» D’autres Richard Branson émergeront « 

Transports, communication, santé, banque… en quarante ans, le Britannique fondateur de Virgin a décliné sa marque en 400 sociétés. Ce touche-à-tout excentrique de 63 ans, qui s’attaque aux vols dans l’espace mais lutte contre le réchauffement climatique, croit dans la réussite d’entrepreneurs  » différents « .

Le Vif/L’Express : Votre groupe, Virgin, est présent dans le ferroviaire, l’aérien, la téléphonie mobile, la banque… Quel lien existe-t-il entre des activités aussi distinctes ?

Richard Branson : Je suis quelqu’un de nature très curieuse, j’aime expérimenter de nouvelles choses dans la vie, découvrir sans cesse de nouveaux territoires. Si j’estime être capable de faire mieux que les autres, alors je plonge instantanément. Parfois, cela ne réussit pas, d’autres fois, c’est un succès. En tout état de cause, il n’y a pas de plan caché, seulement une grande marque déclinée dans plusieurs secteurs d’activité. Rares sont celles susceptibles de pouvoir le faire. Grâce à nous, vous pouvez voler, prendre le train, passer des appels téléphoniques, vous faire soigner, explorer les fonds marins et, bientôt, aller dans l’espace. Généralement, dans l’esprit des consommateurs, Virgin signifie gage de qualité à un prix abordable. Et lorsque nous nous attaquons à un nouveau marché, les gens savent que nous allons faire bouger les lignes. Lorsque nous avons débuté, voilà quarante ans, nombre d’observateurs pensaient que nous étions complètement fous de nous lancer dans la musique puis d’ouvrir une compagnie aérienne, mais nous avons démontré que nous avions raison de nous diversifier.

Après la mer et les airs, plusieurs projets, dont le vôtre, Virgin Galactic, visent l’espace. Où en êtes-vous ?

Nous avons mis dix ans à mettre au point notre navette pour aller dans l’espace. Il s’agissait de construire quelque chose de totalement différent de ce qui existait. Aujourd’hui, notre engin vole à la manière d’un avion et, avec le temps, nous allons accroître sa taille pour réaliser des voyages suborbitaux et permettre ainsi de se rendre très rapidement d’un point à un autre du globe. L’idée est de réduire la durée d’un vol long-courrier, à un prix compétitif, tout en diminuant les émissions de carbone. Passé cette première étape, nous pourrons également envoyer des satellites à moindre coût grâce à ce nouveau genre de porteur.

Quel genre de satellite ?

Il est encore trop tôt pour l’évoquer. Tout ce que je peux dire, c’est que nous allons changer radicalement le monde des télécommunications, de l’accès à Internet et du Wi-Fi. Nos solutions pourraient permettre d’apporter ces technologies dans des régions du monde encore sous-équipées. Dès cette année, ou au plus tard au début de 2014, nous pourrons débuter nos premiers voyages commerciaux dans l’espace. Je ferai le vol inaugural avec mes deux enfants. Au-delà, nous souhaitons ouvrir des hôtels dans l’espace. L’exploration spatiale est également dans notre ligne de mire. Comme l’a dit l’astrophysicien Stephen Hawkins, si nous pouvons coloniser la Lune ou même Mars, alors nous le ferons. Mais chaque chose en son temps. Nous attendons avec impatience le jour où notre navette Virgin Galactic se trouvera sur le tarmac d’un aéroport à côté d’un avion de British Airways.

Pourtant, le prix d’un tel voyage reste très élevé et s’adresse encore à une élite…

Certes, le billet coûte 187 000 euros, et seules quelques centaines de personnes ont déjà réservé leurs places. Nous avons quelques idées pour faire chuter ce prix et permettre ainsi au plus grand nombre de profiter d’un tel service. Mais je ne peux vous donner le tarif idéal, car nous ne vendrions plus aucun billet. Notre but est, à terme, d’envoyer des centaines de milliers de personnes dans l’espace, mais cela nécessitera de disposer d’un nombre important de navettes. Vous, sans doute, et très certainement vos enfants aurez les moyens de réaliser ce voyage dans un avenir pas si lointain.

Mon fils est prêt à partir avec vous !

[Rires.] Vous allez devoir demander l’autorisation à sa mère et je doute que sa réponse soit positive.

Votre fondation lutte, entre autres, contre les émissions de carbone, alors que vous possédez une compagnie aérienne et, bientôt, des navettes pour aller dans l’espace. N’est-ce pas, pour le moins, paradoxal ?

Notre empreinte carbone est trop importante, c’est vrai. Nos avions, nos trains, ces modes de transport polluent beaucoup. Voilà pourquoi, depuis maintenant dix ans, nous avons lancé un programme pour compenser nos émissions de CO2, et même tenter d’aller au-delà. Nous avons créé un prix doté de 25 millions de dollars. Virgin Earth Challenge, c’est son nom, encourage scientifiques et ingénieurs à trouver des solutions pour faire disparaître une grande partie des gaz à effet de serre de notre atmosphère. Plus de 10 000 propositions ont été reçues pour lutter contre le réchauffement climatique induit par ces gaz. Au final, une dizaine d’entre elles ont été retenues et nous les étudions de près. Par ailleurs, les bénéfices que nous réalisons avec nos compagnies aériennes sont investis dans la recherche d’énergies propres pour nos avions. Nous avons conclu un accord avec une entreprise néo-zélandaise, LanzaTech, qui, bientôt, nous fournira en biofuel. Elle utilise les rejets produits par les usines de raffinage ou d’acier pour les recycler en énergie propre. J’espère ainsi que l’aéronautique deviendra un jour l’une des industries les plus propres au monde. Nous avons également mis en place une  » war room  » où sont représentées vingt et une industries polluantes, mais aussi des villes, des îles, etc., qui travaille sur le même sujet. Vous voyez que nous ne sommes pas inactifs.

L’américain Elon Musk tente lui aussi d’envoyer des gens dans l’espace et il produit des voitures électriques avec Tesla. Aimeriez-vous suivre ses pas ?

Tesla est une invention géniale, mais nous n’avons aucun projet de ce type. Si quelqu’un vient nous voir avec une idée de voiture à zéro émission de carbone, je serai ravi d’étudier la question, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.

A 63 ans, vous demeurez le visage de Virgin. Comment votre groupe pourra-t-il vous survivre ?

Tout comme Apple, la marque Virgin est connue dans le monde entier. J’ai fait ma part de travail en bâtissant cette reconnaissance internationale et, aujourd’hui, j’ai deux enfants susceptibles de prendre ma relève. Ma fille, Holly, travaille déjà dans la société et dans ma fondation, tandis que mon fils, Sam, vient de réaliser un documentaire sur la lutte contre la drogue, Breaking the Taboo. Cette transition peut se faire aisément car, contrairement à Steve Jobs chez Apple, je n’ai jamais été trop impliqué dans les affaires au quotidien. A chaque fois, une équipe de talents a été désignée pour gérer une nouvelle activité du groupe. Pour ma part, je passe la majeure partie de mon temps au sein de ma fondation.

Dans l’Europe en crise, un nouveau Richard Branson pourrait-il émerger ?

J’en suis certain. Nous avons réussi à convaincre le gouvernement britannique de mettre en place des prêts pour les entrepreneurs. Comme les jeunes, qui peuvent disposer d’argent pour mener à bien leurs études, il est désormais possible de bénéficier des mêmes dispositions pour créer une société. Des dizaines de milliers de personnes ont déjà pu en profiter. Vous avez besoin de peu de capitaux pour lancer une entreprise si vous avez la bonne idée. Grâce à cela, d’autres Richard Branson émergeront. Les autres gouvernements devraient s’en inspirer.

De nombreux pays tentent de lutter contre l’optimisation fiscale. A cet égard, votre holding Virgin Group n’est guère transparente. Payez-vous tous vos impôts ?

Je pense que la révision des systèmes de taxation en Europe par les hommes politiques est une très bonne chose. Les Etats-Unis ont mis en place une procédure de contrôle des citoyens très efficace, dont l’Europe devrait s’inspirer. Pour les entreprises, la situation est différente. On ne peut pas leur reprocher d’utiliser les lois existantes pour optimiser leur imposition. Si elles ne le faisaient pas, leurs rivales bénéficieraient d’un avantage concurrentiel de taille. Les politiciens se penchent aujourd’hui sur le sujet pour resserrer les mailles du filet et combler des lacunes. Tant mieux.

Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, vient d’acheter The Washington Post. Allez-vous suivre cette voie, vous qui avez commencé en créant un magazine ?

Je pense qu’il est très difficile pour un homme d’affaires de posséder un journal. Regardez Robert Maxwell avec The Daily Mirror, en Angleterre : il a abusé de son pouvoir pour mettre en avant ses produits dans le journal. Tiny Rowland a pris le contrôle de The Observer pour le mettre à son service et a abîmé le titre. Et voyez Berlusconi en Italie… Il faut laisser une totale liberté éditoriale à la presse. Si vous tentez de l’influencer en l’achetant, l’effet est contre-productif. Je ne comprends pas pourquoi les politiques permettent à des hommes d’affaires de contrôler des journaux et des chaînes de télévision, comme c’est le cas en Italie. Si mes idées sont bonnes, The Guardian ou The Observer s’en feront l’écho dans leurs colonnes. Je n’ai pas besoin non plus de me lancer en politique pour faire avancer mes idées. Les élus sont toujours suspectés d’agir dans le but d’obtenir le plus grand nombre de voix. Il est plus efficace d’être en dehors d’un parti pour faire avancer sa cause.

Vous avez débuté dans la musique avec Virgin Records et semblez vouloir revenir à vos premières amours ?

[Rires.] Je suis plutôt intéressé par la production de festivals de musique et de grands concerts, que ce soit en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, comme ce fut le cas avec la tournée des Rolling Stones. Nous avons même des discussions en cours pour créer un festival en France. Mais le marché de la musique est très difficile et les enseignes culturelles souffrent. Nous n’en détenons plus que quelques-unes au Moyen-Orient. Je pense ainsi que l’avenir de la Fnac est compromis et que ce distributeur a peu de chances de survivre, malgré la disparition de nos boutiques. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, l’arrivée des services de téléchargement de musique en ligne, liés au baladeur iPod d’Apple, a déjà balayé la plupart des magasins de disques. C’est très triste.

Envisagez-vous de donner une partie de votre fortune ?

J’ai rejoint le programme The Giving Pledge en début d’année (lire également en page 48). Cette initiative, soutenue par l’homme d’affaires Warren Buffett et le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, invite les plus fortunés à céder au moins la moitié de leurs biens, lors de leur décès, à des oeuvres philanthropiques. Ma femme et moi avons déjà beaucoup donné avec notre fondation, mais nous aimerions faire encore davantage. En tant qu’entrepreneurs, nous comptons parmi les plus chanceux et notre responsabilité est de rendre cela à la communauté.

Propos recueillis par Emmanuel Paquette

 » Si vous avez la bonne idée, vous avez besoin de peu de capitaux pour lancer une entreprise  »

 » Il faut laisser une totale liberté à la presse. Tenter de l’influencer en l’achetant est contre-productif  »

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