DAT butoir

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le dossier de la DAT n’en finit pas de rebondir. Dans cette pièce dont les curateurs, les créanciers, les investisseurs privés et le tribunal sont les principaux acteurs, le suspense reste entier même si une offre de reprise des actions de la DAT a été déposée pour un euro. Voici les clés de l’intrigue

Les avocats échangent un regard qui en dit long. Impériale, Anne Spiritus-Dassesse, la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, énumère sans pitié les raisons pour lesquelles elle ne croit guère aux chances de (sur)vie de la DAT, l’hypothétique nouvelle compagnie aérienne. Dans la salle d’audience, même les mouches ne se font plus d’illusions: chacun s’attend à ce que la présidente prononce la faillite du SIC, la filiale financière du groupe Sabena. Eh bien, pas du tout. Les conditions de la faillite (cessation de paiement et ébranlement du crédit) ne sont pas remplies: le centre de coordination (SIC-Sabena Interservice Center) peut donc poursuivre ses activités, dans le cadre d’une nouvelle demande de concordat judiciaire, sur laquelle le tribunal ne se prononcera que le 26 décembre. D’un coup, la chape de plomb se lève. « Nous sommes satisfaits: nous avons obtenu ce que nous voulions », lance l’un des avocats du SIC. Et pourtant, rien n’est gagné, sauf… du temps. D’ici au 26 décembre, bien des étapes devront encore être franchies. « Dans cette affaire, chaque pas est crucial, mais aucun n’est déterminant », soupire un journaliste. Etat des lieux.

Quelle est, actuellement, la situation du SIC ?

Après avoir bénéficié une première fois d’un concordat judiciaire, arrivé à son terme, entre le début du mois d’octobre et le 18 décembre, cette filiale du groupe Sabena a immédiatement demandé à être placée une deuxième fois sous concordat. Les éléments, très complexes, qui composent ce dossier sont, en effet, à ce point changeants que le SIC a déjà fait l’objet de plusieurs plans de relance successifs.

En quoi cela concerne-t-il la DAT ?

La DAT, cette filiale de la Sabena sur laquelle Maurice Lippens et Etienne Davignon s’appuient pour tenter de relancer une nouvelle compagnie aérienne, était concernée à double titre par le sort réservé au SIC et par les décisions de ses créanciers.

D’abord, parce que les deux hommes ont sollicité le SIC pour qu’il participe à hauteur de 100 millions d’euros au financement de la DAT.

Ensuite, parce que la DAT a contracté une dette de quelque 4,5 milliards de francs (111 millions d’euros) auprès du SIC. Elle n’est pas la seule filiale de l’ex-Sabena à se trouver dans cette posture: 85 % de l’actif du centre de coordination se composent de créances sur différentes sociétés du groupe failli. Sabena Technics lui doit ainsi 3,4 milliards de francs (85 millions d’euros) et Sobelair, 500 millions (12,5 millions d’euros).

Qu’ont décidé les créanciers du SIC ?

Ils étaient, jusqu’à la mi-décembre, placés devant cette double contrainte qui consistait, pour eux, à récupérer le maximum de leurs créances, sans mettre en péril le lancement de la DAT.

S’ils jugeaient le plan de relance de la DAT peu crédible ou trop risqué et optaient pour la liquidation du SIC, ils n’étaient pas assurés de retrouver leur mise. En outre, dans ce cas, c’en était fini de la DAT, ruinée. Dans l’autre hypothèse, ils pariaient sur le décollage de la compagnie aérienne, sans guère de garantie de réussite, mais dans l’espoir de récupérer leur mise, à moyen ou long terme.

Divisés, au départ, sur la stratégie à suivre – certains d’entre eux, notamment des banques, figurent parmi les investisseurs privés pressentis pour relancer la DAT tandis que d’autres, de grandes institutions bancaires internationales et des investisseurs japonais, par exemple, sont peu concernés par la survie d’une compagnie belge -, les créanciers du SIC ont finalement fini par s’entendre sur une voie médiane.

Afin de limiter leurs propres risques sans mettre la DAT en péril, ils ont décidé de ne pas y investir les 100 millions d’euros qui leur étaient demandés. En revanche, ils abandonnent une créance de 111 millions d’euros qu’ils détenaient sur la DAT et convertissent une autre créance (48 millions d’euros) en actions de la nouvelle compagnie. Ce faisant, les créanciers du SIC détiendront de 15 à 20 % du capital de la DAT. D’autres remises de dettes sont également prévues, notamment à l’égard de Sobelair (filiale charter) et Sabena Technics (filiale d’entretien et de maintenance technique des avions).

Qu’a décidé le tribunal de commerce ?

