» Dans le dossier Mittal, Di Rupo est absent « 

Jean-Michel Javaux est resté très silencieux depuis qu’il a quitté la présidence d’Ecolo, en mars dernier. Auréolé de son succès à Amay (54,4 %), il répond à ceux qui accusent les verts d’être devenus  » comme les autres « , adeptes des manigances et des combines politiciennes.

Le Vif/L’Express : Le scrutin du 14 octobre a-t-il consacré la fin de la  » politique autrement  » chez Ecolo ? Les tractations qui ont permis à Olivier Deleuze de décrocher le maïorat à Watermael-Boitsfort, en particulier, ont étonné.

Jean-Michel Javaux : Je suis fatigué de ces commentaires. J’entends : Watermael, oufti, c’est dégueulasse. Qu’on ne me fasse pas rire, quoi ! Avant les communales, il y avait une lame de fond PS-MR qui se préparait et qui préfigurait 2014.

Dénoncer une entente entre les socialistes et les libéraux, n’était-ce pas une posture tactique de la part d’Ecolo, du CDH et du FDF ? Une façon d’exister dans la campagne électorale ?

Expliquez-moi un truc, alors. A Esneux, Christie Morreale, sénatrice, ex-vice-présidente du PS, rallie plus de voix que la bourgmestre MR, Laura Iker. Ecolo progresse fortement, tandis que le CDH emmené par Marie-Dominique Simonet fait 24 %. Si elle le souhaite, Christie Morreale devient, les doigts dans le nez, bourgmestre d’un Olivier PS-CDH-Ecolo. Au lieu de ça, elle préfère aller avec le MR pour que Laura Iker reste bourgmestre. Vous comprenez, vous ? Il s’est passé exactement la même chose à Sprimont, commune de Thierry Giet, président du PS.

Plusieurs voix progressistes regrettent qu’Ecolo ait permis l’arrivée au pouvoir de bourgmestres  » de droite  » à Molenbeek et à Courcelles.

Paul Magnette, le politologue, le chantre du progressisme, qui prend-il à Charleroi ? Le MR et le CDH. Je peux continuer… Dans les communes des ministres-présidents, systématiquement, le PS prend le MR. A Mons, à Saint-Gilles, à Tournai, ils s’allient avec qui, Elio Di Rupo, Charles Picqué et Rudy Demotte ? Avec le MR !

Que voulez-vous dire ?

A chaque campagne, c’est le même cinéma. Socialistes et libéraux jouent aux meilleurs ennemis. Moi, avant les élections communales, j’étais certain qu’on allait vers du PS-MR en 2014. On allait nous ressortir la menace De Wever, nous dire que les deux grosses multinationales doivent s’entendre pour faire barrage au nationalisme flamand. Diaboliser De Wever, ça les arrange bien. Ils savent que ça amène un vote-refuge.

Tout de même, Ecolo n’a-t-il pas limé certains de ses principes fondateurs, en rupture avec les partis traditionnels ?

Je n’ai jamais aimé ce clivage entre traditionnels et non-traditionnels… Mais regardez : chez nous,… pas un seul député ne cumule avec un mandat d’échevin ou de bourgmestre. A la tête du parti, nous avons deux coprésidents interchangeables. Ecolo garde un fonctionnement différent des autres partis. Nous avons de nombreux garde-fous : la rétrocession au parti d’une partie des revenus, le contrôle collectif, l’obligation d’abandonner son activité professionnelle quand on devient député… Tout cela fait qu’Ecolo conserve une saine relation au pouvoir. Trouvez-moi une affaire de détournement d’argent qui aurait éclaboussé un mandataire Ecolo ! Le jour où elle éclatera, elle va être surmultipliée, je le sais, parce qu’on irrite beaucoup de monde.

En termes de projet de société, la différence entre Ecolo et les autres partis ne s’est-elle pas estompée ?

Certains partis soutiennent que le progrès va créer de l’emploi, qu’il faut supprimer les freins à la croissance. D’autres répondent : OK, mais il faut un filet de sûreté pour les plus fragiles. Personne, à part Ecolo, n’inclut dans le noyau dur de son projet la question de l’énergie, des ressources naturelles, des carburants.

Avec Benoît Lutgen, dont le discours semble parfois proche du vôtre, vous avez des divergences idéologiques fortes ?

Je n’ai pas étudié la vision de la société de Benoît Lutgen.

