Dans les coulissesbabel beaub ourg

Lieu phare du paysage culturel et touristique parisien, le Centre Pompidou attire un public du monde entier. Le Vif/L’Express a passé une journée avec ceux qui le visitent et ceux qui y travaillent.

LUNDI 26 JUILLET, 9 h 30 Inspection avant ouverture

Les caméras ne perdent pas une miette de ce qui se passe, à l’intérieur comme à l’extérieur. Pas un chat sur le parvis, ni dans les dédales de Beaubourg. Dans la salle du PC sécurité, une jeune femme scrute le  » mur d’images « , véritable £il de Pompidou. Elle est méfiante et peu bavarde.  » Depuis que la « chenille » [le grand escalator] est payante, les bandes sont allées voir ailleurs. Mais la Bibliothèque publique d’information (BPI), gratuite, elle, reste le terrain de chasse favori des pickpockets. Tout comme la Piazza, lieu de tous les trafics. On a même eu affaire à un réseau de prostitution.  » Bigre ! Beaubourg serait donc le rendez-vous des amateurs d’art et de cochon ?

On emboîte le pas du pompier Stéphane Rihouay, chargé de la ronde matinale. Visite au sommet. 49 mètres au-dessus du sol. Léger vertige. Vérification des extincteurs, des ampoules de sécurité et des portes coupe-feu. Stéphane Rihouay tique en voyant un tas de palettes de bois à côté d’une armoire électrique.  » A dégager « , lance-t-il. On déboule dans les cuisines de Chez Georges.  » Il est interdit d’utiliser le Fenwick dans le restaurant « , précise un écriteau.

A travers la baie vitrée, on aperçoit l’une des huts de Tadashi Kawamata. Les cabanes en bois que l’artiste japonais a accrochées sur les façades du Centre ne sont pas du ressort des pompiers. Une entreprise spécialisée dans la varappe vient les contrôler une fois par mois.

10 h 45 C’est par où, l’entrée ?

Clorinde sort du bureau des agents de surveillance au niveau 4, celui des salles d’exposition. Aujourd’hui, elle est  » volante  » et va remplacer ses collègues pendant leur pause. Au mur sont punaisés les plans des lieux avec leurs points stratégiques sans angle mort, là où doit se tenir le personnel.

Fantic, elle, a une vision à 360 degrés. Elle est à l’accueil général. Derrière son comptoir, elle est en première ligne pour renseigner les visiteurs.  » A part les Japonais qui viennent nous voir quand ils ne peuvent pas faire autrement, le reste du public ne fait plus rien par lui-même. Il faut lui ouvrir le plan, tracer le parcours et lui indiquer les £uvres à voir. Et il est de plus en plus pressé.  » Une dame l’interpelle. Elle voudrait voir l’expo Lucian Freud, l’atelierà terminée depuis le 19 juillet.  » Vous pouvez découvrir Valérie Jouve, une formidable artiste « , tente Fantic. Mais cette visiteuse est très déçue de ne pas faire partie des 359 089 amateurs qui ont admiré les toiles du petit-fils de Sigmund.

11 h 30 Tour de piste

Chris est l’un des 5,5 millions de visiteurs qui, dans l’année, ont poussé la porte du Centre, BPI incluse ; et des 3,5 millions qui ont acheté un ticket pour voir les collections du Musée national d’art moderne ou les expositions temporaires. Ce Britannique est venu à Paris pour l’arrivée du Tour de France. Son compatriote Mark Cavendish a remporté au sprint la dernière étape. Chris est content. Il flâne dans la section elles@centrepompidou et trouve que c’est une bonne idée de mettre en avant les artistes femmes.

Revoilà l’agent Clorinde, posté face à La Mariée, de Niki de Saint Phalle. Du haut de ses 17 ans, elle résume la difficulté de ce job d’été :  » Le problème avec l’art contemporain, c’est qu’on ne sait pas ce qui est une £uvre et ce qui ne l’est pas.  » Une allusion à la pièce Room 101, de Rachel Whiteread, l’une des dernières acquisitions du musée, un cube blanc évoquant le bureau de l’écrivain George Orwell à la BBC. Les béotiens – et ils sont nombreux – passent leur temps à s’adosser contre le monolithe.