Informé de cet accord, et convaincu que les conditions de la faillite du SIC ne sont pas réunies, le tribunal de commerce n’a pu que mettre fin au premier sursis provisoire dont bénéficiait le SIC. Cette décision ne préjuge toutefois en rien de la suite: rien n’empêche le tribunal de rejeter la nouvelle demande de concordat et de prononcer la faillite du SIC.

Que se passerait-il si le tribunal déclarait la faillite du SIC ?

Dans ce cas, ses créanciers réclameraient la réalisation des différentes créances du centre de coordination. Par un effet de dominos, plusieurs sociétés seraient aussitôt acculées à la faillite, à leur tour. Endettées, elles perdraient un peu plus leurs chances d’attirer d’éventuels repreneurs. La DAT, Sabena Technics et Sobelair seraient ainsi condamnées à très court terme, entraînant la perte de quelque 6 000 emplois supplémentaires.

Quelle est la situation actuelle de la DAT ?

Ses réserves financières seront épuisées dans les jours qui viennent. Il lui faut, d’urgence, obtenir de nouveux capitaux. Le crédit-pont de 125 millions d’euros que le gouvernement avait accordé à la Sabena, et qui a été transféré à la DAT, avec l’aval de la Commission européenne, a été presque totalement utilisé.

Quel était le plan initial de Maurice Lippens et d’Etienne Davignon ?

Ils avaient, dès le 7 novembre, jour de la faillite de la Sabena, mis au point un projet de relance d’une nouvelle compagnie aérienne belge, fondé sur la DAT. Le financement de ce transporteur tout neuf, qui pourrait conserver le nom de Sabena, doit, dans sa formule initiale, être assuré essentiellement par le secteur privé. A l’origine, le capital de départ du transporteur belge devait s’élever à 200 millions d’euros (8 milliards de francs): 155 millions d’euros à charge de divers investisseurs privés et 45 millions d’euros à assumer par les trois sociétés régionales d’investissement (55% pour la Flandre, 35% pour la Wallonie et de 10% pour Bruxelles).

Très vite, il est apparu que 100 millions d’euros supplémentaires seraient nécessaires pour assurer la viabilité du projet. Le tandem Davignon-Lippens s’est alors tourné vers le SIC, qui a décliné l’invitation. Il y a quelques jours, enfin, ce capital de 300 millions d’euros s’est à son tour avéré trop faible pour assurer la survie de la DAT, en raison de la très forte concurrence et de la guerre des prix qui sévissent dans le secteur. Un apport supplémentaire de 100 millions devrait être trouvé. A priori, il ne pourrait venir que du secteur privé, toute aide d’Etat étant interdite par les instances européennes. On songe toujours au transporteur Virgin Express, une compagnie à tarifs réduits, qui, depuis la faillite de la Sabena, souffle le chaud et le froid sur ce dossier. Etienne Davignon ne s’est-il pas prononcé pour des négociations rapides avec la firme britannique de manière à constituer une seule grande compagnie belge ? Certains, dont Christoph Müller, l’ancien administrateur délégué de la Sabena et actuel président du conseil d’administration de la DAT, sont toutefois hostiles à cette idée. Ils estiment en effet qu’une alliance avec une compagnie low cost serait préjudiciable à un éventuel rapprochement ultérieur avec une autre grande compagnie aérienne. Toutefois après les dernières péripéties, le besoin net de financement de la DAT est repassé sous les 200 millions euros, selon Etienne Davignon.

Le gouvernement fédéral peut-il encore faire un geste ?

Non. La Commission européenne ne l’autoriserait pas. En revanche, le gouvernement cherche toujours une formule qui lui permette de transformer le crédit-pont de 125 millions d’euros déjà octroyé à la Sabena, de manière à réinjecter, temporairement, cette somme dans le plan de financement de la DAT. Ce crédit-pont doit en effet être remboursé pour le 15 février. Le but de la manoeuvre fédérale est de le convertir, par exemple, en prêt subordonné, pour que la DAT puisse compter sur cette aide financière durant une période plus longue.

Qu’en est-il des investisseurs privés ?

Ils sont au nombre d’une trentaine, réunis dans une structure baptisée Air Holding. Parmi eux figurent Fortis, Dexia, la KBC, GBL, Electrabel, UCB, Solvay, Tractebel, la Smap, P&V, la Wintertur, Biac, Belgocontrol, Sofina. D’autres, pressentis pour participer au montage financier de la DAT, ont décliné l’invitation. Interbrew, GIB et Delhaize ont ainsi refusé d’investir dans cette aventure aérienne, jugée soit à trop hauts risques, soit trop en décalage par rapport à l’objet traditionnel de leur activité.

