Dans les coulisses de la Fondation Biermans-Lapôtre, en sursis

En attendant le sort de la prestigieuse maison étudiante belge de Paris, suspendu à une décision de l’Etat fédéral, la vie suit son cours sur le campus parisien. Comme si de rien n’était.

C’est un village planétaire qui n’a rien de virtuel. Les Etats-Unis battent pavillon à côté du Royaume-Uni qui lui-même jouxte le Cambodge, à un jet de pierre de l’Espagne. Située dans le XIVe arrondissement parisien, à la lisière du périphérique, la Cité internationale universitaire rassemble 37 nations sur 40 hectares de verdure. Ses ambassadeurs sont des étudiants et chercheurs au cursus sans ratures, venus parfaire leur formation sur les bancs les plus renommés de la République. Aucun cours n’y est donné, car la Cité avec ses allées arborées est en réalité une paisible résidence. Et quelle résidence ! Certains bâtiments portent la signature de l’architecte Le Corbusier ou du peintre Foujita, tandis que des  » colleges  » au style plus british que british donnent un air de Harvard à ce campus distant de Beaubourg d’à peine 3 stations de RER. On y dénombre aussi 70 tournages par an. Les Guignols de l’Info de Canal +, en recherche d’exotisme, viennent fréquemment y planter leurs caméras avec un faible pour la maison du Mexique, dont les escaliers simulent à merveille les marches de Cannes…

La Belgique n’est pas absente de la carte, elle est même à l’origine de l’un de ses joyaux, édifié dans l’entre-deux-guerres grâce à un couple de mécènes qui lui a donné son nom : la Fondation Biermans-Lapôtre. Son nom est sur toutes les lèvres depuis que l’institution est menacée d’implosion (voir l’encadré page 47). Que l’Etat fédéral veuille se débarrasser de ce symbole rêvé de la Belgique unie – francophones et néerlandophones cohabitent ici en nombre strictement égal avec les Luxembourgeois – ne crée pourtant pas d’émoi chez les résidents. Ni assemblée extraordinaire, ni pétition pour venir à la rescousse de la  » grande dame « . Certains locataires ignorent même tout du sort qui pèse sur la FB-L…

 » C’est une période de l’année où les étudiants sont en plein examen, ils ont d’autres choses en tête, même si la situation nous interpelle, forcément « , dit Béatrice Fierens Gevaert, présidente des résidents. Après un double baccalauréat aux Facultés Saint-Louis de Bruxelles, cette étudiante de 21 ans a mis le cap sur Paris pour suivre une formation en philosophie de l’art à la Sorbonne qui n’a pas d’équivalent en Belgique.  » La spécificité d’une formation est un aspect qui compte lorsque vous introduisez votre dossier de demande en résidence « , souligne-t-elle. Comme la plupart de ses voisin(e)s de palier, elle a eu vent de la très discrète Fondation par le bouche-à-oreille.

Le foyer  » made in Belgium « , cette aubaine

Pourtant, depuis des décennies, chaque année au mois de juin, la fondation universitaire de Bruxelles passe en revue les requêtes des postulants dont le grade constitue le premier critère de sélection. Professeurs, post-doctorants, doctorants et titulaires de master 2 sont, dans l’ordre, les premiers servis. Les esprits les plus ouverts sont les plus récompensés. Avoir la chance d’occuper l’une des 219 chambres de cet  » hôtel particulier  » de 6 étages pour une durée maximale de trois ans, n’a pourtant rien du Graal : on compte en moyenne à peine 400 dossiers de candidatures par an. Bref, on a ici une chance sur deux d’être reçu. Qui dit mieux ? Avec les stagiaires et les étudiants en Erasmus, ce sont 600 à 800 étudiants qui transitent par ce paquebot de 8 800 mètres carrés. Mais contrairement aux idées reçues, les Belges et Luxembourgeois y sont en minorité. Selon le principe des vases communicants qui n’est pas sans rappeler les bas-reliefs à la gloire de vertueux chimistes qui ornent le fronton Art déco de l’édifice, la Fondation accueille 75 étudiants étrangers de la Cité et vice versa. Paul-Emile Pètre, 21 ans, est ainsi passé quelques mois par la Maison du Japon avant de prendre ses quartiers au 2e étage de la maison belge.

 » Un cadre exceptionnel « 

Arrivé à Paris en septembre 2009 après avoir été admis au cours Florent, le jeune comédien ne tarit pas d’éloges sur la Cité U qu’il a rejoint il y a deux ans et demi…  » Le cadre est exceptionnel et mon admission a mis fin à quatre mois de galère où je squattais chez des copains, faute de trouver un logement. A Paris, louer un studio de 20 m2 tient de l’exploit. Vous faites la file avec 150 personnes et vous n’avez des chances de l’emporter que si vous avez une fiche de paie française et des garanties confortables…  » Les agences, elles, réclament jusqu’à 2 000 euros de commission. Avec un loyer de 420 euros par mois pour une chambre de 17 m2 avec douche et WC qui en vaut le double sur le marché immobilier parisien, le foyer  » made in Belgium  » est une aubaine. Dans quelques mois, Paul-Emile devra pourtant décrocher les affiches de films punaisées à ses murs et plier bagage. Après trois années à la Fondation, son séjour s’achève. Il ne sait pas encore s’il retournera au pays ou tentera le concours du Conservatoire d’art dramatique de Paris. Il devra alors recommencer à zéro et partir à la chasse au canapé… Pour se rassurer, il se dit que d’autres comédiens belges sont passés par là, comme Olivier Gourmet, un ancien de la Fondation. Quoi qu’il en soit, il regrettera ce qu’il appelle l’ambiance  » friends  » de ce morceau de Belgique délocalisée, son atmosphère de  » grande coloc’  » où les membres se retrouvent dans la cuisine commune, véritable QG des résidents.  » Il y a une compèt’ entre les cuisines les plus conviviales, celle du 5e étage est en très bonne position « , plaisante Béatrice Fierens Gevaert en pleine préparation de chèvres panées avec deux amis. Mais pour tisser les liens, tout dépend de l’emploi du temps.

