Dans la peau d’un maréchal d’Empire

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Il mènera la charge ce week-end à Waterloo et combattra ensuite en Russie, où sera célébré le bicentenaire de la bataille de Borodino. Bibliothécaire dans la vraie vie, un Belge campe depuis cinq ans le maréchal Ney lors des reconstitutions napoléoniennes. Se prendrait-il pour le  » Brave des braves  » ?

On n’a pas tous les jours l’honneur de prendre le petit déjeuner avec un maréchal d’Empire. L’homme qui prend place devant nous dans son bel uniforme orné de décorations a l’apparence du duc l’Elchingen, prince de la Moskova, surnommé par Napoléon  » le Brave des braves « .  » Sauf que le maréchal Ney était roux, moi pas, sourit le Tubizien Franky Simon, 39 ans. Dans le civil, je suis un citoyen lambda, employé dans une bibliothèque à Bruxelles. Mais dès que j’enfile cet uniforme, je deviens officier de l’Empereur. Tous les soldats de la Grande Armée doivent alors obéir à mes ordres. Lors des grandes reconstitutions historiques sur les champs de bataille européens, je dispose de ma propre suite : pas moins de six aides de camp, un secrétaire, un trompette, une vivandière. C’est assez grisant. Quand les canons tonnent, quand la cavalerie charge dans la fumée, au soleil couchant, on s’y croirait ! « 

Franky est tombé tout petit dans la marmite impériale. Sa grand-mère lui lisait des récits de bataille. Son arrière-grand-mère collectionnait déjà les ouvrages sur Napoléon. Mais aujourd’hui, le personnage de l’Empereur ne l’intéresse plus.  » Je me passionne plutôt pour les batailles, les mouvements de troupes, les uniformes, les règlements militaires en vigueur il y a deux siècles.  » Il a d’abord été simple soldat, au 8e de ligne, l’un des groupes de  » reconstituants  » les plus méticuleux et les mieux organisés, qui compte des Belges, des Tchèques, des Allemands, des Russes, des Espagnols… Puis il a vite pris du galon : sergent, général.

Le Belge campe le maréchal Ney depuis cinq ans, notamment à Waterloo, lors des bivouacs et des reconstitutions de la bataille.  » Il paraît qu’à cheval j’ai la prestance du maréchal. Si je me retrouve dans sa peau, c’est parce que, depuis une douzaine d’années, je scénarise les combats. Les reconstituants ne comprenaient pas qu’un civil les engueule. Doté d’un grade supérieur, je suis mieux écouté.  » Lors de certains déplacements à l’étranger, Simon change de rôle : il joue le maréchal Soult, le général Junot ou Jérôme Bonaparte.  » Nous nous fournissons auprès d’un grand spécialiste en uniformes d’officiers du premier Empire, à Dinard, près de Saint-Malo. Il faut compter de 6 000 à 8 000 euros pour l’équipement complet. Par ailleurs, nous nous efforçons de mieux organiser nos troupes. Les figurants britanniques, très disciplinés et regroupés de longue date en associations, sont le modèle à suivre. « 

Franky Simon consacre à sa passion énormément de jours de congé. L’an dernier, il était à Iéna où, en octobre 1806, Napoléon a écrasé les Prussiens. Il y a deux mois, il s’est rendu à Astorga, en Castille et Leon, où se sont affrontées, entre 1808 et 1812, les troupes anglo-espagnoles et napoléoniennes. Voici quelques semaines, il a fait une  » sortie de terrain  » à Montmirail, où, lors de la Campagne de France de 1814, l’Empereur a humilié les Russes et les Prussiens de Blücher.  » Pendant quatre jours, nous nous sommes déplacés d’un lieu à l’autre, faisant étape chez l’habitant, dans des fermes et des granges. Nous avons mené la vie de soldats de l’époque. « 

Début septembre, cap sur la Russie, qui célébrera le bicentenaire de la bataille de Borodino, dite aussi  » de la Moskova « .  » La majorité des quelque 2 000 reconstituants seront russes, mais 417 autres Européens seront aussi présents.  » Le voyage n’est pas accessible à tout le monde : les vols, le visa et les repas coûteront plus de 700 euros au maréchal. Ces dernières années, la crise économique n’a pas épargné les bivouacs : plusieurs célébrations de bicentenaires de batailles de Napoléon ont été purement et simplement annulées !

Même à Plancenoit/Waterloo, on doit se serrer la ceinture : si la paille, le bois, l’eau et la poudre seront encore distribués gratuitement aux troupes lors des démonstrations prévues ces 16 et 17 juin, certains groupes n’ont pas été invités. D’autres, originaires notamment d’Europe centrale et orientale, ont renoncé à faire le déplacement. Et il n’est plus question, pour l’organisateur de l’événement, d’offrir à chaque soldat non belge un défraiement de 10 ou 35 euros.

A lire : Dictionnaire amoureux de Napoléon,

par Jean Tulard (Plon).

Waterloo, mythologie des lieux, par Claude Michel Cluny (La Différence).

La Mort de Napoléon,

par Th. Lentz et J. Macé (Perrin).

Olivier Rogeau

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