Degrelle, le retour

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Hitler a-t-il vraiment considéré Léon Degrelle comme un  » fils  » en 1944 ? Dans quelles affaires l’ancien chef de Rex s’est-il lancé au cours de son long exil espagnol ? Aurait-il pu être extradé vers la Belgique ? Pourrait-il encore séduire la jeunesse aujourd’hui ? Soixante-cinq ans après sa mort politique en Belgique et quinze ans après sa mort physique à Malaga, Degrelle, sombre statue du commandeur, revient hanter notre Histoire sur les petits écrans. Un portrait choc du  » beau Léon « , façon Strip-tease, sera diffusé le 5 mars sur la RTBF. Ce documentaire sans commentaires donne la parole à la famille et aux amis du leader rexiste. Son auteur, Philippe Dutilleul, avait déjà suscité la polémique en imaginant, dans la fiction Bye-bye Belgium (décembre 2006), l’implosion du pays.

Attention, doc de choc ! Le 5 mars prochain, à 20 h 15, la Une diffusera Léon Degrelle ou la Führer de vivre, un portrait intime du sulfureux leader rexiste. Auteur : Philippe Dutilleul, un habitué des productions explosives. C’est lui qui avait déjà secoué la chaîne publique et le pays avec son émission-événement du 13 décembre 2006, Bye-bye Belgium, fiction controversée qui annonçait l’indépendance officielle de la Flandre. Cette fois, il propose un film façon Strip-tease (devenu Tout ça), sans commentaires, sur le plus – tristement – célèbre des collaborateurs belges, admirateur de Hitler et de l’ordre nazi jusqu’à sa mort, à Malaga, il y a quinze ans.

Le documentaire associe des images d’archives et des interviews de l’entourage familial et politique de Degrelle. Dutilleul a mené son enquête avec, pour caution scientifique, un jeune historien français, Korentin Falc’hun, auteur d’une thèse de doctorat en Sorbonne sur la carrière du chef fasciste. Ils ont rencontré des proches belges et espagnols de Degrelle et ont persuadé deux des filles du  » Fourex  » de témoigner : Chantal, qui vit dans l’ouest de la France, et Godelieve, installée en Espagne.  » A plus de 70 ans, elles admettent l’échec de leur père, jugé idéaliste, mais elles ne renient pas ses idées « , constate Dutilleul. D’anciens de la Légion Wallonie, de jeunes admirateurs ou encore de vieux habitants de Bouillon, ville natale du tribun wallon, s’expriment aussi.  » Il nous a fallu deux ans de négociations ardues pour obtenir ces témoignages exclusifs et des images inédites de Degrelle en Espagne, où il s’était exilé en 1945 « , précise l’auteur.

Degrelle, sa vie, son  » £uvre « , sujet tabou ?

Résultat : un film saisissant d’une heure quarante, réalisé à partir de quelque quatre-vingts heures d’interviews. Centré sur l’homme Degrelle plus que sur son mouvement ou le contexte historique, le montage, non chronologique, interpelle, brise un tabou, sans verser bien sûr dans l’hagiographie. On retrouve le polémiste énergique d’avant-guerre, capable d’enflammer les foules, mais aussi le mystificateur jusqu’à l’absurde, qui, en exil, multiplie les élucubrations sur son passé et sur l’  » affection  » que lui aurait portée Hitler. Face au caractère sensible du sujet, un seul passage télé est prévu, un débat animé par Nathalie Malleux suivra la diffusion du document et plusieurs émissions de radio sur le sujet sont programmées au cours de la semaine du 5 mars.

 » Quand je suis devenu directeur de l’information, en juin 2008, on m’a prévenu que Dutilleul travaillait sur Degrelle, se souvient Jean-Pierre Jacqmin. J’ai dit : Aïe ! Ce film n’est certes pas une £uvre de réhabilitation, mais un devoir de mémoire et de connaissance. On s’interrogera sur le soutien d’institutions catholiques dont l’Ardennais a bénéficié à ses débuts en politique. Il y a aussi un parallèle frappant entre la crise financière et bancaire actuelle et le milieu des années 1930, quand Degrelle, ses journaux et son parti dénonçaient des scandales politico-financiers. Notons enfin que, contrairement à une idée reçue, le chef de Rex n’a commis, pendant la Seconde Guerre, ni crimes contre l’humanité ni assassinats de juifs. « 

