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De cape et d’épée

Cet été à l’abbaye de Villers-la-Ville, Julien Vargas joue le baron de Sigognac, noble désargenté qui se transforme en Capitaine Fracasse après sa rencontre avec une troupe de comédiens. Un rôle taillé sur mesure pour un fou des planches qui n’en lorgne pas moins le petit écran.

De loin déjà, on entend les bruits de combat qui résonnent derrière la nef de l’église abbatiale. Le métal s’entrechoque. Sur la scène montée devant les fenêtres en ogive, le Capitaine Fracasse, une épée dans une main, un long poignard dans l’autre, pare et riposte aux coups portés par son rival le duc de Vallombreuse, semblablement armé. Leurs tenues mélangent tee-shirt et grand chapeau rond en feutre à bord rabattu sur le côté, lunettes de soleil et gants de cuir, pantalon de training et bottes montant jusqu’aux genoux à la manière des cuissardes du xviie siècle. Les costumes complets, ce sera pour plus tard. La répétition se déroule sous l’oeil de Jacques Capelle, maître d’armes aguerri, et d’Alexis Goslain, metteur en scène ayant signé l’Amadeus qui a pris place l’an dernier, à la même époque, dans ces mêmes ruines à Villers-la-Ville, selon une tradition théâtrale longue de trente ans.

Après Mozart et Salieri, après Frankenstein, la reine Margot, Thyl Ulenspiegel, Hamlet, Cyrano de Bergerac, Faust et Quasimodo, c’est au tour du baron de Sigognac, alias Capitaine Fracasse, de faire vibrer ces murs érigés au xiiie siècle et qui abritèrent pendant un demi-millénaire des moines de l’ordre de Cîteaux. Pour Julien Vargas, ce rôle-titre dans l’adaptation du roman de Théophile Gautier est, à 34 ans, l’occasion de soigner un ancien rendez-vous manqué.  » En 2009, Yves Larec, alors directeur du Théâtre royal du Parc, montait Fracasse et on m’avait proposé le rôle, raconte le comédien. Mais un soir, en rentrant chez moi, j’ai sauté par-dessus une grille – il ne faut pas me demander pourquoi… – et je me suis cassé le pied. Là, ça fait deux mois que je regarde en permanence où je marche, que je ne suis plus monté sur un vélo, que je n’ai plus pris la voiture avec quelqu’un qui avait bu deux verres… On m’a proposé un tournoi de mini-foot : j’ai refusé.  »

C’est à Yves Larec, justement, que Julien Vargas doit le rôle qui l’a révélé : le duc de Reichstadt, fils de Napoléon Ier et de Marie-Louise d’Autriche, soit l’Aiglon, dans la pièce du même nom d’Edmond Rostand. Trois heures de répliques en alexandrins reposant à l’époque sur les frêles épaules d’un comédien verviétois de 25 ans, à peine sorti du conservatoire de Bruxelles.  » Ça faisait des années qu’Yves Larec rêvait de monter L’Aiglon, se souvient Julien Vargas, mais il tenait beaucoup à l’aspect physique de l’acteur : il voulait quelqu’un qui soit blond, très mince, quasi maladif, et qui ait en même temps suffisamment de technique pour assumer le texte. Quand je suis arrivé à la première lecture, j’étais malade de stress, j’avais de la fièvre. Cela faisait trois mois que j’angoissais comme un dingue. J’envisageais tout le temps le pire. Ce rôle était un cadeau magnifique mais aussi une arme à double tranchant : si je foirais, ce serait une grosse épine dans le pied.  » Au lieu d’une épine, la pièce est un aiguillon pour sa carrière.

Alors qu’il joue toujours sous les ors du Parc, Julien Vargas passe l’audition de Chatroom de l’auteur irlandais Enda Walsh, mis en scène par Sylvie De Braekeleer au théâtre de Poche. Avec son allure juvénile, il décroche le rôle de Jim, ado poussé par d’autres au suicide via Internet. Le grand écart entre l’hyperclassique et l’ultracontemporain est parfaitement maîtrisé. Chatroom fait un carton au théâtre des Doms pendant le festival d’Avignon. S’ensuit une tournée de trois ans, avec plus de 200 représentations.

Julien Vargas a ensuite été Colin dans L’Ecume des jours, version Emmanuel Dekoninck, d’Artagnan dirigé par Eric-Emmanuel Schmitt, Dom Juan à la citadelle de Namur, un Gentilhomme de Shakespeare… Et le voici aujourd’hui avec le volumineux couvre-chef, le masque de Matamore, la cape et surtout l’épée de Fracasse.  » Je n’avais plus fait d’escrime depuis sept ans, j’étais rouillé. J’ai recommencé à prendre des cours il y a six mois. Depuis le début des répétitions, on commence chaque jour par trois heures d’escrime. C’est la première fois qu’on me propose un rôle si physique. C’est un défi et un plaisir. On porte des costumes assez pesants, chauds et, en plus, il faut donner de la voix puisqu’on n’est pas soutenus par des micros, avec la volonté de rester dans quelque chose de traditionnel. Je sais que je dois faire attention à mon alimentation et il ne faut pas que je fume trop « , confie-t-il en écrasant son mégot.

