »

La réforme de l’article 38 de la loi de 1965 sur la procédure de dessaisissement inquiète également Françoise Digneffe, criminologue à l’UCL : « Cette procédure doit rester exceptionnelle, explique-t-elle. En la simplifiant ou en l’accélérant, on risque de la banaliser. Cela reviendrait à abaisser de manière pernicieuse la majorité pénale de 18 à 16 ans. Dans une société où l’on reste jeune de plus en plus longtemps, ce serait incohérent. » Par ailleurs, Françoise Digneffe souligne le mal lancinant de la protection de la jeunesse: « La loi de 1965 a toujours manqué de moyens pour être convenablement appliquée. Espérons, cette fois, que le gouvernement fédéral consentira le budget nécessaire à ses ambitions. » De même, comme l’a rappelé le CDH (ex-PSC), si l’on ne prend pas suffisamment de mesures préventives en amont de la délinquance, ce n’est pas 50 places en centre fermé qu’il faudra ouvrir, mais plusieurs centaines! La sécurité a un prix. Pas seulement électoral…

Thierry Denoël

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