Une icône pour l’extrême droite européenne

A la fin de sa vie, Léon Degrelle (1906-1994) faisait figure d’icône pour une partie de l’extrême droite européenne. Il accueillait même des  » people  » français et belges fascinés par sa personne.  » Parmi ses visiteurs de marque, précise Dutilleul, on peut citer Alain Delon à l’époque du tournage de Zorro, des industriels belges, un architecte du Groupe Structures ou encore Stéphane Steeman.  » L’humoriste belge a rencontré l’exilé en octobre 1991 chez lui, à Puerto Banus et à Malaga. Fervent collectionneur du monde d’Hergé à l’époque, Steeman dira plus tard qu’il a voulu dissuader Degrelle de publier un livre autobiographique – un de plus ! – destiné à prouver qu’Hergé s’était inspiré de sa vie aventureuse pour créer son personnage de Tintin.

Degrelle recevait aussi des historiens et des journalistes peu disposés à flatter son ego. La série d’interviews réalisées par Maurice De Wilde dans les années 1980 pour son émission L’Ordre nouveau (BRT) a marqué les esprits. En revanche, les proches du chef de Rex ont longtemps hésité avant d’accepter de témoigner devant la caméra de Dutilleul.  » Certains se sont confiés pour la première fois, d’autres sont allés plus loin, mais plusieurs ont refusé d’être filmés, car ils craignent encore l’opprobre, même s’ils ne partagent pas forcément les idées de Degrelle « , explique-t-il.

Après la guerre, plusieurs membres de la famille ont souffert de porter le nom de Degrelle.  » Il a fallu convaincre les témoins que nous ne déformerions pas leurs propos, poursuit Dutilleul, que nous n’isolerions pas l’une ou l’autre « petite phrase ». Faire un film dans le camp des vaincus, accrochés à leur idéologie, n’est pas simple. Chaque semaine, des personnes figurant dans le documentaire nous téléphonent, inquiètes. Notamment Chantal Degrelle, la fille aînée, qui a longtemps reçu des lettres et des mails d’injures. Nous l’avons filmée visitant la villa de la drève de Lorraine, près de Bruxelles, habitée par la famille Degrelle au début de la guerre. « 

C’est dans cette maison qu’en août 1940, trois mois après l’invasion allemande, Degrelle s’engage dans une ronde incessante de réceptions privées. L’ambitieux chef de Rex est submergé par les avances d’individus qui s’imaginent destinés à  » sauver  » la Belgique. Parmi les personnalités reçues dans la villa, il y a Raymond Delhaye, administrateur du Bon Marché, mais aussi l’ancien ministre Albert Devèze, qui discute de ses plans de formation d’un gouvernement royal avec Degrelle. Une des figures centrales de ces discussions est le comte Maurice Lippens, membre de l’une des plus puissantes familles belges. Il plaide alors pour une Constitution plus autoritaire. Lippens n’a pas grande estime pour Degrelle, perçu par beaucoup comme un démagogue extraverti et versatile. Mais il est soucieux de l’associer à ses projets.

Un catholique fervent devenu négationniste

 » Degrelle était beaucoup plus hitlérien à la fin de sa vie que pendant les années de collaboration avec l’occupant, estime Korentin Falc’hun. En 1940, il a joué la carte allemande surtout par opportunisme. C’est dans son exil espagnol qu’il deviendra négationniste. Je cherche toujours à comprendre comment un catholique pratiquant comme lui, par ailleurs esthète et cultivé, a pu nier l’Holocauste. « 

Largement consacré à cette période de l’exil, qui dura un demi-siècle et fut riche en rebondissements (fuites, tentatives de raptà), le documentaire apporte des éléments neufs que l’investigation historique a pu mettre au jour. Le témoignage de Jean Vermeire, choisi par Degrelle comme  » ambassadeur  » personnel à Berlin en 1943, retient également l’attention. En 1944, de retour du front de l’Est, Degrelle est reçu par Hitler. Le Führer aurait dit au Belge, selon ce dernier :  » Si j’avais eu un fils, j’aurais voulu qu’il soit comme vous.  » Vermeire assure que ce propos n’a jamais été tenu. On apprend aussi qu’à la mort de Degrelle trois proches du leader rexiste ont dispersé ses cendres non pas à Bouillon, comme Degrelle en avait émis le v£u, mais à Berchtesgaden, le nid d’aigle de Hitler. Même mort, Degrelle n’aura pas renié son passé !

Olivier Rogeau

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