14 h 30 Ça cartonne

A la Galerie des enfants, Marie-Christine anime le Kawamata Carton Workshop. Autrement dit, un atelier tout en carton inspiré du travail de l’artiste nippon. La quinzaine d’enfants, âgés de 6 à 12 ans, s’active pour construire un labyrinthe. Voix rauque et débit de mitraillette, Marie-Christine n’est pas du genre démago :  » Ne faites pas tous la même chose. Prenez-vous en main. Soyez indépendant !  » Les parents couvent leur progéniture, avant de mettre la main à la pâte. Un père se fait rabrouer pour son manque d’imagination : il a érigé une vulgaire tour en empilant les boîtes. Marie-Christine propose aux apprentis maçons de recommencer :  » Comme disait Giacometti : « J’essaie une deuxième fois pour rater mieux. » « 

15 h 30 Une expo chasse l’autre

Le démontage de l’expo Lucian Freud touche à sa fin.  » Décrocher, constater, mettre en caisse.  » Une valse à trois temps placée sous haute surveillance. Jean-Robert Bouteau, le régisseur d’£uvres, supervise le décrochage de l’avant-dernière toile : Leigh under the Skylight. Quatre employés de la société LP, spécialisée dans le transport d’£uvres d’art, déposent délicatement le portrait du transformiste Leigh Bowery, nu comme un ver.

Vu son (grand) format et son poids, le tableau est rangé dans deux caisses avant d’être renvoyé à son propriétaire, un collectionneur de Dallas. Les toiles repartent aux quatre coins du monde : Etats-Unis, Australie, Irlande, Suisse, Espagne… Veronica Ortega, régisseuse d’espace :  » Pour travailler dans de bonnes conditions, le temps de battement idéal entre deux expositions est de neuf semaines. Pour Dreamlands, on a pris beaucoup de retard à cause des problèmes de transport aérien dus au volcan Eyjafjöll. On a battu tous les records avec un montage en neuf jours.  » Elle va pouvoir souffler un peu. L’expo Arman ne démarre que le 22 septembre.

17 heures Pendant ce temps-là, dehorsà

Devant le cinéma MK2 Beaubourg, rue Rambuteau, un saltimbanque joue du violon sur une corde tendue entre un arbre et un réverbère. A l’autre extrémité de la Piazza, jadis cour des Miracles, seul Jacky Cohen Tanugi divertit les badauds. Artiste peintre, il installe, été comme hiver, un atelier pour enfants en face du Café Beaubourg.  » Les flics ne font pas de différence entre les vendeurs à la sauvette et les artistes. Moi, ils ne m’emmerdent plus, mais ils ont encore fait dégager une fanfare de jeunes.  » Il a écrit à Agnès Saal. La directrice générale du Centre Pompidou lui a répondu qu’elle  » est attachée au maintien de la tradition d’accueil et d’échanges artistiques libres et variés sur cet espace privilégié « . Il montre la missive qui lui sert de laissez-passer.

18 heures Attention travaux

Les couloirs du sous-sol qui mènent aux salles de spectacle sont lugubres. Bernard Blistène, directeur du développement culturel du Centre, voudrait renouer avec l’effervescence qui régnait lors des premiers temps de Beaubourg. Après Le Nouveau Festival, en octobre 2009, il vient d’inaugurer Les Rendez-vous du Forum en donnant carte blanche à Catherine Baÿ. La veille, un groupe de Blanche-Neige, armées de mitraillettes en plastique, ont dressé un banquet et convié des performeurs. Parmi eux,  » l’homme sans tête  » a tenté en vain de se pendre, sous le regard amusé des visiteurs.

Patrice Chazottes, responsable du jeune public, arrive pour la visite du futur Studio 13/16. Comme son nom l’indique, ce nouvel espace, accessible par le Forum, est réservé aux adolescents de 13 à 16 ans.  » Dès son ouverture, en 1977, le Centre a été pionnier en créant l’atelier pour enfants. On souhaite maintenant proposer un lieu à des jeunes plus âgés.  » Pour l’heure, le chantier est tel qu’on peine à imaginer des ados avachis dans l’espace lounge conçu par le designer Mathieu Lehanneur. Pourtant, le temps presse. Le Studio ouvre le 4 septembre avec Macadam, une programmation autour du thème de la rue.

20 h 45 Questions pour un champion

Au point Information, Fantic n’est plus là. Antoine et Nicolas l’ont remplacée.  » La journée a été facile, pas trop de monde et un débit fluide.  » Antoine travaille au Centre depuis vingt-cinq ans et à l’accueil général depuis dix ans.  » Avant j’étais dans les salles. Les £uvres me manquent, même si on a des visites de formation à chaque nouvelle exposition. « 

Au concours de la question la plus étonnante posée par un public confondant le bureau d’accueil de Beaubourg avec un service de renseignements, difficile de trouver la meilleure.  » Une fois, un touriste a trouvé un morceau d’os et m’a demandé où il pouvait le faire analyser « , se souvient Nicolas.  » Sinon, on a droit à tout, reprend Antoine. Où est le centre commercial ? Où est l’hôpital ? Où est la piscine la plus proche ? Où peut-on faire des clés ?  » Répondre au journal qui transmettra.

Étienne sorin Reportage photo : JULIEN DANIEL/MYOP pour le vif/l’Express; E. S.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire