D’où viens-tu, Souchon ?

 » La vie comme on nous la fait, elle est bien con.  » Alors, Alain l’embellit, bercé par le souvenir de Sagan et d’Arletty, les poèmes d’Aragon ou les films de Truffaut. A l’occasion de la sortie de son nouvel album, il dit tout au Vif/L’Express des influences qui nourrissent son talent.

Jean, pull shetland, cheveux ébouriffés… c’est bien Alain Souchon qui déboule pour parler de son nouvel album, Ecoutez d’où ma peine vient.  » En discutant avec vous, j’oublie la vie, les tourments, et je crois pendant un instant que je suis important « , souffle-t-il en s’asseyant devant un thé après moult hésitations sur le choix de la boisson. Pour se réveiller d’une courte nuit, il fera à plusieurs reprises le tour de la pièce à petites foulées. Tout en dévoilant pour Le Vif/L’Express son musée imaginaire.

Ecoutez d’où ma peine vient (Virgin).

La littérature

« Je lis et relis Aragon « , assure Alain Souchon. Dans son dernier album, il met en musique Oh ! la guitare, un poème tiré de l’Elégie à Pablo Neruda, chanté, jadis, par Hélène Martin.  » J’aime l’ensemble de son £uvre, mais rien n’est plus bouleversant que ses textes écrits pendant l’Occupation. Ce sont des chansons sans musique, chargées d’exalter l’âme française, d’unir catholiques et communistes dans le même élan de résistance. En célébrant Aragon, je retrouve ma jeunesse et l’époque où j’écoutais Ferré chanter Est-ce ainsi que les hommes vivent ?  » Son deuxième écrivain préféré est Françoise Sagan, à qui il a rendu un bel hommage dans Bonjour tristesse :  » Elle fait partie des gens qui disent des choses merveilleuses à leurs contemporains et puis disparaissent. Françoise a mené une existence de star. Ses interviews fantastiques, où elle évoquait l’amour, la vie, la mort, la vitesse, les cigarettes ou les chevaux, devraient être étudiées dans les universités. « 

La musique

Si les Beatles ont participé à sa révolution intime, Souchon chérit aussi une trilogie folk personnelle :  » Bob Dylan, le maître, Leonard Cohen et sa belle voix de caverne, Randy Newman, ce génie du ragtime.  » Mais c’est bien la Rive gauche qui l’a poussé en avant :  » J’allais voir Ferré, Brassens… Ils n’étaient pas contents du monde dans lequel on vivait et cette colère m’a ouvert l’esprit. J’adore aussi Trenet et je pense qu’une chanson de lui réussie vaut bien un roman. Nous, les chanteurs, faisons peut-être de la bijouterie de pacotille, mais nous décorons la vie.  » Côté classique, Bach par Gould, Monteverdi, Mozart ont sa préférence…  » J’écoute beaucoup France Musique ou Radio Classique, et cette façon moderne d’aborder la radio m’emballe. On a envie de rencontrer les filles qui parlent dans le micro. Et puis ils passent des tubes comme la Barcarolle des Contes d’Hoffmann. Moi qui ne suis pas spécialiste, j’ai ainsi le sentiment d’approcher des océans. « 

L’aventure

Les explorateurs fascinent Souchon, grand piéton de Paris. La Vie Théodore – nom de son précédent album – adressait d’ailleurs un vibrant coup de chapeau à Théodore Monod :  » Je reste béat d’admiration devant cet homme debout dans le désert, avec ses grosses chaussures et ses prières pour l’humanité. Depuis, je lui suis fidèle.  » L’aventure est pour Souchon un but, un défi. Son modèle, c’est Stevenson :  » Il a traversé l’Auvergne et le Massif central avec une ânesse. Voilà mon idéal de vie : j’ai déjà l’ânesse, Grisette, offerte par Voulzy ; il me manque la marche à l’étoile. J’admire les navigateurs de l’époque de Christophe Colomb, ou les cosmonautes… Ne pas savoir combien de temps va durer le voyage. Ne rien savoir. Parce que, vraiment, la vie comme on nous la fait, elle est bien con. « 

Le cinéma

Il a vu 300 fois Jules et Jim, de François Truffaut :  » Je suis scotché par ce film, par la fin de l’histoire, par cette volonté de vivre à trois, malgré la société, et de l’affirmer d’une façon douce. Je suis fan en général du cinéma de Truffaut, de sa liberté, de son classicisme d’homme poli, et aussi de son côté voyou.  » Souchon a écrit la chanson du générique de L’Amour en fuite :  » Je me souviens d’un repas surréaliste, avec lui et Dorothée, dans son appartement aux boiseries sombres. J’étais pétrifié et heureux.  » Mais le film qui lui fait le plus d’effet, c’est la trilogie du Parrain, de Coppola, enchaînée à la suite,  » par exemple après une journée de ski et un bon bain : c’est le summum du plaisir « .

Le baiser

La bouche des filles hante ses chansons depuis toujours. Et particulièrement celles d’Ava Gardner et de Jeanne Moreau,  » extrêmement sensuelle et extrêmement triste, comme la vie « . Mais deux baisers ont laissé des traces en lui. Celui donné à Arletty :  » J’ai eu la chance de la rencontrer chez elle, entourée de doux dingues qui la gardaient comme un bijou précieux. Elle me répétait : « Toi, t’es proustien. » En l’embrassant, j’ai réalisé que je faisais la bise à Arletty. C’était enivrant. J’en garde encore aujourd’hui la sensation physique.  » Le deuxième baiser porte la marque de Sagan :  » Il ne fallait pas manquer sa joue. Parfois, elle tournait la tête si vite qu’on lui embrassait l’oreille. « 

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