Pour Marieke Anaf, 24 ans et étudiante à Sciences-po, son agenda ne lui laisse guère la possibilité de s’investir dans la vie de la Fondation où concerts, projections de films et débats sont constamment à l’ordre du jour. Oubliées les parties de baby-foot du jeudi soir  » Chez Berthe et Hubert « , le bar de l’entresol fraîchement rénové, et baptisé en l’honneur des fondateurs.  » Mon programme est très chargé, j’ai cours tous les jours jusqu’à 21 h 15 et, si je sors après, je préfère boire un verre avec mes amis dans un bistrot du centre « , avoue la jeune Flamande. De retour d’un stage de sept mois aux Nations unies à New York, elle s’apprête à partir pour une nouvelle formation de plusieurs mois à l’ambassade belge du Burundi. La Campine anversoise dont elle est originaire lui semble désormais très loin…  » Pour les proches de ma famille, je suis celle qui fait ses études à Paris et ce n’est pas toujours bien vu ! confie-t-elle. Pourtant je me sens très « normale » par rapport aux autres élèves de Sciences-po qui viennent du monde entier et dont certains ont connu la guerre d’Irak… Turnhout n’est qu’à quatre heures de train de Paris ! « 

Comme nombre des locataires de la Fondation, ce sont ses parents qui la soutiennent financièrement. C’est le cas aussi de Benjamin Jesuran, 21 ans, chambre 606. Etudiant modèle, il est en troisième année à Panthéon-Sorbonne dans le cadre d’un double diplôme de droit comparé avec le Royaume-Uni. L’an passé, il a achevé son baccalauréat au très réputé King’s College de Londres.  » En Angleterre, les logements interuniversitaires sont réservés aux étudiants de première année, exactement l’inverse d’ici. Les règles de vie sont aussi beaucoup moins souples là-bas.  » A lire la charte intérieure de la maison belge, les restrictions sont pourtant nombreuses… Fumer dans sa chambre peut valoir l’exclusion définitive comme le prouve l’éviction l’an dernier d’un étudiant pris à répétition en flagrant délit de tabagisme. Un violent incendie qui a ravagé récemment le toit du bâtiment d’en face n’a rien fait pour calmer les esprits. Avec un mobilier d’origine en bois, le feu est la hantise n° 1 de l’administration. En revanche, pour ce qui est de limiter l’hébergement à une seule personne étrangère à la Fondation, les contournements sont plus fréquents…  » J’ai déjà fait loger quatre personnes dans ma chambre et quand il n’y a plus de place, on demande aux voisins « , raconte off un résident.  » Pour ce qui est du bruit, ça dépend surtout des autres étudiants. Il y a une résidente japonaise qui est connue pour ne pas supporter le moindre grincement de porte, c’est l’enfer ! « 

Le plus mauvais emplacement de la place pour un locataire festif ? La chambre située juste au-dessus de la chambre du directeur… Pour le reste, les administratifs ont d’autres chats à fouetter. Avec une infrastructure digne d’un palace quatre étoiles comprenant une salle des fêtes de 400 m2 inspirée des  » ballrooms  » à l’anglo-saxonne, une bibliothèque, une salle de lecture, une salle de cinéma, un salon privé, une wasserette, des bureaux et même une salle de fitness,  » il y a toujours un problème à régler ou un évier bouché « , lance Claude Gonfroid, directeur adjoint de la Fondation.  » Sur le plan du confort, nous sommes une grande puissance, dit avec humour le directeur, Jos Aelvoet, 63 ans. La Fondation des Etats-Unis ont des douches sur le palier alors qu’elles sont privatives chez nous. Et nous sommes la seule maison binationale et tricommunautaire du campus ! « 

Histoire de donner l’exemple de la bonne entente communautaire, la direction en binôme est toujours constituée des deux sexes linguistiques même si depuis la création de la Fondation, il y a 85 ans, le poste de directeur n’a été attribué que deux fois à un Flamand…  » Les tensions communautaires sont rarissimes entre résidents, témoigne une doctorante néerlandophone. L’an passé, un groupe d’étudiants flamands en Erasmus qui faisaient bande à part et rechignaient à s’exprimer en français, alors que c’est la langue adoptée ici par le plus grand nombre, n’a pas laissé un bon souvenir. Mais c’est exceptionnel. Ils ont été fermement recadré par la direction. « 

Gonfler les recettes

Face aux incertitudes qui pèsent sur l’avenir de la Fondation, la direction, tenue par son devoir de réserve, se garde de tout commentaire. Elle sait pourtant que la situation financière est saine et que les redevances des résidents contribuent très largement aux coûts de fonctionnement de l’institution. Si l’on excepte le remboursement d’un prêt pour les travaux de rénovation de 2001 qui s’achève en 2015, la facture de l’Etat fédéral s’élève à environ 300 000 euros par an. Pour un  » outil de promotion  » de cette envergure, est-ce vraiment trop ?  » Ce n’est pas à moi à me prononcer « , botte en touche Jos Aelvoet. En attendant, la vénérable maison anticipant le possible manque à gagner ou faisant preuve de sa bonne volonté ne néglige aucune piste pour gonfler les recettes. La location de ses salles ainsi que la mise à disposition de ses décors hors du temps pour le cinéma permettent d’engranger 35 000 euros par an. Un modeste butin qui pourrait s’avérer bientôt précieux…

ANTOINE MORENO

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