De Van Eyck à Dürer, Bruges parcourt ses canaux…

Ça sonnait comme l’exposition immanquable de 2002… Le Groeningemuseum frappait très fort en organisant un blockbuster muséographique : Jan Van Eyck, les Primitifs flamands et le Sud. Forte de ce succès, l’institution récidive en explorant l’influence de Jan Van Eyck et de l’école flamande sur les artistes de l’Est, parmi lesquels se cache un autre titan… Albrecht Dürer !

Au début du xve siècle, les Pays-Bas – alors vaste étendue politique et religieuse – produisent une génération de peintres de talent. Soufflant véritablement un vent nouveau sur la peinture occidentale, ils entrent dans l’histoire de l’art sous l’appellation de Primitifs flamands : un qualificatif qu’il faut ici prendre non dans son acception péjorative mais bien en référence à ce qui est  » premier « , qui précède. Dès lors, pour éviter toute confusion malheureuse, les historiens empruntent volontiers la formule Ars nova pour parler sans insinuation du pendant septentrional de la Renaissance italienne.

Ce renouveau de la peinture européenne doit beaucoup à la maestria de Jan Van Eyck (1390-1441). Avec un sens inouï du détail, ce prodigieux observateur ouvre des perspectives inexplorées en restituant l’image avec une extraordinaire fidélité. Un réalisme révolutionnaire permis grâce à une innovation technique longtemps laissée à Jan Van Eyck : l’apparition de l’huile comme liant. Si cette paternité  » van eyckienne  » est aujourd’hui clairement contestée, il n’en reste pas moins que notre artiste fut le premier à en faire usage avec un tel raffinement. Couches après couches, les glacis permettent des effets de transparence, des coloris rutilants et une lumière quasi surnaturelle. Une démonstration de virtuosité qui semble donner vie aux êtres et doter les objets d’une réalité jusque-là inconnue dans la peinture. Aussi, par d’ingénieux jeux de perspective, l’artiste va taquiner la troisième dimension.

La richesse des liens culturels

Autant de qualités ne pouvaient passer inaperçues dans un monde où les échanges se multiplient. Et c’est précisément le sujet de l’exposition : montrer le rayonnement de l’Ars nova flamand sur l’est de l’Europe et la richesse des liens culturels que pouvaient entretenir ces deux régions entre 1420 et 1530. Il est fascinant de constater à quelle vitesse les nouveautés techniques, les inspirations thématiques mais aussi les modes de représentation esthétique se répandent et sont repris, par vagues successives, par des artistes d’horizons différents (Allemagne, Autriche, Hongrie…).

Les rapports d’influence – notion délicate – sont encouragés à différents niveaux… Les échanges sont facilités par les multiples liens économiques, politiques et dynastiques ; l’organisation des conciles catapulte les villes qui les accueillent (Bâle et Constance) au premier rang de la scène culturelle et artistique ; des artistes de l’Est se rendent aussi (après une première formation dans leur région) dans les centres artistiques des Pays-Bas. Ces peintres itinérants constituent des maillons importants pour la diffusion des conceptions flamandes. L’exposition soulève également le rôle capital tenu par la libre circulation des gravures. On remarque que des aspects flamands, identifiés sur des tableaux des environs de 1500, sont davantage basés sur la connaissance de gravures que sur des £uvres originales de peintres flamands. L’événement explore en outre l’importance des commanditaires étrangers qui chargeaient nos artistes de la réalisation de retables. De source sûre, on sait que les Rogier van der Weyden, Dieric Bouts et leurs ateliers respectifs livrèrent, au début du xve siècle, des peintures à des commanditaires de Cologne. Une ouverture sur le monde extérieur qui a perduré jusqu’à la fin du Moyen Age. Enfin, le parcours insiste sur le rôle prédominant de la reproduction – importante partie de la formation des peintres débutants – qui permettait d’aiguiser le sens de l’observation et la dextérité.

L’audace de Dürer

C’est pourquoi, sans nécessairement jeter leur tradition par-dessus bord, on compte en Europe centrale une série de peintres qui intègrent des innovations propres aux anciens Pays-Bas pour créer de nouvelles combinaisons. Parmi les jeunes pousses, victimes consentantes de cette influence, un des plus grands artistes du nord de l’Europe, Albrecht Dürer (1471-1528). Guidé par une insatiable soif d’apprendre et un intérêt marqué pour l’histoire de l’art, Dürer entreprend à partir d’Anvers plusieurs voyages vers Bruges, Gand, Bruxelles, Malines… Dans chaque ville, il veut établir des contacts mais également voir les £uvres d’art les plus remarquables. Ce qui le différencie des autres  » influencés « , c’est le brio avec lequel il a su assimiler ces différentes tendances en des créations bourrées d’audace.

Se voulant aussi prestigieuse que celle de 2002, l’exposition n’a pu être organisée que grâce à d’importants prêts d’£uvres d’art consentis par des collections européennes et américaines. On regrette cependant l’absence des grands Van Eyck. Même si on comprend aisément qu’il soit difficile pour certaines institutions – on pense à la National Gallery ou au Louvre – de se séparer, même l’espace de quelques semaines, des Epoux Arnolfini ou de La Vierge au Chancelier Rolin. Des chefs-d’£uvre qui drainent non seulement quantité de visiteurs mais qui ne permettent pas la moindre prise de risque. Qu’importe ! L’exposition tient ses promesses – et attirera à n’en pas douter les foules – puisqu’elle réunit des pièces majeures de Bouts, Campin, Lochner, Memling, Schongauer, van der Goes, van der Weyden ainsi que des £uvres d’excellente facture d’artistes moins connus mais tout aussi talentueux. Une confrontation passionnante et l’occasion de réviser ses classiques !

De Van Eyck à Dürer, Groeningemuseum, Dijver, 12,à Bruges. Jusqu’au 30 janvier 2011. www.brugescentral.be

GWENNAëLLE GRIBAUMONT

Une confrontation passionnante pour réviser ses classiques !

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