Pour l’heure, sur la scène à degrés, on a rangé les armes et sorti une roulotte transformable par quelques gestes en scène. Alexis Goslain dirige Thierry De Coster, dans le rôle de Blazius, qui dirige lui-même une fausse dispute entre Isabelle et Fracasse, les deux amoureux qui mettront tant de temps à se déclarer, soit Sarah Woestyn et Julien Vargas, également couple dans la vraie vie. Ou comment se perdre dans les niveaux de réalité du théâtre dans le théâtre. C’est là un aspect du spectacle qui réjouit beaucoup le comédien.  » Le baron de Sigognac a un certain maintien, il parle bien et puis tout à coup, il prend le nom de Capitaine Fracasse, il joue le Matamore et lui qui était complètement dépressif dans son manoir, en se disant que rien ne lui arriverait jamais, se lâche complètement pour la première fois de sa vie. Cette troupe de comédiens qui se réfugie chez lui à cause de l’orage, c’est la chance de sa vie et il la saisit. Quand il est amené à faire ce remplacement dans la troupe et à jouer sur scène, il y a ce côté  » thérapie par le théâtre  » qui me parle évidemment.  » Et pour lui, le théâtre représentait-il une chance à saisir ?  » Je dirais plutôt que ça s’est imposé à moi. Je n’ai jamais eu l’impression de faire un choix avec le théâtre. C’était quelque chose qui me faisait tellement de bien et qui me procurait tellement de plaisir que c’était une évidence.  »

Zola sauce andalouse

Cet automne, Julien Vargas sera le fils de Catherine Salée dans Le Pélican d’August Strindberg mis en scène par Jeanne Dandoy. Grâce à la télé, la première est aujourd’hui connue comme l’ambitieuse bourgmestre Brigitte Fischer, dans La Trêve ; la seconde comme Lana, la maman alcoolo qui perd son jeune fils dans Ennemi public. Le succès international de ces deux séries made in Belgium produites par la RTBF laisse augurer de nouvelles perspectives d’emploi pour les comédiens belges francophones. Julien Vargas a, lui, embarqué en tant que scénariste. Avec Peter Ninane, il a rédigé le projet de Baraki.  » Un homme sort de prison. Il apprend qu’il va devenir papa et décide de se conformer à l’image du citoyen modèle, mais son passé de petit voyou le rattrape, pitche-t-il. On est dans l’équation d’un drame social sauf qu’on voudrait y insuffler de la comédie. La différence entre le cinéma social belge et le cinéma social anglais, c’est qu’en Angleterre, il y a toujours de l’humour et de l’autodérision. Dans le drame social, le milieu dont les personnages sont issus est leur fardeau. Puisqu’ils vivent dans une forme de misère, ils ne s’en sortiront jamais. Ici, le milieu est le point de départ de leurs aventures, il y a aussi de l’espoir.  » Baraki, plutôt Ken Loach que Luc et Jean-Pierre Dardenne donc. Le projet entre dans un nouveau format expérimenté par la RTBF : 26 épisodes de 26 minutes.  » Le 20 septembre, on doit remettre un dossier comprenant le scénario des deux premiers épisodes et le synopsis de tous les autres. Si c’est accepté, il faudra écrire tous les épisodes avant que le feu vert ne soit éventuellement donné pour le tournage d’un pilote. 26 fois 26 minutes, c’est l’équivalent de huit longs-métrages. Pour déconner, on se raconte qu’on écrit nos Rougon-Macquart. Dans le dossier, on a glissé qu’on voulait faire « du Emile Zola sauce andalouse ». On verra ce que ça donne…  »

Julien Vargas remonte sur l’estrade, aux côtés des treize autres comédiens.  » J’ai hâte de vous voir sur scène « , lui lance Marc De Roy, le marquis qui accueille la troupe pour une représentation dans son château.  » J’espère ne pas vous décevoir « , répond humblement Fracasse.

Le Capitaine Fracasse : jusqu’au 5 août prochain à l’abbaye de Villers-la-Ville. www.fracasse.be

Le Pélican : du 14 au 25 novembre prochain au théâtre Varia à Bruxelles. www.varia.be

PAR ESTELLE SPOTO

Le metteur en scène a déjà signé  » Amadeus « , également monté dans les ruines de Villers-la-Ville l’an dernier

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