Alors que le Premier ministre Guy Verhofstadt avait annoncé témérairement à la Chambre, le jour de la faillite de la Sabena, qu’il avait décroché l’accord de 12 entreprises privées pour capitaliser la DAT à hauteur de 155 millions d’euros, les noms d’une trentaine d’entreprises sont aujourd’hui évoqués. Pour autant, le montant total qu’elles investiront dans la compagnie n’a pas été revu à la hausse. Le risque qu’elles prennent est donc réduit en conséquence. Tous les investisseurs privés ont en tout cas clairement annoncé la couleur: ils ne participeront que tous ensemble au financement de la DAT. Leur but est également de ne pas s’éterniser dans la position d’actionnaire d’une compagnie aérienne, même si l’accord du 19 décembre ne fixe pas de limite dans le temps. La plupart évoquent néanmoins un investissement qui ne dépasserait guère deux ans, période après laquelle ils revendraient leur part à un autre investisseur, une compagnie d’envergure internationale, dans le meilleur des cas.

Les investisseurs privés ont fait, le 19 décembre, une offre de reprise des actions de la DAT, actuellement aux mains de la curatelle, pour un montant de 1 euro.

Et les sociétés régionales de développement ?

La Flandre a très rapidement fait savoir qu’elle ne souhaitait pas participer au financement de la DAT, estimant que l’argent public flamand ne doit pas être investi dans un projet de compagnie aérienne, considéré, qui plus est, comme très peu sûr. Le Conseil supérieur des finances flamand a clairement pris position en ce sens.

L’exécutif flamand, conduit par Patrick Dewael (VLD), est, en revanche, intéressé par une prise de participation dans le capital de Biac, la société qui gère l’aéroport de Bruxelles-National. Il proposait dès lors d’investir 1 milliard de francs (25 millions d’euros), soit le montant qu’il devait initialement apporter à la DAT, dans Biac, quitte à ce que celle-ci réinjecte cette somme dans la nouvelle compagnie aérienne. Si le refus flamand de participer au montage financier de la DAT n’est pas sans fondement, il n’en pose pas moins plusieurs problèmes.

1. En investissant dans Biac, le gouvernement flamand entend ne prendre aucun risque. Ce n’est pas répréhensible, mais cela suscite des questions dans les deux autres Régions, qui voient mal pourquoi elles seules se mettraient en danger dans cette opération.

2. Biac n’est pas demandeuse d’une telle formule. Elle ne souhaite pas non plus prendre des risques inconsidérés en s’exposant trop dans la DAT.

3. En tentant cet audacieux cavalier seul, la Flandre espérait, ni plus ni moins, prendre de l’avance dans le processus de privatisation de Biac. Cette société doit en effet faire son entrée en Bourse dans les prochains mois et la Flandre ne cache pas son souhait de faire de Bruxelles-National un aéroport flamand, dont les possibilités de développement sont déjà certaines et la rentabilité, alléchante.

Fâché d’être ainsi contrecarré dans ses projets par son ami Patrick Dewael, le Premier ministre Guy Verhofstadt a mis sur la table une formule qui n’a officiellement reçu l’aval que des Régions wallonne et bruxelloise. Les parts que les investisseurs publics prendraient dans la DAT pourraient être converties en actions de Biac à partir du 1er avril 2004. La Flandre donnera sa réponse définitive sur cette proposition avant le 31 décembre. D’ici là, un investisseur privé a accepté de prendre en charge la participaton financière que l’on attendait de la Flandre.

Quel est le capital actuellement réuni pour lancer la DAT ?

Actuellement, les investisseurs privés sont prêts à injecter quelque 175 millions d’euros dans la DAT; 20 millions d’euros proviendraient des Régions wallonne et bruxelloise. Pourraient s’y ajouter, mais au conditionnel toujours, les 125 millions d’euros du crédit-pont gouvernemental converti, ce qui fait environ 300 millions d’euros (12 milliards de francs). Les deux hommes peuvent également compter sur les abandons de créances annoncés par le SIC, à hauteur de 150 millions d’euros. Ce capital de départ sera manifestement insuffisant pour financer la deuxième phase de développement de la DAT (mise en place de vols longs courriers, notamment vers l’Afrique…), raison pour laquelle il restera ouvert à d’autres investisseurs éventuels.

Quels sont les risques que court Sabena Technics ?

Actuellement, la DAT représente quelque 6 % du chiffre d’affaires de la filiale technique de l’ex-Sabena. Si le projet de la DAT n’aboutit pas, elle perdra, après la Sabena, un autre de ses clients importants. Sur le point de connaître des problèmes de liquidités, Sabena Technics a obtenu que le gouvernement fédéral lui accorde un crédit-pont à très court terme de 25 millions d’euros, sur la légalité de laquelle la Commission européenne ne s’est toutefois pas encore prononcée. Elle ne le fera qu’en janvier.

Indépendamment de tout cela, Sabena Technics continue à intéresser plusieurs candidats à la reprise, mais son éventuelle cession n’interviendra pas avant la fin du mois de février.

Laurence van Ruymbeke

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