En politique, on n’a pas le temps de parler d’idéologie, de choix de société ?

[Il poursuit, imperturbable.] On est effectivement amis, parce qu’on a soutenu ensemble une campagne pour le don d’organes. A l’époque, j’étais déjà en politique, lui pas. Ensemble, on ne parle pas de nos projets de société…

Qu’est-ce qui vous différencie de Melchior Wathelet, alors ?

[Toujours imperturbable.] Je reste convaincu que la question écologique sera la question cruciale du XXIe siècle. La fonte des glaciers, l’approvisionnement en eau, la gestion des déchets, tous ces enjeux-là. Le thème de l’énergie, on l’aborde toujours par la marge, jamais au c£ur : va-t-on continuer à consommer l’énergie et l’électricité de façon exponentielle ? Personne, à part Ecolo, ne veut saisir ce problème de fond. Les autres partis estiment que c’est secondaire en période de crise économique ou de négociations institutionnelles. Cela nous rendra toujours fondamentalement différents des autres.

Le concept de  » démondialisation « , porté par le ministre socialiste français Arnaud Montebourg, c’est une réponse adéquate aux crises sociales et écologiques ?

Je n’aime pas la protectionnisme malsain…

Défendre le  » made in France « , comme le fait Montebourg, pour protéger les emplois nationaux et promouvoir la production locale, c’est malsain ?

Défendre le made in France contre le made in Belgique ou le made in Allemagne, oui, c’est malsain. Par contre, on doit réfléchir au moyen d’intégrer le coût écologique des biens produits en dehors de l’Europe et consommés chez nous.

Olivier Deleuze en réfère à la  » doctrine Javaux  » pour justifier son cumul de la coprésidence du parti et du maïorat de Watermael-Boitsfort. Cela traduit aussi une évolution d’Ecolo, non ?

En ce qui me concerne, mon élection comme bourgmestre m’a donné une carrure politique supplémentaire. Cela a alimenté ma réflexion quand j’étais invité aux débats télévisés, quand je négociais avec d’autres partis. D’ailleurs, lors des négociations institutionnelles, on a bien vu la différence entre ceux qui étaient en contact avec le terrain et les autres.

Au PS, au MR, au CDH, beaucoup utilisent les mêmes arguments pour justifier le cumul entre les fonctions de député et de bourgmestre.

C’est très différent. Quand j’étais député wallon, j’ai présidé la commission des Affaires intérieures. Face à moi, il n’y avait pratiquement que des bourgmestres qui parlaient de leur commune plutôt que de l’intérêt général. Les parlements exercent en partie la tutelle sur le niveau communal. Il y a là des conflits d’intérêts possibles. Par contre, quand Olivier Deleuze se penche sur l’aménagement d’un boulevard à Watermael, c’est tout à fait compatible avec la coprésidence d’Ecolo.

Certains brandissent un autre argument : un mandat de bourgmestre ou de parlementaire nécessite de s’y consacrer à 100 %.

J’ai toujours souri en entendant cet argument-là…

Des représentants d’Ecolo l’ont parfois utilisé.

Bourgmestre, c’est un boulot qui exige une disponibilité 24 heures sur 24, mais qui ne demande pas de travailler 24 heures sur 24. Jusqu’au début de la crise institutionnelle, j’ai pu sans problème concilier ce mandat-là avec ma fonction de coprésident. D’ailleurs, Ecolo a obtenu de très bons scores en 2007 et en 2009, pendant que j’exerçais les deux fonctions. Si Ecolo a prévu des dérogations par rapport aux statuts, c’est parce qu’on veut analyser au cas par cas. Si Olivier Deleuze était devenu bourgmestre de Schaerbeek, jamais il n’aurait pu rester coprésident.

Quel bilan faites-vous du résultat d’Ecolo aux communales ?

Très positif. On obtient 130 conseillers en plus, on passe de 2 à 6 bourgmestres. Par contre, on stagne dans les grandes villes.

Venons-y. Dans les dix plus grandes villes wallonnes, Ecolo est soit en baisse, soit en stagnation. A Charleroi, Tournai et Verviers, votre parti recule, alors que le résultat de 2006 se situait déjà en dessous de celui obtenu en 2000.

