De drôles de gars, les Belges !

Dave Sinardet

Belgique-Pays-Bas : 2-0. La Une jubilatoire du Laatste Nieuws fut sans pitié pour nos voisins du nord : deux postes européens de tout premier plan pour les Belges, des cacahouètes pour les Néerlandais. Le montage photo en remettait une couche : un Van Rompuy ricanant face au regard déconfit de Balkenende et un De Gucht triomphant qui exacerbe la déception de Neelie Kroes.  » La Belgique a encore tabassé la Hollande « , ouvrait l’article dans lequel étaient énumérées huit  » raisons objectives  » qui expliquent  » pourquoi nous gagnons à nouveau « . De l’autre côté de la frontière linguistique, le pays fut défendu tout aussi vaillamment. Quand les tabloïds britanniques ont raillé  » notre Premier ministre « , les manchettes des journaux du groupe Sudpresse n’ont pas fait dans la dentelle :  » C’est la guerre !  » Dix raisons furent avancées pourquoi nous n’aimons pas ces  » Rosbifs  » qui  » gâchent les chances de nos ténors politiques « . Bref, de la reconnaissance internationale et des ennemis externes naît toujours la cohésion interne. Nous avons cessé, pour un bref moment, d’être flamands ou wallons. Si Bart De Wever a insisté sur le fait que Van Rompuy est un Flamand, sa voix dissonante fut à peine audible dans le concert des louanges à propos de notre modèle de consensus à la belge.

Car, pour nombre d’analystes, c’est bien leur dextérité à trouver le consensus et à faire des compromis qui prédestine nos hommes politiques à des carrières brillantes en Europe. Ou comme le formulait Het Laatste Nieuws :  » Les hommes politiques belges sont davantage familiarisés aux constructions complexes à cause de la double ou triple structure de notre pays, avec ses deux ou trois cultures. Cela nous force à inventer des compromis finement équilibrés.  » Ah les beaux compromis ! Comme notre vie politique est palpitante et bigarrée ! Cela ne fait-il pas le suc de la Belgique !  » L’Europe sera belge ou ne sera pas « , écrivait il y a vingt ans déjà l’écrivain Geert van Istendael.

Vraiment ? Que la culture politique en Belgique et en Europe se ressemble et demande en partie des qualités analogues à ses dirigeants, personne ne le contredira. Mais les nombreux éloges de notre modèle de consensus parus dans la presse sonnent un peu faux à ceux qui, ces dernières années, y ont suivi la politique intérieure. Bien sûr, il ne faut pas généraliser, mais on peut quand même difficilement soutenir qu’à l’occasion de notre crise politique la presse belge ait joué un rôle particulièrement stabilisateur, en en appelant inlassablement au sens du compromis aujourd’hui unanimement loué. Quiconque se hasardait à esquisser ne fût-ce que l’ébauche d’un  » compromis finement équilibré  » fut aussitôt descendu en flammes par son propre camp. La rhétorique guerrière ne servait alors pas à convaincre nos pays voisins de nos atouts nationaux, mais à décrire les rapports entre les communautés linguistiques.  » Ce que les Flamands veulent nous faire payer : 600 000 pauvres en Wallonie « , titrait Le Vif/l’Express sur sa couverture en 2007.  » Amis wallons, ça suffit ! Vous sous-estimez gravement le Flamand si vous croyez qu’il finira toujours par s’incliner « , menaçait Het Nieuwsblad en 2008.

Si, récemment, on n’avait pas avancé Dehaene sur l’échiquier politique national, les fronts se seraient aussitôt reconstitués autour de BHV. Et on se serait en même temps référé à notre fabuleuse tradition consensuelle pour donner des leçons à nos pays voisins. De drôles de gars, les Belges !

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DAVE SINARDET

 » L’Europe sera belge ou ne sera pas « 

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