Je fais le même constat. Je crois que l’actuelle coprésidence d’Ecolo doit entamer une réflexion sur les grandes villes. En Flandre, Groen s’est relancé via Gand et Anvers. Je vais vous livrer une analyse personnelle : dans les grandes villes, c’est important de s’appuyer sur des têtes déjà connues. Il n’y a rien à faire, les gens qui passent à la télé, ça amène des voix. Se priver des députés, c’est un privilège de luxe. A Liège, Veronica Cremasco ne figurait pas sur notre liste. Dommage. Les autres partis ont envoyé toutes leurs grosses cylindrées : Paul Magnette à Charleroi, Rudy Demotte à Tournai, Charles Michel à Wavre, Benoît Lutgen à Bastogne… Chez nous, Jean-Marc Nollet n’était pas candidat.

Il aurait dû l’être ?

Oui. Bien sûr. Mais je suis déjà hyper-content que le fait communal trouve sa pleine place chez Ecolo. On explose en milieu rural et semi-rural, en particulier dans le Luxembourg et à Huy-Waremme.

C’est l’effet Javaux, ça ?

Non… [Sourire entendu.] Allez, on va dire que il y a un effet d’entraînement dans les communes voisines d’Amay.

La Belgique devra bientôt ratifier le traité budgétaire européen. Début septembre, sur la RTBF, vous avez déclaré ne rien en penser. Et à présent ?

[Sourire et long silence.] Je continue à ne rien en penser.

Rien du tout ?

Non. Je laisse ça à d’autres.

Vous avez forcément dû étudier son contenu quand vous étiez président d’Ecolo.

Oui, mais vous savez, je suis devenu un petit bourgmestre.

En France, lors du vote à l’Assemblée nationale, le groupe écologiste s’est divisé : 2 oui, 5 non, 5 abstentions.

La  » participopposition « , dire oui à l’intérieur du gouvernement, puis non à l’extérieur, ne pas assumer ses choix, ça ne va pas.

La position d’Ecolo, ce sera donc un vrai oui ou un vrai non ?

Je sors d’une campagne communale très chaude. Je ne sais pas où en sont les instances d’Ecolo… Moi, je suis un éco-keynésien. Je pense que l’Etat doit soutenir une reconversion industrielle, voire une orientation vers une économie verte. Si les règles européennes empêchent la Belgique de réaliser la transition écologique, ça me posera un gros problème. Mais je ne suis pas en mesure de vous dire pour le moment où on se situe par rapport à ce niveau-là de menace.

Dans le bassin liégeois, l’inquiétude quant à l’avenir de la sidérurgie a plané sur les élections communales. Comment jugez-vous l’attitude des différents gouvernements dans le dossier ArcelorMittal ?

Je ne suis pas satisfait de l’attitude du gouvernement fédéral. J’ai trouvé Elio Di Rupo très absent du dossier. Quand la fermeture définitive des hauts-fourneaux a été annoncée, on a laissé la Région wallonne monter seule au créneau. On n’a pas vu une union des forces vives, tous niveaux de pouvoir confondus. A l’époque où il était Premier ministre, quand il y avait déjà des menaces sur la sidérurgie, Guy Verhofstadt était très vite monté en première ligne pour négocier avec les propriétaires. Ici, ça n’a pas été le cas. Elio Di Rupo a engagé une opération séduction vis-à-vis de la Flandre, il veut apparaître au-dessus de la mêlée, comme le Premier ministre de tous. Il a peut-être eu peur de plonger directement sur un dossier wallon aux relents régionalistes. Mais cela me paraît un mauvais calcul. Ici, c’est tout un bassin qui vit dans l’inquiétude.

Que peut faire le Premier ministre ?

Par exemple, rencontrer François Hollande et les chefs de gouvernement d’autres pays où des sites sidérurgiques sont menacés. J’attends toujours une grande réunion consacrée à la sidérurgie. J’aimerais que tous les niveaux de pouvoir se mobilisent, comme ça a été le cas quand des entreprises automobiles étaient en péril. Les différents gouvernements doivent s’unir pour rappeler à Mittal ses engagements. Au moment de faire pression sur un grand groupe privé, je crois que ça a plus de poids si le Premier ministre s’engage aux côtés du gouvernements régionaux. Je pense aussi que le PTB profite d’un contexte où le monde politique donne l’impression qu’il a très peu d’armes face aux multinationales. Je continue à croire qu’il y a une place pour une sidérurgie moderne. Mais pour cela, il nous faut des garanties sur l’approvisionnement de la phase à froid et un plan global au niveau européen.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

 » Ecolo stagne dans les grandes villes. On doit y réfléchir « 

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